Hans Memling, Les Grues
(revers du Triptyque Pagagnotti), vers 1480.
Huile sur chêne, 57,5 x 17,2 cm.
The National Gallery, Londres.
Or, la première miniature que me montra M. Ambroise Didot, renverse complètement ces données, met en déroute les assertions du Voyageur anonyme. Elle représente la dispute de sainte Catherine d’Alexandrie, combattant les orateurs et philosophes païens. La controverse a lieu sur une place publique, devant l’incrédule monarque, appuyé sur la balustrade d’une galerie ; cette balustrade, cette galerie et tout le monument sont d’un style Renaissance très tourmenté. La logicienne, debout, faisant le geste d’une personne qui argumente, c’est-à-dire posant l’index de sa main droite sur le pouce de sa main gauche, est environnée de ses contradicteurs. Derrière le cénacle en plein air, on aperçoit une ville, où des motifs d’architecture ogivale se mêlent à des motifs compliqués dans le goût de la Renaissance. Un pareil amalgame suffirait pour dater la miniature : il annonce le commencement du XVIe siècle. Pendant que je faisais cette observation, je lus avec étonnement sur une frise, qui couronne la porte d’un hôtel fortifié, le mot suivant, écrit en gros caractères :
Gossart ! Jean de Maubeuge ! comme ce nom me transportait loin de Philippe le Bon, de Charles le Téméraire et même de sa fille ! Et, pour qu’il ne restât pas le moindre doute sur l’origine de son œuvre, l’artiste l’a signée une seconde fois.[54] Au bas d’une robe verte portée par un antagoniste de sainte Catherine, parmi d’autres mots qui n’ont peut-être pas été copiés d’une manière bien exacte, sont nettement inscrites ces deux syllabes
Un pli de la robe cache la fin du mot ; mais il est facile de deviner, de compléter cette nouvelle indication et de lire :
Gossart de Maubeuge : on ne pouvait souhaiter une marque d’origine plus nette et plus décisive.
Une des miniatures qui appartenaient à M. Curmer et ont dû se trouver dans sa succession, offre un indice moins précis, mais d’une grande importance pour l’histoire de l’art. Elle représente la circoncision : au-dessous des personnages, sur le pavé du temple, se trouve un B de grande dimension. Je crus au premier abord qu’il désignait le peintre Bernard Van Orley, qui habita l’Italie pendant plusieurs années en même temps que Gossart. Mais des renseignements positifs changèrent mon opinion. Je suis persuadé maintenant que la lettre mystérieuse est l’initiale de nom de famille Barberino, comme je suis persuadé que le manuscrit a été enluminé au delà des Alpes. Quel était ce Barberino ? On l’apprendra en lisant l’histoire du magnifique volume qui était prédestiné aux plus singulières aventures.