Chapitre XVI

De la répudiation et du divorce chez les Romains.

Romulus permit au mari de répudier sa femme, si elle avait commis un adultère, préparé du poison, ou falsifié les clefs. Il ne donna point aux femmes le droit de répudier leur mari. Plutarque1 appelle cette loi, une loi très dure.

Comme la loi d'Athènes2 donnait à la femme, aussi bien qu'au mari, la faculté de répudier ; et que l'on voit que les femmes obtinrent ce droit chez les premiers Romains, nonobstant la loi de Romulus ; il est clair que cette institution fut une de celles que les députés de Rome rapportèrent d'Athènes, et qu'elle fut mise dans les lois des douze tables.

Cicéron3 dit que les causes de répudiation venaient de la loi des douze tables. On ne peut donc pas douter que cette loi n'eût augmenté le nombre des causes de répudiation établies par Romulus.

La faculté du divorce fut encore une disposition, ou du moins une conséquence de la loi des douze tables. Car, dès le moment que la femme ou le mari avait séparément le droit de répudier, à plus forte raison pouvaient-ils se quitter de concert, et par une volonté mutuelle.

La loi ne demandait point qu'on donnât des causes pour le divorce4. C'est que, par la nature de la chose, il faut des causes pour la répudiation, et qu'il n'en faut point pour le divorce ; parce que, là où la loi établit des causes qui peuvent rompre le mariage, l'incompatibilité mutuelle est la plus forte de toutes.

Denys d'Halicarnasse5 Valère-Maxime6, et Aulu-Gelle7, rapportent un fait qui ne me paraît pas vraisemblable : ils disent que, quoiqu'on eût à Rome la faculté de répudier la femme, on eut tant de respect pour les auspices, que personne, pendant cinq cent vingt ans8, n'usa de ce droit jusqu'à Carvilius Ruga, qui répudia la sienne pour cause de stérilité. Mais il suffit de connaître la nature de l'esprit humain, pour sentir quel prodige ce serait, que la loi donnant à tout un peuple un droit pareil, personne n'en usât. Coriolan partant pour son exil, conseilla9 à sa femme de se marier à un homme plus heureux que lui. Nous venons de voir que la loi des douze tables, et les mœurs des Romains, étendirent beaucoup la loi de Romulus. Pourquoi ces extensions, si on n'avait jamais fait usage de la faculté de répudier ? De plus : si les citoyens eurent un tel respect pour les auspices, qu'ils ne répudièrent jamais, pourquoi les législateurs de Rome en eurent-ils moins ? Comment la loi corrompit-elle sans cesse les mœurs ?

En rapprochant deux passages de Plutarque, on verra disparaître le merveilleux du fait en question. La loi royale10 permettait au mari de répudier dans les trois cas dont nous avons parlé. « Et elle voulait, dit Plutarque11, que celui qui répudierait dans d'autres cas fût obligé de donner la moitié de ses biens à sa femme, et que l'autre moitié fût consacrée à Cérés. » On pouvait donc répudier dans tous les cas, en se soumettant à la peine. Personne ne le fit avant Carvilius Ruga12, « qui, comme dit encore Plutarque13, répudia sa femme pour cause de stérilité, deux cent trente ans après Romulus » ; c'est-à-dire, qu'il la répudia soixante et onze ans avant la loi des douze tables, qui étendit le pouvoir de répudier, et les causes de répudiation.

Les auteurs que j'ai cités disent que Carvilius Ruga aimait sa femme ; mais qu'à cause de sa stérilité, les censeurs lui firent faire serment qui la répudierait, afin qu'il pût donner des enfants à la république ; et que cela le rendit odieux au peuple. Il faut connaître le génie du peuple romain, pour découvrir la vraie cause de la haine qu'il conçut pour Carvilius. Ce n'est point parce que Carvilius répudia sa femme, qu'il tomba dans la disgrâce du peuple : c'est une chose dont le peuple ne s'embarrassait pas. Mais Carvilius avait fait un serment aux censeurs qu'attendu la stérilité de sa femme, il la répudierait pour donner des enfants à la république. C'était un joug que le peuple voyait que les censeurs allaient mettre sur lui. Je ferai voir, dans la suite14 de cet ouvrage, les répugnances qu'il eut toujours pour des règlements pareils. Mais d'où peut venir une telle contradiction entre ces auteurs ? Le voici : Plutarque a examiné un fait, et les autres ont raconté une merveille.