Rapide comme la pensée – 2

Tiré de M. Frullifer, Rapide comme la pensée, version grand public, cinquième édition, chapitre III :

 

 

On nous interroge souvent, nous autres physiciens psytroniciens, sur les conséquences pratiques de notre théorie. Une question, surtout, que l’on nous pose : puisque nous avons découvert l’existence, dans tout l’univers, de particules capables de dépasser la vitesse de la lumière, sera-t-il possible, un jour, de se servir de leur énergie pour voyager à travers les galaxies ?

Ma réponse est résolument affirmative. Mais il convient de renoncer à la notion de voyage spatial telle qu’on l’a conçue jusque-là. Ce type de voyage, dans la physique courante, et surtout dans la physique relativiste, peut nous permettre de parcourir à peine quelques segments du système solaire. Au contraire, la psytronique mobilise les forces de l’imaginaire et permet de les dominer, en donnant la possibilité de sortir de l’univers observable, pour ensuite y rentrer en un point quelconque. Il ne s’agit donc pas d’un déplacement dans le cosmos, mais bien d’une délocalisation instantanée effectuée en exploitant la dimension matérielle de l’imagination.

Je vais essayer de m’expliquer avec un exemple. Si je devais construire un astronef psytronique, je le doterais avant tout d’imitations artificielles des neurones humains. Ce sont en fait les processus moléculaires qui surviennent dans les neurones qui provoquent l’excitation des psytrons, normalement tenus « prisonniers » à l’intérieur des neurones eux-mêmes à l’état de repos. En réalité, il s’agit d’un repos apparent : durant leur séjour forcé dans l’aire cérébrale, les psytrons sont chargés d’informations, correspondant à ce que les strates neuroniques ont appris selon les stimuli internes.

Pour que les psytrons passent de l’état fondamental à l’état quantique, il faut que le cerveau produise un output, déclenchant à travers la volonté, c’est-à-dire à travers la fonction directive et régulatrice de l’activité de changement, les processus chimiques et électriques propres des synapses en phase de transmission. C’est alors que commence le « voyage » des psytrons, rapide au point de les soustraire à l’univers physique et de les emporter dans la région imaginaire privée de temps. Pour la plus grande partie des individus, les psytrons excités disparaissent purement et simplement dans le gouffre de cette dimension, avec toute leur charge d’informations.

Mais pour des individus dotés d’une maîtrise consciente plus étroite de leur activité cérébrale, les psytrons projetés peuvent réapparaître en n’importe quel point, du moment que, dans la phase de la « prison neuronique », ils ont été chargés, non seulement avec les informations conventionnelles, mais aussi avec les informations ultérieures sur les modalités de rentrée dans notre univers. En d’autres termes, c’est comme si on avait fourni à ces psytrons une carte de traversée de l’imaginaire, avec une indication précise des points de rentrée dans la dimension du réel.

Revenons à notre hypothétique astronef. Il devrait être muni, disais-je, de réseaux neuronaux artificiels, susceptibles de simuler non pas toute la complexité du cerveau humain, ce qui est virtuellement impossible, mais les fonctions spécifiques utiles pour « voyager ». Le schéma de tels réseaux, facilement descriptible à travers des matrices vectorielles, serait simplifié par rapport au schéma cérébral, mais pas trop : il devrait en fait être en mesure d’intercepter la Psyché de l’aire comprise en elle, de dimensions le plus vaste possible, et d’y charger les psytrons avec les informations fournies par ses propres synapses. Des informations qui seraient de deux types : celles relatives au parcours à suivre dans et hors de l’imaginaire, et celles se référant aux caractéristiques de l’astronef, y compris son équipage humain.

Mais la « navigation » ne pourrait être entièrement confiée aux neurones artificiels. Sur le véhicule devraient être présents des individus à l’activité plus intense que la normale, capables de faire interagir leurs propres psytrons avec la Psyché emprisonnée dans les réseaux, pour fournir si nécessaire des informations plus précises sur la route et sur l’éventuel équipage, de manière à en modeler mieux la forme imaginaire. Parce que, comme on le verra mieux dans un chapitre ultérieur, le « voyage » dont je parle n’impliquerait pas l’aspect physique des choses et des personnes, mais seulement leur empreinte psychique, dématérialisée et rematérialisée en vertu de l’équivalence entre masse et énergie.