Des lois qui ont rapport à la sobriété des peuples.
Dans les pays chauds, la partie aqueuse du sang se dissipe beaucoup par la transpiration1 ; il y faut donc substituer un liquide pareil. L'eau y est d'un usage admirable : les liqueurs fortes y coaguleraient les globules2 du sang qui restent après la dissipation de la partie aqueuse.
Dans les pays froids, la partie aqueuse du sang s'exhale peu par la transpiration ; elle reste en grande abondance : on y peut donc user de liqueurs spiritueuses, sans que le sang se coagule. On y est plein d'humeurs : les liqueurs fortes, qui donnent du mouvement au sang, y peuvent être convenables.
La loi de Mahomet, qui défend de boire du vin, est donc une loi du climat d'Arabie : aussi, avant Mahomet, l'eau était-elle la boisson commune des Arabes. La loi3 qui défendait aux Carthaginois de boire du vin était aussi une loi du climat ; effectivement le climat de ces deux pays est, à peu près, le même.
Une pareille loi ne serait pas bonne dans les pays froids, où le climat semble forcer à une certaine ivrognerie de nation, bien différente de celle de la personne. L'ivrognerie se trouve établie par toute la terre, dans la proportion de la froideur et de l'humidité du climat. Passez de l'équateur jusqu'à notre pôle, vous y verrez l'ivrognerie augmenter avec les degrés de latitude. Passez du même équateur au pôle opposé, vous y trouverez l'ivrognerie aller vers le midi4, comme de ce côté-ci elle avait été vers le nord.
Il est naturel que, là où le vin est contraire au climat, et par conséquent à la santé, l'excès en soit plus sévèrement puni, que dans les pays où l'ivrognerie a peu de mauvais effets pour la personne ; où elle en a peu pour la société ; où elle ne rend point les hommes furieux, mais seulement stupides. Ainsi les lois5 qui ont puni un homme ivre, et pour la faute qu'il faisait et pour l'ivresse, n'étaient applicables qu'à l'ivrognerie de la personne, et non à l'ivrognerie de la nation. Un Allemand boit par coutume, un Espagnol par choix.
Dans les pays chauds, le relâchement des fibres produit une grande transpiration des liquides : mais les parties solides se dissipent moins. Les fibres, qui n'ont qu'une action très faible et peu de ressort, ne s'usent guère ; il faut peu de suc nourricier pour les réparer : on y mange donc très peu.
Ce sont les différents besoins, dans les différents climats, qui ont formé les différentes manières de vivre ; et ces différentes manières de vivre ont formé les diverses sortes de lois. Que, dans une nation, les hommes se communiquent beaucoup, il faut de certaines lois ; il en faut d'autres, chez un peuple où l'on ne se communique point.