Hans Memling, Le Mariage mystique de sainte Catherine
(panneau central du Retable des deux saints Jean), 1479.

Huile sur bois, 193,5 x 194,7 cm. Hospitaalmuseum, Bruges.

 

 

Voici maintenant une œuvre qui représente à la fois un personnage réel et un personnage biblique. Dans le haut de la peinture, à droite, on lit : Sybilla Sambeth, quœ et per-sica, an. ante Christ, nat. 2040 (La sibylle Sambeth, ou sibylle persique, née 2040 ans avant le Christ) ; et au bas ces paroles : Ecce bestia conculcaberis, gignetur Dominus in orbem terrarum, et gremium Virginis erit salus gentium, invisibile verbum palpabitur (Voici que le serpent sera foulé sous ton talon, que le Seigneur sera enfanté sur le globe de la terre, et le sein d’une vierge deviendra le salut du monde : le verbe invisible sera palpable). A ces phrases latines se trouve jointe la date de 1480. La pythonisse porte un voile d’une délicate transparence ; on dirait ces légères vapeurs que le printemps et l’automne déploient sur les campagnes néerlandaises, et qui prennent des formes si diverses, tantôt enveloppant la terre où elles dorment immobiles, tantôt soulevées comme une large toile à plusieurs mètres du sol, tantôt obliquement poussées, comme des nuages en miniature, au flanc des bois, qu’elles rayent de blanches zones. La tête est d’une remarquable laideur ; les méplats y sont indiqués par des changements de ton presque imperceptibles, comme dans le portrait de madame Jan Van Eyck et dans les deux têtes de Hubert, que possède le musée d’Anvers. L’exécution est molle et faible ; point de sentiment profond, coloris assez pâle. D’après certains documents trouvés dans les archives de Bruges, ce buste nous offre le portrait de Catherine Moreel, fille de Willem Moreel, bourgmestre de Bruges. Reste à savoir s’il a été colorié par Memling. J’en doute, je l’avoue. Il me semble presque impossible que le grand homme, après avoir peint le Mariage mystique de sainte Catherine et l’Adoration des Mages, deux œuvres supérieures, ait exécuté un travail aussi faible. Il peut très bien provenir d’un auxiliaire ou d’un élève. Ce qui rend le fait plus probable encore, c'est le La Descente de Croix, appartenant à la même collection et réputé aussi de Memling ; quoique un peu meilleur que la sibylle Zambeth, un monogramme nettement tracé ne permet point de le ranger parmi les productions de maître Hans. Les lettres A. T. R. ne peuvent en aucune façon le désigner. C’est une œuvre curieuse cependant, parce qu’on voit sur une des ailes Adrien Reims, qui fit exécuter la châsse de sainte Ursule.

Arrivons enfin à cette châsse, l’œuvre la plus fameuse de l’auteur.[37] La légende qui s’y déroule est tout à fait singulière. Nous la laisserons conter par Jacques de Guyse et par Wauquelin, son traducteur.

« En cet an, c’est à savoir en l’an IIIIe IV (404), fut la cruelle bataille et la plus renommée de toutes les autres, c’est-à-dire des XL.M. Vierges dévotes et saintes, qui, pour l’amour de Notre Seigneur Jésus-Christ, reçurent mort et passion en la cité de Cologne, desquelles saintes étoit (?) la duchesse madame sainte Ursule, fille du très noble et puissant roi de Bretagne appelé Notus. Comme elle fut requise en mariage par le fils d’un tyran, roi des Angles, et que son père refusant de l’osast, pour la cruauté dudit tyran, et aussi accorder ne la voulut, pour ce qu’il la sentait à Dieu donnée, elle fit tant que son père accorda audit tyran sa requête, avec condition telle néanmoins, que le père et le fils lui livreraient X nobles vierges et de grand lignage, et à chacune de ces X nobles vierges, mille autres vierges, filles de petites gens. Et elle aussi en aurait mille. Et devaient lui être fournies XI grandes nefs, et accordés trois ans de voyage, ains (?) ses noces célébrer. Et ce fit elle par divine inspiration. Lesquelles choses lui furent octroyées. Quand elle eut tout ordonné à son vouloir, elle monta en mer. Par la volonté de Notre-Seigneur, elle et ses compagnes arrivèrent à un port de Gaule qu’on nommait Tiele, puis de là à Cologne.