Un groupe de touristes japonais, assis dans l'espace, jambes ballant sur le vide... C'est ce que voyait Julie dans le miroir.
– Sors de là, Barnabé !
Seule dans l'appartement parisien de feu le vieux Job, Julie parlait à une armoire à glace.
– Sors de là ou je vais te chercher.
L'armoire lui répondait.
– Tais-toi donc, Juliette, et fais comme moi, regarde le spectacle.
La glace de l'armoire ne renvoyait pas son image, à Julie. La glace de l'armoire lui proposait l'image inversée du téléviseur. Et, dans le téléviseur, ce groupe de Japonais, place du Palais-Royal, assis dans le vide, croisant et décroisant les jambes, se relevant et sautillant au-dessus du sol, grimpant et descendant d'invisibles escaliers sans jamais réussir à toucher terre, pour la plus grande joie de la foule alentour.
Julie n'était pas d'humeur.
– Pour la dernière fois, sors de cette armoire, Barnabé, ou je fous tout en l'air.
– Ecoute le baratin du commentateur, Juliette, et sois sage. C'est de mon art qu'il s'agit, après tout.
Les Japonais en lévitation au-dessus de la place du Palais-Royal s'imposèrent de nouveau à Julie. Malgré tous leurs efforts, ils n'arrivaient décidément pas à atteindre le sol. Ils mimaient le découragement, comme si la pesanteur terrestre leur interdisait, à eux seuls, le plancher des vaches. Tout autour, la place du Palais-Royal, japonaise elle aussi, riait.
Et la voix du commentateur :
– Si les colonnes de Buren ont alimenté la polémique durant le règne du Président-Architecte, nul doute que le regard facétieux de Barnabooth n'inaugure dès aujourd'hui les querelles de demain. Etait-ce de l'art, les pyjamas rayés de Buren ? Est-ce de l'art, la disparition de Buren sous le regard de Barnabooth ? Une attraction pour touristes, les escamotages de Barnabooth, ou le verdict esthétique d'un vengeur masqué ? Une coqueluche passagère, Barnabooth, ou le paroxysme du regard critique ? Qui osera créer, désormais, sous cet œil qui efface ?
– Qui, je vous le demande ? fit en écho la voix ironique de Barnabé dans le secret de l'armoire.
« Et merde, se dit Julie. Ce type massacre sa famille, brûle mes souvenirs d'enfance, nous envoie en taule Benjamin et moi, m'oblige à assommer un flic, me force à m'évader, me plonge dans la clandestinité, et je reste là, comme une conne, à le regarder effacer les colonnes de Buren ! A l'écouter ironiser sur les retombées de son art ! »
Elle arracha le téléviseur de son socle et le précipita dans l'armoire à glace. Implosion, explosion, fracas divers, éclats lumineux, retombées étincelantes. Fumerolles. Silence, enfin.
Et tête de Julie.
L'armoire était vide.
Mais la voix toujours présente :
– Qu'est-ce que tu as fait, Juliette ? Tu as bousillé l'armoire ? Tu croyais sérieusement que je t'attendais dans une armoire à glace ?
Bouche ouverte, bras pendants.
– Je te tuerai, dit-elle enfin.
– La destruction de Loscence ne te suffit pas ? Il faut massacrer aussi le mobilier parisien du vieux Job ?
– Je te tuerai.
– C'est bien pour ça que je ne suis pas dans cette armoire.
– Où es-tu ?
– Où veux-tu que je sois ? Place du Palais-Royal, pardi ! C'est du direct, l'émission ! L'escamotage des colonnes de Buren exige ma présence, et du doigté. Un gros contrat en perspective, avec les Japonais. Ils sont épatants, ces danseurs, tu ne trouves pas ?
– J'en viens, du Palais-Royal !
– Et tu ne m'as pas trouvé, je sais. Juliette, il te faut un émetteur, dehors, si tu veux parler avec moi. Quant à me voir, il n'en est pas question. Renonces-y une fois pour toutes. Personne ne peut me voir. Je ne ferai pas d'exception pour toi, journaliste !
Et ce cri :
– J'y suis arrivé, Juliette ! J'y suis arrivé !
Oh, cette voix ! Julie n'en finissait pas de reconnaître Barnabé dans cette voix. Moins elle le voyait, plus elle le reconnaissait. Cette voix... un écho à peine déformé d'une très lointaine et criarde voix d'enfant : « J'y arriverai !! Juliette, j'y arriverai ! »
Il y avait des siècles de cela, un après-midi de leur adolescence, Barnabé l'avait convoquée dans sa chambre.
– Dans ma chambre. A quinze heures pétantes, Juliette. Une petite minute de retard et c'est foutu.
L'heure exacte à laquelle Liesl, Matthias et Job s'enfermaient dans ce qu'ils appelaient pompeusement leur « laboratoire ». Barnabé proposait toujours quelque chose à Julie, quand les trois autres se retiraient. Et Julie acceptait toujours.
– Quinze heures pile ? Dans ta chambre ? D'accord.
Julie et Barnabé avaient réglé leur montre.
– Tu vas voir ce que tu vas voir, Juliette.
En ouvrant la porte de la chambre, Julie avait poussé un cri. La porte donnait sur le vide. Ou sur le néant. La porte était ouverte et il n'y avait rien derrière. Plus de lit, plus de commode, plus de mur, plus de plafond, plus de poutres, plus de sol, plus d'angles, plus de volume, plus de surfaces. Rien. Une opacité blanche. Elle avait battu des bras, elle s'était adossée à la porte refermée – qui avait disparu à son tour. Perte d'équilibre, haut-le-cœur, tout comme dans le noir absolu de leurs grottes. Elle s'était laissée glisser sur ses talons. Tout en elle était devenu cotonneux, comme si, ouvrant cette porte, c'était en elle qu'elle avait fait le vide, mais un vide saturé de ouate, un néant irrespirable. Elle cherchait son souffle, le cœur au bord des lèvres.
La surprise passée, elle l'avait vu enfin. Quelque part dans cet espace sans espace, en un lieu qu'elle supposa être le coin gauche supérieur de la chambre, elle avait vu le visage de Barnabé. Le visage seul. Comme découpé au rasoir et collé sur une feuille blanche. Un visage aux paupières closes. Sans le corps. Elle aurait aimé détourner les yeux, mais toute cette blancheur la rappelait à ce masque flottant. Sa première pensée avait été pour la fragilité de Barnabé. Dieu que c'est petit, un visage sans rien autour ! Et comme c'est ovale ! Irréel ! Et périssable, pourtant !
Puis un livre ouvert était apparu comme par enchantement devant le visage. Un livre sans doigts pour le tenir. Un livre que Julie reconnut pour être leur passion du moment : le Barnabooth de Valery Larbaud. Et Julie entendit la voix de Barnabé – une voix grêle, privée de corps – lire des vers qu'ils connaissaient tous deux par cœur. Le visage lisait, paupières toujours closes. Mais, derrière ces paupières, Julie voyait nettement les yeux de Barnabé rouler dans le sillage des vers de Barnabooth :
Allez dire à la Honte que je meurs d'amour pour elle ;
Je veux me plonger dans l'infamie
Comme dans un lit très doux ;
Je veux faire tout ce qui est justement défendu ;
Je veux être abreuvé de dérision et de ridicule ;
Je veux être le plus ignoble des hommes.
Puis il y eut le pet sec d'un court-circuit et tout un pan de la pièce réapparut dans une odeur de fil brûlé et de cuivre fondu : la fenêtre, le lit, la commode, que camouflaient des draps blancs. Là-haut à gauche, le visage écarquillait les yeux. Le visage disait : « Merde ! merde ! merde ! merde ! » Dans la pétarade qui avait suivi, le corps de Barnabé se recomposait par saccades. Pieds, jambes, mains, coudes, épaules remontaient à l'assaut du visage dans une atmosphère de foire mexicaine. Une myriade de minuscules projecteurs explosaient les uns après les autres selon un itinéraire complexe. Et Barnabé apparut finalement tout entier, Pierrot lunaire, suspendu à quelques centimètres du plafond, blanc dans sa chambre blanche – longue chemise de nuit volée à Liesl, pieds et mains gantés de chaussettes qui lui faisaient des pattes de lapin, bonnet de nuit enfoncé jusqu'aux oreilles –, blanche chauve-souris prise dans la toile d'araignée de ses cordes de rappel, le Barnabooth de Valery Larbaud maintenu devant ses yeux par des fils de nylon punaisés au plafond : « Merde, merde, merde, merde, ça n'a même pas tenu une minute ! » Et la rigolade compulsive de Julie qui se roulait par terre en frappant le parquet du plat de sa main, et la fureur de Barnabé qui lui jeta le livre à la figure.
– Ma pauvre fille, tu ne seras jamais qu'un cartoon !
Sa fureur et sa résolution, tandis que Valery Larbaud rebondissait contre le mur.
– Un jour, j'y arriverai ! Tu verras, j'y arriverai !
Il y était arrivé. Il n'était plus que sa voix, désormais. Julie écoutait le cadavre d'une armoire à glace.
– Non, Juliette, je n'ai tué ni mon père, ni mon grand-père ! Et je n'ai pas foutu le feu à la maison de Loscence. Et je n'ai pas farci votre camion de preuves accablantes.
– C'était toi, Barnabé ! Chaque pièce qui explosait, c'était toi ! On a suffisamment élargi de galeries ensemble ! Mêmes doses d'explosif, mêmes intervalles.
– Un bon indice, Juliette. Ça prouve qu'il doit y avoir dans cette bande un amateur de spéléo qui connaît son travail.
Un instant elle fut tentée de le croire.
– Ose dire que tu n'y étais pas.
– Pourquoi aurais-je fait ça ?
– Tu y étais ?
– Par vengeance ? C'est la première idée qui t'est venue, hein, Juliette ? La vengeance ! Barnabé aura assassiné le vieux Job parce que le vieux Job l'a privé de papa, c'est ça ? Et pour faire bonne mesure Barnabé a massacré le papa et le reste de la maison.
– Tu y étais, oui ou non ?
– La vengeance ! C'est toujours la première idée qui vous vient, à vous autres. Mais je ne me venge pas, moi ! Barnabooth ne se venge pas ! Tu as entendu parler de ma mise en scène d'Hamlet, à New York ?
– Ne m'emmerde pas avec Hamlet, Barnabé.
– Un scandale du feu de Dieu. Parce que au lieu de se venger, mon Hamlet n'a qu'un désir : annuler cet univers d'assassins et de tricheurs. Qu'ils disparaissent, tous ces menteurs ! Le mensonge et la dissimulation nous transforment en spectres. Le roi, la reine, Polonius, Ophélie elle-même, dissous dans le mensonge social, n'ont pas plus de réalité pour Hamlet que le spectre de son père assassiné. Pourquoi Hamlet vengerait-il un père aussi pourri que l'oncle ? Pourquoi Hamlet tuerait-il un oncle aussi spectral que le père ?
Julie n'avait plus d'autre solution qu'attendre. Barnabé avait toujours eu ça en commun avec Hamlet, oui : le goût des monologues.
– Annuler, Juliette. Pas éliminer, annuler. Effacer les images trompeuses. Tu sais encore ce que les mots veulent dire ? J'annule, moi ! Je ne tue pas, j'annule ! J'ai effacé tout le royaume de Danemark pendant plus de trois actes. Le regard de mon Hamlet annulait tous les personnages. Les acteurs disparaissaient les uns après les autres dès qu'Hamlet posait les yeux sur eux. Trois actes de dialogues flottant dans le vide absolu. Glapissements de la critique, tu penses !
– Barnabé...
– Je ne me venge pas, moi, je ne me mesure pas aux autres, je romps la chaîne ! Tu entends ? Annuler ! Annuler ! Tout est là. Et surtout, pas de souvenir ! Je ne commémore pas ! Je ne suis allé ni à l'enterrement de Liesl ni à celui de Job et de Matthias. Je me suis interdit de commémoration ! Je croirai aux commémorations quand les Allemands viendront pleurer nos morts et que nous irons nous agenouiller sur les tombes d'Algérie, quand les Arabes pleureront les Juifs égorgés, et les Juifs les Palestiniens abattus, quand les Amerloques se recueilleront sur les ruines japonaises et que les Nippons demanderont pardon aux dépouilles chinoises et aux femmes coréennes... Alors là, seulement, moi aussi j'irai pleurer les morts...
Il se tut brusquement.
– Bon. Tu veux savoir si j'étais à Loscence ?
Elle n'eut même pas le temps d'être surprise.
– J'y étais, Juliette. Je t'avais prévenue que je ne te laisserais pas projeter le Film Unique. Je suis allé chercher la bobine.
– Seul ?
– Non. Avec votre Clément. Vous lui aviez flanqué une telle mauvaise conscience, à propos de Cissou la Neige, qu'il ne demandait qu'à se racheter, le pauvre. Il a accepté de m'aider.
– Tu avais besoin d'aide, Barnabé, toi ?
– Je ne voulais pas entrer dans la maison de Loscence. Trop de souvenirs... Et ce gosse voulait sauver sa conscience. Quand je lui ai dit que la projection de ce film constituerait un crime autrement grave que l'exposition des tatouages de Cissou, il s'est porté volontaire.
– Alors ?
Il y eut une hésitation dans la voix.
– C'était un gosse attachant, Juliette. Il ne vivait que pour le cinéma. Mais vous lui avez flanqué une Ophélie dans les pattes.
– Barnabé, merde ! Ne recommence pas avec Hamlet !
– Il me demandait : « Où me conduisez-vous, Barnabooth, chez la Belle ou chez la Bête ? »
– Il t'a vu ? Tu t'es montré à lui ?
– Je te répète que je ne me montre à personne. Non. Deux voitures. Lui devant, moi derrière. Je l'avais équipé. Je lui indiquais le chemin au fur et à mesure.
– Alors ?
– « Alors ? » « Alors ? » « Alors ? » Il faudrait que tu t'entendes poser tes questions, Juliette.
– Ne commence pas, Barnabé...
– Ce n'est déjà plus pour sauver ton Malaussène que tu m'interroges... je m'y connais, en arrière-voix... « Alors ! » « Alors ! » L'obscène appétit du scoop ! Vous êtes tous bâtis sur le même modèle, journalistes ! Les « comment ? » vous intéressent beaucoup plus que les « pourquoi ? ». Parce que la seule vraie question qui compte, au fond, c'est « combien ? », hein ? Combien d'exemplaires ? Combien d'auditeurs ? Combien de collègues sur le coup avant moi ? Combien de fois a-t-on traité le même sujet ?
– Barnabé, tu les as tués avant ou après l'arrivée de Clément ?
Ce coup d'arrêt pour abréger la tirade sur le journalisme. Mais Julie avait dû frapper trop fort. Le silence qui suivit fut presque aussi long qu'une tirade. Elle se retrouvait assise devant une armoire obstinément muette. Elle savait qu'il attendait une nouvelle question et que cette question prolongerait son silence. Il savait qu'elle s'abstiendrait, et dit, finalement :
– Quand Clément est entré dans la maison, il y avait au moins deux personnes à l'intérieur. Un homme et une femme.
« C'est donc ça... », pensa Julie.
– Ils lui ont sauté dessus ?
– Pas tout de suite. Ils ne l'ont pas vu tout de suite. Il est allé directement dans le bureau de Job. Je lui avais fait un plan de la maison pour qu'il ne perde pas de temps à s'extasier sur les bibelots. C'est en entrant dans le bureau qu'ils l'ont vu.
Nouveau silence de Barnabooth.
– Vous l'aviez vraiment rempli de honte, ce pauvre gosse.
Et encore :
– Parce qu'il s'est cru obligé de se comporter en héros.
Puis :
– Il a fait illusion un certain temps. Mais les deux autres ont fini par comprendre.
Silence.
– Ils l'ont tué ?
– Clément a dû bondir vers la porte. La femme a crié : « Arrête-le ! » Il y a eu un choc, et je n'ai plus rien entendu.
– Où étais-tu, toi ?
– Derrière, sur la route forestière, tu vois ?
– Et qu'est-ce que tu as fait ?
– J'ai hésité. J'ai commencé à descendre vers la maison, et je les ai vus sortir. Une grande fille et un gros type. Le type portait Clément sur son épaule. La fille est montée dans une Fiat rouge et le gros type a récupéré la voiture de Clément sur le chemin de Maupas. Cinq minutes après, ils sont passés devant moi. J'ai couru à ma voiture. En sortant des bois ils ont pris à droite, par la route du col de Carri. Je les ai suivis de loin. De trop loin. Parce que quand je suis arrivé au col de la Machine, je n'ai plus vu que la Fiat rouge. Elle démarrait sur les chapeaux de roue. Ils avaient jeté la voiture de Clément du haut de la falaise. Elle doit être encore en bas, dans les bois de la combe Laval.
– Quel genre de voiture ?
– Une petite Renault blanche, de location.
– Et ensuite, qu'as-tu fait ?
– J'ai descendu le rocher de Laval. J'avais ma corde de rappel dans le coffre.
– Alors ?
– Il était mort, Juliette.
Silence.
– Barnabé ?
– Oui ?
– Je te crois.
BARNABÉ : ...
JULIE : Mais, dis-moi...
BARNABÉ : Oui ?
JULIE : ...
BARNABÉ : Oui, Juliette ?
JULIE : Pourquoi n'es-tu pas retourné à Loscence, après ? Tu savais que nous allions arriver, non ?
BARNABÉ : Je ne savais pas quand.
JULIE : Ça ne valait pas le coup de nous attendre ? De nous prévenir ? Ou de prévenir la gendarmerie à propos de Clément ?
BARNABÉ : Pour qu'ils me collent le meurtre sur le dos ? Pas question.
JULIE : Au fond tu as préféré qu'ils nous alpaguent à ta place, c'est ça ?
BARNABÉ : Mais non ! Je ne pouvais pas savoir que la maison était piégée !
JULIE : Tu veux que je te dise pourquoi tu es remonté à Paris ? La vraie raison ?
BARNABÉ : ...
JULIE : Pour préparer ton exposition, Barnabooth.
BARNABÉ : ...
JULIE : La pureté selon Barnabooth. La morale de Barnabooth, l'universel donneur de leçons... Des tueurs occupent la maison du vieux Job, un jeune homme meurt pratiquement sous ses yeux, sa petite sœur d'enfance risque d'être impliquée dans l'affaire... Que fait Barnabooth, celui qui ne se venge pas, celui qui annule et ne commémore jamais, le Barnabooth unique, Barnabooth le pur, Noé sauvé de l'espèce humaine, que fait le nouvel Hamlet en cette triste occurrence ? Vous croyez qu'il va s'enquérir de la santé des siens ? Ou qu'il se soucie de la sépulture du jeune Clément ? Du tout ! Il ferme la parenthèse. Il annule... Il remonte à Paris préparer l'escamotage des colonnes de Buren !
BARNABÉ : ...
JULIE : Un contrat est un contrat.
BARNABÉ : ...
JULIE : Une carrière est une carrière...
JULIE : Et une pareille manifestation se prépare avec soin.
BARNABÉ : ...
JULIE : Pas question de la compromettre en traînant dans un fait divers.
BARNABÉ : ...
JULIE : Barnabé, tu m'écoutes ?
BARNABÉ : ...
JULIE : Quand tu es descendu constater la mort de Clément, tu n'avais qu'une idée en tête.
BARNABÉ : ...
JULIE : Récupérer l'émetteur-récepteur. Ne pas laisser de trace.
BARNABÉ : ...
JULIE : ...
BARNABÉ : ...
JULIE : Inutile de te rendre invisible, Barnabooth. On te repère de loin. Tu es la merde la plus puante que la terre ait jamais chiée !
« Bon, qu'est-ce que je fais, maintenant ? » Julie avait installé un silence d'escamoteur dans les ruines de l'armoire à glace. « Qu'est-ce que je fais ? »
Elle jeta un regard autour d'elle. Hormis ses deux visites à Barnabé, elle n'avait jamais mis les pieds dans les bureaux parisiens de Job. Elle n'y reconnut rien de son vieux mentor. Pas la moindre trace de Liesl non plus. Un de ces bureaux élyséens qui ont pour seule fonction de dire la « surface » d'une entreprise. A part le coup du miroir qui ne vous reflète pas, Barnabé s'était bien gardé d'y apporter la moindre touche personnelle. Et l'armoire à glace, désormais, se portait mal. « Bon, je m'en vais », se dit Julie en restant assise.
– Je m'en vais.
Elle se leva enfin.
– Où vas-tu ?
L'armoire à glace reprenait du poil de la bête. Julie se dirigea sans répondre vers le couloir de la sortie.
– Ne fais pas l'idiote, Juliette. Reviens et ouvre le faux plancher de l'armoire.
Elle s'arrêta. Elle jeta un coup d'œil incrédule à l'armoire. Le faux plancher ?
– Il s'ouvre en glissant ta main par-dessous. Tu trouveras une targette. Ça coulisse. A moins que tu n'aies tout cassé, ça devrait coulisser.
Elle revint sur ses pas et fit ce que l'armoire lui disait. Ça coulissait.
– Prends l'enveloppe.
Une petite enveloppe de papier kraft.
– C'est la conversation entre Clément et ses agresseurs. J'ai tout enregistré.
L'enveloppe contenait un minuscule magnétophone chargé d'une cassette.
– Assieds-toi. Ecoute ça tranquillement. Et tu comprendras pourquoi je suis rentré à Paris.
Julie retourna s'asseoir en face de l'armoire. Tout en sortant le magnétophone de l'enveloppe, elle entendit Barnabé conclure :
– On a volé le film de Job et de Liesl, Juliette.