Chapitre IX

De la vanité et de l'orgueil des nations.

La vanité est un aussi bon ressort pour un gouvernement, que l'orgueil en est un dangereux. Il n'y a pour cela qu'à se représenter, d'un côté, les biens sans nombre qui résultent de la vanité ; de là le luxe, l'industrie, les arts, les modes, la politesse, le goût ; et, d'un autre côté, les maux infinis qui naissent de l'orgueil de certaines nations ; la paresse, la pauvreté, l'abandon de tout, la destruction des nations que le hasard a fait tomber entre leurs mains, et de la leur même. La paresse1 est l'effet de l'orgueil ; le travail est une suite de la vanité : L'orgueil d'un Espagnol le portera à ne pas travailler ; la vanité d'un Français le portera à savoir travailler mieux que les autres.

Toute nation paresseuse est grave ; car ceux qui ne travaillent pas se regardent comme souverains de ceux qui travaillent.

Examinez toutes les nations ; et vous verrez que, dans la plupart, la gravité, l'orgueil et la paresse marchent du même pas.

Les peuples d'Achim2 sont fiers et paresseux : ceux qui n'ont point d'esclaves en louent un, ne fût-ce que pour faire cent pas, et porter deux pintes de riz ; ils se croiraient déshonorés s'ils le portaient eux-mêmes.

Il y a plusieurs endroits de la terre où l'on se laisse croître les ongles, pour marquer que l'on ne travaille point.

Les femmes des Indes3 croient qu'il est honteux pour elles d'apprendre à lire : c'est l'affaire, disent-elles, des esclaves qui chantent des cantiques dans les pagodes. Dans une caste, elles ne filent point ; dans une autre, elles ne font que des paniers et des nattes, elles ne doivent pas même piler le riz ; dans d'autres, il ne faut pas qu'elles aillent quérir de l'eau. L'orgueil y a établi ses règles, et il les fait suivre. Il n'est pas nécessaire de dire que les qualités morales ont des effets différents, selon qu'elles sont unies à d'autres : ainsi l'orgueil, joint à une vaste ambition, à la grandeur des idées, etc., produisit chez les Romains les effets que l'on sait.