Hans Memling, Le Donateur Martin Van Nieuwenhove
(volet droit du Diptyque de Martin Van Nieuwenhove), 1487.
Huile sur bois, 52,5 x 41,5 cm. Hospitaalmuseum, Bruges.
La pauvreté de Memling, du reste, à l’époque de sa vie où nous sommes parvenus, s’explique aisément. Une mort tragique lui avait enlevé son protecteur Charles le Téméraire, et, dans la déroute de Nancy, le peintre n’avait probablement sauvé que sa personne : encore était-il blessé ! Il s’en fallait bien que les profits des artistes fussent alors considérables. Le portrait de Pierre Van der Weyden, étudié par nous tout à l’heure, nous a rendu visible, pour ainsi dire, l’état de pénurie dans lequel leurs modiques bénéfices les maintenaient. Ou le grand coloriste n’avait pas de pécule, ou il possédait une faible épargne. La perte de ses bagages et de l’argent que contenait son escarcelle, le mettait donc dans une situation précaire. Les luttes que Marie de Bourgogne eut à soutenir, contre la rapacité de Louis XI et contre les revendications des communes, ne lui permettaient point de songer au luxe des tableaux. « Elles ne lui laissèrent pas un jour de triste loisir, suivant De Barante, pour pleurer la mort de son père. » Memling, à partir de ce moment, ne put compter que sur les produits éventuels de son pinceau et les commandes des particuliers. Avoir rencontré à l’hospice le frère Jan Floreins, qui aimait passionnément la peinture, c’était une bonne chance dont il devait remercier le destin.
L’histoire maintenant nous ramène dans l’intérieur de l’hôpital mentionné précédemment. Deux œuvres d’un mérite exceptionnel y portent la date de 1479. L’une représente le mariage mystique de sainte Catherine, l’histoire de saint Jean-Baptiste et celle de saint Jean l’Evangéliste ; le second nous offre l’Adoration des Mages. Ces deux travaux furent commandés par Jan Floreins,[22] et l’on doit croire qu’il rétribua Memling. Sur le premier, l’artiste le plaça derrière sainte Catherine ; il a pour vêtement le costume ordinaire des moines de l’hôpital, et semble tout joyeux de figurer dans une si belle œuvre : au fond du tableau, il reparaît habillé d’une robe noire, exerçant les fonctions du jaugeur public : des tonneaux l’environnent, une grue s’allonge sur sa tête, celle qu’on employait pour charger et décharger les pièces de vin et de liqueurs ; les bâtiments et une tour éloignée indiquent le lieu où s’accomplissait jadis la vérification. La marque d’atelier de Memling se trouve en bas du panneau central, près de l’inscription latine. Le cénobite ne fut point oublié dans l’Adoration des Mages (Illustration 1, 2) ; on l’y voit à genoux, priant avec ferveur. Il était alors âgé de trente-six ans ; sa figure annonce un caractère plein de franchise, de bonté, de vivacité. Memling et cet homme loyal devaient bien s’entendre.