Autres effets du climat.
Nos pères, les anciens Germains, habitaient un climat où les passions étaient très calmes. Leurs lois ne trouvaient, dans les choses, que ce qu'elles voyaient, et n'imaginaient rien de plus. Et, comme elles jugeaient des insultes faites aux hommes par la grandeur des blessures, elles ne mettaient pas plus de raffinement dans les offenses faites aux femmes. La loi des Allemands1 est là-dessus fort singulière. Si l'on découvre une femme à la tête, on payera une amende de six sols ; autant si c'est à la jambe jusqu'au genou ; le double depuis le genou. Il semble que la loi mesurait la grandeur des outrages faits à la personne des femmes, comme on mesure une figure de géométrie ; elle ne punissait point le crime de l'imagination, elle punissait celui des yeux. Mais, lorsqu'une nation germanique se fut transportée en Espagne, le climat trouva bien d'autres lois. La loi des Wisigoths défendit aux médecins de saigner une femme ingénue qu'en présence de son père ou de sa mère, de son frère, de son fils, ou de son oncle. L'imagination des peuples s'alluma, celle des législateurs s'échauffa de même ; la loi soupçonna tout, pour un peuple qui pouvait tout soupçonner.
Ces lois eurent donc une extrême attention sur les deux sexes. Mais il semble que, dans les punitions qu'elles firent, elles songèrent plus à flatter la vengeance particulière, qu'à exercer la vengeance publique. Ainsi, dans la plupart des cas, elles réduisaient les deux coupables dans la servitude des parents ou du mari offensé. Une femme2 ingénue, qui s'était livrée à un homme marié, était remise dans la puissance de sa femme, pour en disposer à sa volonté. Elles obligeaient les esclaves3 de lier et de présenter au mari sa femme qu'ils surprenaient en adultère : elles permettaient à ses enfants4 de l'accuser, et de mettre à la question ses esclaves pour la convaincre. Aussi furent-elles plus propres à raffiner à l'excès un certain point d'honneur, qu'à former une bonne police. Et il ne faut pas être étonné si le comte Julien crut qu'un outrage de cette espèce demandait la perte de sa patrie et de son roi. On ne doit pas être surpris si les Maures, avec une telle conformité de mœurs, trouvèrent tant de facilité à s'établir en Espagne, à s'y maintenir, et à retarder la chute de leur empire.