Chapitre Cinq

Au matin, je nourris Monkey et consulte mes e-mails professionnels tout en mangeant une omelette.

— Tu as intérêt à être sage, lancé-je à mon cochon d’Inde avec un froncement de sourcil moqueur, tout en rassemblant mon ordinateur de travail, mon téléphone et la valise. Je vais prendre le taureau par les cornes.

Elle m’adresse un regard vide.

— Quoi, tu crois que les cornes du taureau, c’est une métaphore sexuelle dans cette expression ? lui demandé-je.

Aucune réaction.

— Ouais, je sais. Pourquoi on utilise toujours le vocabulaire animal pour désigner tout ce qui touche au sexe ? Chatte, cochon, queue… l’humanité aurait un penchant bestial subconscient ?

Elle se retourne et déguerpit dans sa petite cabane. Visiblement, elle n’a pas l’intention de gratifier mes paroles d’une réponse.

J’emporte mon téléphone pro, mon ordinateur, la valise et Précieux dans la chambre, avant d’allumer quelques bougies autour du lit et de lancer du Léonard Cohen sur mon Echo pour me mettre dans l’ambiance.

J’ouvre la valise et en sors le vibromasseur, le jouet qui m’intrigue le plus – principalement parce qu’Ava chante tant les louanges du sien que je la soupçonne de toucher une commission du fabricant.

Ce vibromasseur spécifique est fait d’un matériau mou de l’ère spatiale, dont le toucher évoque la gelée de limaces – mais d’un rose sexy, alors j’imagine que ça passe.

J’ai déjà ma première plainte du point de vue qualité : la boîte du vibromasseur ne comporte aucune instruction, et il n’y a pas non plus de petit manuel en papier à l’intérieur. Je ne vois qu’une brève note : Téléchargez l’application Belka sur votre téléphone.

J’inscris cette remarque sur mon document de test. Il est possible que nos amis de chez Belka aient omis les instructions supplémentaires parce qu’il s’agit de prototypes, mais c’est peu probable. L’emballage est trop soigné pour ça, il s’agit peut-être bien d’un oubli.

Avec un peu de chance, mon diplôme de sciences m’aidera à comprendre comment utiliser un vibromasseur, même connecté.

Je télécharge l’application sur Précieux et choisis « vibromasseur » sur l’écran proposant les différentes options de jouets. L’appli m’informe qu’elle est connectée au vibro via Bluetooth et que la batterie est pleine – très bon début.

Je clique sur l’icône « se connecter avec le partenaire » et apprends que l’on peut faire ça par e-mail, SMS, et même en passant par les réseaux sociaux.

J’opte pour tester d’abord la version SMS et saisis le numéro de mon téléphone professionnel.

Pour donner l’impression que je teste les jouets via internet, je programme mon téléphone professionnel de sorte qu’il se connecte par un serveur proxy localisé au Tadjikistan – plus c’est loin, mieux c’est. Puis je clique sur le SMS et l’on m’invite à télécharger l’application Belka. Une fois que l’appli est prête, elle ouvre une petite fenêtre de vidéo-conférence – avec des options pour voir/entendre son partenaire, ou pas.

Je consigne tout cela par écrit.

L’installation était assez facile. Mais une fois encore, il serait peut-être bon de faire jouer quelqu’un de moins calé en technologie, juste au cas où – peut-être une grand-mère qui n’aurait pas froid aux yeux ?

Quoi qu’il en soit, la version téléphonique de l’application est désormais en mode « donneur », tandis que Précieux est le « receveur ».

Je ne garde que mon téléphone professionnel dans les mains, parce que j’ai besoin d’accéder aux contrôles. Ils se composent d’un bouton de démarrage et d’une molette pour l’intensité.

Chaque chose en son temps.

J’applique le vibromasseur contre mon avant-bras et appuie sur démarrer.

Waouh.

Il ne fait pas que vibrer. La matière étrange ondule, à défaut de meilleur terme. La sensation est… intéressante. Je modifie l’intensité jusqu’à en trouver une qui pourrait être agréable contre mon clitoris, puis j’éteins le vibromasseur.

Je soulève le bas de ma robe et retire ma culotte. Juste pour me marrer, j’ai mis la culotte fantaisie qu’Ava m’a offerte après ma rupture. Elle déclare audacieusement : « Journée portes ouvertes ».

Avec précaution, je presse le vibromasseur contre ma peau. Ça me chatouille et c’est un peu froid.

C’est parti. Il est temps de commencer ma journée de travail.

J’ouvre mon application de minuterie pour la section « Durée » du document de test, et tends le doigt vers le bouton de démarrage.

Soudain, Précieux émet une sonnerie qui m’interrompt.

J’échange mon téléphone professionnel contre l’autre et constate que je viens de recevoir un message d’Ava.

Évidemment. Est-ce qu’on peut se sentir bridée quand quelqu’un nous empêche d’utiliser un vibromasseur ?

Quand tu auras le temps entre deux jouets, va te faire empaler par l’Empaleur, déclare son texto.

Comment a-t-elle fait pour flairer ce que je m’apprêtais à faire ? Elle a dû tellement utiliser son propre vibro qu’elle a acquis un super-pouvoir psychique. Ou peut-être qu’elle a été mordue par son vibro – après tout, Bluetooth signifie dent bleue en anglais ?

Précieux sonne à nouveau. Cette fois, c’est une émoticône d’aubergine.

Je lui écris : Je suis occupée, avant de passer Précieux en mode silencieux pour récupérer mon téléphone professionnel.

Mon doigt au-dessus du bouton de démarrage, je fais de mon mieux pour contrarier les plans d’Ava en évitant de penser à l’Empaleur.

C’est ça, bien sûr… Comme le sait quiconque a déjà tenté de ne pas penser à quelque chose, plus on essaie, plus on se retrouve à penser à l’objet interdit.

Et c’est doublement vrai quand ledit objet est aussi sexy que celui que j’ai en tête.

Très bien. Peu importe. Je me sentirai peut-être mieux si je visualise ses lèvres délicieuses caressant mon clitoris plutôt que de la gelée de limaces.

L’image de ses yeux lapis-lazuli hypnotiques fermement en tête, je lance le chronomètre et appuie sur le bouton démarrer.

Bzzz.

Je laisse tomber à la fois le téléphone et le vibromasseur, alors qu’un orgasme puissant déchaîne une vague d’endorphines dans tout mon organisme. Un orgasme total, qui me crispe les doigts de pieds – aussi incroyable qu’inattendu.

Alors que les derniers spasmes parcourent mon corps, je fixe le jouet, sidérée.

Est-ce que ça vient vraiment de se produire ?

S’agit-il d’un vibro de niveau militaire, ou est-ce que je viens de développer l’équivalent féminin de l’éjaculation précoce ?

Me mordillant la lèvre, j’ouvre l’ordinateur portable et observe le document de test.

« L’orgasme a-t-il été atteint ? » On peut le dire, oui.

« Combien de fois ? » Une, pour l’instant.

« Durée de la session ? » Aucune idée. Je note une microseconde.

Et maintenant, quoi ? Je devrais peut-être refaire le même test une deuxième fois ? Après tout, la personne qui a rédigé les notes manuscrites sous-entendait qu’il y aurait de multiples sessions.

Au deuxième essai, j’émets un grognement de douleur plutôt que de plaisir. Mon clitoris est hyper sensible après la première tentative.

Je vais peut-être faire une petite pause.

Un peu nerveuse, je prends le godemichet dans la valise et ouvre l’emballage.

Encore une fois, aucune instruction, juste un petit sachet de lubrifiant et l’objet lui-même – énorme et de la même matière molle que le vibro, sauf qu’il est vert avocat plutôt que rose.

Je n’en fais pas mention dans mon rapport de travail, mais ce truc m’évoque un tentacule alien. Je le nomme mentalement Glurp.

Je prends Glurp dans ma main et le compare sans concession à l’équipement de mes ex.

Ouais, Glurp est un grand garçon, presque au point d’en être effrayant.

J’ouvre le sachet de lubrifiant et noie presque Glurp dans le liquide visqueux, avant de raviver à ma mémoire l’image de l’Empaleur tout en glissant le bout du gode entre mes plis.

Hum.

La sensation et la taille sont déjà plutôt agréables. Mon premier orgasme a dû me préparer.

Je pousse Glurp plus profondément et récupère le téléphone professionnel pour faire prendre vie au tentacule.

Bzzz.

Je ne jouis pas instantanément, cette fois, mais la vibration, ou quoi que cela puisse être, provoque une sensation incroyable. Mes muscles internes se crispent et je me sens au bord de quelque chose de vraiment intense.

Je découvre plusieurs options intéressantes sur l’application, comme la stimulation du point A ou du point G.

Je vais devoir tous les tester, mais pour l’instant, je choisis le point G, le seul dont j’ai déjà entendu parler.

Je presse le doigt sur la touche correspondante.

Glurp commence à se tortiller légèrement en moi, comme s’il zoomait sur sa cible.

Ding ding.

L’écran de vidéoconférence de mon téléphone professionnel apparaît, dissimulant une partie de l’appli Belka.

Mince. C’est Sandra, ma boss.

Qu’est-ce qu’elle peut bien vouloir ? Il y a une différence entre le micro-management et interrompre votre fidèle employée alors qu’elle s’apprête à trouver Nemo.

J’appuie sur l’écran pour rejeter l’appel.

L’application de vidéoconférence s’étire sur tout l’écran.

Oh, merde.

J’ai dû mal appuyer.

— Salut, Fanny, lance Sandra avant d’écarquiller les yeux. Est-ce que j’interromps quelque chose ?

Je rougis comme un crabe ébouillanté et désactive vivement la vidéo.

Est-ce qu’elle a vu quelque chose ? Impossible, la caméra était pointée sur mon visage, pas sur Glurp.

Et tout cas, je l’espère.

Mais pourquoi cette question, dans ce cas ? Elle a peut-être compris qu’il se passait quelque chose, à l’expression béate sur mon visage ?

— Je voulais juste m’assurer que le Projet Belka était en bonne voie, me dit-elle d’un ton penaud.

Je me rends compte que je ne lui ai toujours pas répondu.

— Ne t’inquiète pas, dis-je dans un couinement. C’est entre de bonnes mains.

Je ne saurais dire si elle m’a entendue ni même si elle me répond, parce que Glurp choisit cet instant pour donner le coup de grâce à mon point G.

Je me mords la lèvre pour retenir un gémissement alors que mes yeux roulent dans leurs orbites.

— Merci, répond Sandra. Fais-moi un bilan par e-mail quand tu en auras l’occasion.

— Oui !

Elle raccroche.

J’extirpe Glurp de mon corps et me précipite dans la salle de bains pour asperger d’eau glacée mon visage en surchauffe. Je laisse Glurp de côté pour le nettoyer plus tard et reviens consigner cette session dans le document.

Ils ont plutôt intérêt à m’autoriser à changer de département. Après ça, je ne pourrai plus jamais travailler pour Sandra ni même la regarder dans les yeux.

Et puis, est-ce qu’on ne risque pas de développer une obsession de cette manière ? Si ça se trouve, maintenant, j’aurai besoin que Sandra m’appelle chaque fois que je commencerai à être dans tous mes états.

Je regarde dans la valise et hésite sur le prochain objet à tester.

Le plug anal attire mon attention.

Il est assez petit pour ne pas être intimidant – ce qui est une bonne chose pour moi, qui suis vierge de ce côté-là.

J’ôte l’emballage et lis le titre.

Belka Anal.

Est-ce que Belka signifie quelque chose, mis à part le nom de ce projet ?

Une recherche rapide me révèle qu’il s’agit d’un mot assez commun dans plusieurs langues slaves. Il signifie poutre en polonais (aïe), blanc d’œuf en macédonien (bizarre) et écureuil en russe (hum, d’accord). Compte tenu du pays d’origine de Vlad, je dois supposer que le nom du jouet et du projet renvoie à cette dernière acception.

Ce qui veut dire… un écureuil anal ? J’imagine un rongeur obsédé par la propreté de son parc. Qui a décidé que ce serait un nom adéquat pour ce truc ?

Mais après tout, Ava m’a parlé de cette fois où un type est arrivé aux urgences avec un hamster coincé dans le derrière – il faut croire que l’idée de se mettre un rongeur entre les fesses en séduit certains, alors pourquoi pas un écureuil ?

Je ne pourrais jamais parler de ça à Monkey. Étant elle-même rongeur, elle serait traumatisée à vie. Au moins, en ce qui concerne Belka, aucun animal ne sera blessé lors des expériences.

Je pose le téléphone professionnel sur le lit, me couche à plat ventre et me passe le lubrifiant fourni avec le jouet écureuil entre les fesses.

Que ne ferais-je pas pour la science ?

Pour le service qualité, du moins.

Ou pour un salaire.

Me sentant particulièrement coquine, je place le bout du jouet devant mon anus et pousse légèrement pour tester le niveau de résistance de mon corps. Il y en a un peu, mais pas autant que je m’y attendais.

Bon, d’accord, l’écureuil est petit.

Plus audacieuse, j’accrois la pression.

J’éprouve une petite pointe d’inconfort, puis comme une poire à jus dans une dinde, l’écureuil s’enfonce sans le moindre mal.