Chapitre XII

Abus de l'esclavage.

Dans les États mahométans1, on est non seulement maître de la vie et des biens des femmes esclaves, mais encore de ce qu'on appelle leur vertu ou leur honneur. C'est un des malheurs de ces pays, que la plus grande partie de la nation n'y soit faite que pour servir à la volupté de l'autre. Cette servitude est récompensée par la paresse dont on fait jouir de pareils esclaves ; ce qui est encore, pour l'État, un nouveau malheur.

C'est cette paresse qui rend les sérails d'orient2 des lieux de délices, pour ceux même contre qui ils sont faits. Des gens qui ne craignent que le travail peuvent trouver leur bonheur dans ces lieux tranquilles. Mais on voit que par là on choque même l'esprit de l'établissement de l'esclavage.

La raison veut que le pouvoir du maître ne s'étende point au-delà des choses qui sont de son service : il faut que l'esclavage soit pour l'utilité, et non pas pour la volupté. Les lois de la pudicité sont du droit naturel, et doivent être senties par toutes les nations du monde.

Que si la loi qui conserve la pudicité des esclaves est bonne dans les États où le pouvoir sans bornes se joue de tout, combien le sera-t-elle dans les monarchies ? combien le sera-t-elle dans les États républicains ?

Il y a une disposition de la loi3 des Lombards, qui paraît bonne pour tous les gouvernements. « Si un maître débauche la femme de son esclave, ceux-ci seront tous deux libres » : tempérament admirable pour prévenir et arrêter, sans trop de rigueur, l'incontinence des maîtres.

Je ne vois pas que les Romains aient eu, à cet égard, une bonne police. Ils lâchèrent la bride à l'incontinence des maîtres ; ils privèrent même, en quelque façon, leurs esclaves du droit des mariages. C'était la partie de la nation la plus vile : mais, quelque vile qu'elle fût, il était bon qu'elle eût des mœurs : et de plus, en lui ôtant les mariages, on corrompait ceux des citoyens.