Chapitre XVII

De l'augmentation des troupes.

Une maladie nouvelle s'est répandue en Europe ; elle a saisi nos princes, et leur fait entretenir un nombre désordonné de troupes. Elle a ses redoublements, et elle devient nécessairement contagieuse : car, sitôt qu'un État augmente ce qu'il appelle ses troupes, les autres soudain augmentent les leurs ; de façon qu'on ne gagne rien par là, que la ruine commune. Chaque monarque tient sur pied toutes les armées qu'il pourrait avoir, si ses peuples étaient en danger d'être exterminés ; et on nomme paix cet état1 d'effort de tous contre tous. Aussi l'Europe est-elle si ruinée, que les particuliers qui seraient dans la situation où sont les trois puissances de cette partie du monde les plus opulentes, n'auraient pas de quoi vivre. Nous sommes pauvres avec les richesses et le commerce de tout l'univers ; et bientôt, à force d'avoir des soldats, nous n'aurons plus que des soldats, et nous serons comme des Tartares2.

Les grands princes, non contents d'acheter les troupes des plus petits, cherchent de tous côtés à payer des alliances ; c'est-à-dire, presque toujours à perdre leur argent.

La suite d'une telle situation est l'augmentation perpétuelle des tributs : et, ce qui prévient tous les remèdes à venir, on ne compte plus sur les revenus, mais on fait la guerre avec son capital. Il n'est pas inouï de voir des États hypothéquer leurs fonds pendant la paix même ; et employer, pour se ruiner, des moyens qu'ils appellent extraordinaires, et qui le sont si fort que le fils de famille le plus dérangé les imagine à peine.