— Non, ne faites pas ça ! Je vais appeler les secours ! Ne venez pas ici !
Pas de réponse. Il a raccroché.
Avec un grognement frustré, j’appuie à nouveau sur la touche d’aide.
Un son qui ressemble à une tonalité se fait à nouveau entendre dans le téléphone, mais j’ai beau attendre longuement, personne ne décroche.
Je pourrais peut-être l’appeler directement ?
C’est ça. Dès que j’aurai découvert comme par magie quel est son numéro de téléphone. À moins que… Sandra le connaît peut-être ?
Beurk, non. Je ne veux pas l’impliquer là-dedans. Soit elle aura une crise cardiaque en pensant que le projet a mal tourné, soit elle mourra de rire en apprenant ce qui s’est passé.
Comment est-ce que l’Empaleur sait où je vis, d’abord ? L’application a-t-elle accédé au GPS de mon téléphone professionnel, ou a-t-il simplement jeté un œil à mon dossier d’employée ?
Bref, le comment n’est pas important. L’important, c’est qu’il sera bientôt ici. Le fait qu’il ait entendu toute la conversation à propos de « l’écureuil dans le postérieur » avec Ava est déjà bien assez grave. Ça me donne envie de ramper dans un trou pour y mourir. S’il vient ici et doit me sauver les miches – au sens propre du terme –, je risque bien de mourir de honte.
Il n’y a qu’une chose à faire.
Je dois expulser l’écureuil.
Contente d’avoir un objectif bien défini, je me lève prudemment.
Toujours aucune douleur abdominale, tant mieux. Malheureusement, l’écureuil ne descend pas sous la force de la gravité – d’une certaine manière, je l’espérais un peu.
Très bien.
Je me dirige vers la salle de bains d’une démarche raide. Je comprends mieux l’expression « avoir un balai dans le cul ».
Je m’assois sur les toilettes et j’attends.
Rien ne se passe.
Je pousse.
Nada.
Après avoir attendu en vain pendant quelques minutes, je me rappelle qu’Ava a parlé de fibres. Je me lève et me rends à la cuisine d’un pas mal assuré pour prendre une pomme.
J’y mords, puis je retourne sur mon trône en porcelaine.
Non.
Oh, mais quelle cruche ! Je sais que les fibres ont besoin de plus d’une minute pour faire effet.
Je me lève et essaie de faire les cent pas dans l’appartement.
Ça n’a aucun effet.
Je déroule mon tapis de yoga et exécute la Pince Debout.
Pas même une petite crampe d’estomac.
Aucune autre position ne fonctionne, ni celle du Chien, ni le Triangle, ni le Pivoté Couché.
Monkey me regarde faire avec une expression indéchiffrable.
— Ne me juge pas, lui dis-je.
Enfin, je m’apprête à sortir l’artillerie lourde : la position de Suppression de Vent, quand on est sur le dos avec les genoux contre la poitrine.
Même cette arme de yoga puissante ne fonctionne pas.
Bon, je n’ai plus le choix. Je vais devoir affronter l’Empaleur – et je suis dans un état lamentable, pas seulement à cause de cet objet incongru dans mon derrière.
J’échange rapidement ma robe décontractée et un peu moche contre une autre plus jolie, prends mon kit de maquillage et un miroir, avant de me percher sur les toilettes (l’espoir fait vivre) pour me donner une apparence semi-humaine.
Pour le rouge à lèvres, c’est facile. Les cils aussi. Mais j’ai beau faire tous les efforts possibles pour ajuster mon sourcil manquant, je n’arrive pas à le rendre jumeau de l’autre – on dirait à peine un cousin au deuxième degré, et c’est le mieux que je puisse faire.
Je devrais peut-être me débarrasser du sourcil restant tout de suite ? Le problème, c’est que je ne possède pas de rasoir, et que je n’ose plus toucher à la crème dépilatoire au vu des circonstances. La dernière chose dont j’ai envie, c’est de me retrouver avec des bouts de crâne chauve, de la crème dans le derrière, ou pire encore.
Le problème de sourcil ajoute à ma frustration.
Pour qui se prend-il, à venir ici comme ça ?
Eh bien, j’imagine qu’il se prend pour mon patron au carré. Il réalise sûrement que le fait d’avoir le pouvoir de me virer l’autorise à faire tout ce qu’il veut. Il n’apprécie probablement pas l’éventualité de l’action en justice que mes parents intenteraient si je mourais à cause de l’écureuil. Malgré tout…
La sonnette retentit et mon pouls bondit jusqu’à la stratosphère.
Il est ici !
Même la perspective de mon humiliation à venir ne relâche rien – comme quoi, se chier dessus, ce n’est qu’une expression. Mais après tout, on dit bien « serrer les fesses » en cas de situation difficile, alors c’est peut-être ce qui m’arrive ?
Mon téléphone professionnel sonne. Puis Précieux se joint au concert.
Avec l’impression d’être sur le point de mourir, je décroche :
— Comment vous sentez-vous ? demande l’Empaleur.
Je déglutis. Est-ce une inquiétude sincère que j’entends dans sa voix ?
— Mieux que jamais. Vous n’aviez pas besoin de venir. Je maîtrise…
— Nous allons aux urgences.
C’est un ordre qui ne laisse aucune place à la négociation.
— Avez-vous besoin d’aide pour sortir ?
Ai-je imaginé la menace dans cette question, est-ce qu’il défoncera ma porte si je donne la mauvaise réponse ?
Non. C’est un gentleman qui attend d’être invité officiellement pour entrer chez quelqu’un.
Je frotte mes joues brûlantes et réponds :
— Je peux marcher.
— À tout de suite, dit-il avant de raccrocher.
J’envoie un texto à Ava pour la mettre au courant, récupère mes deux téléphones et me précipite dans l’entrée pour enfiler une paire de baskets.
Quand faut y aller…
J’ouvre la porte.
Il est là, alléchant dans toute sa gloire.
Il croise mon regard et quelque chose – probablement la honte – fait fléchir mes genoux.
Ses mains fortes me rattrapent par le coude.
Une décharge d’électricité remonte le long de mon bras à ce contact, et je trébuche presque.
Son expression change, un froncement de sourcils apparaissant sur son visage. Il aboie quelque chose en russe, et un type costaud d’âge moyen s’empare soudain de mon autre coude, avec des doigts gros comme des saucisses et plus poilus que ceux d’un yéti.
Il est venu avec un employé ?
— Marchez avec prudence, m’ordonne l’Empaleur.
Quand je mets un pied devant l’autre sans tomber tête la première, il émet un grognement approbateur.
Avec réticence, j’accepte leur aide et me laisse guider vers une limousine garée au bord du trottoir.
Ils ouvrent la portière et me déposent à l’intérieur. L’Empaleur grimpe à son tour et s’assoit à côté de moi. Je capte une légère bouffée de son délicieux parfum à la bergamote et aux agrumes, et ma respiration s’accélère, soudain irrégulière.
J’espère que je ne vais pas m’évanouir. Qui sait ce qui pourrait sortir de mon corps si je perdais connaissance ?
L’employé monte au volant et claque la portière derrière lui.
Je racle ma gorge soudain sèche et demande :
— Alors, vous avez un chauffeur ?
L’Empaleur se penche vers moi et boucle ma ceinture – manquant faire fondre mon cerveau au passage.
— Ivan est plutôt ce qu’on pourrait appeler un assistant personnel.
Vraiment ? Ivan ressemble plus à un garde du corps, ou au mafieux qui veut découper le M&M jaune en petits morceaux pour le saupoudrer sur sa glace, dans cette publicité du Super Bowl.
L’expression sinistre, Ivan tourne la clef de contact.
Pourrait-il s’agir du fameux Ivan, comme dans Ivan le Terrible ? Je n’ai aucun mal à l’imaginer : l’Empaleur se sentait seul, il a trouvé un homme dont le nom était presque aussi grandiose que le sien, l’a transformé et cela a marqué le début d’une belle amitié.
La voiture démarre dans un crissement de pneus.
— Nous allons à l’hôpital presbytérien, n’est-ce pas ? demandé-je après avoir ravalé mon cœur, qui m’était remonté dans la gorge.
L’Empaleur ferme la cloison qui nous sépare d’Ivan.
— Votre amie avait l’air de connaître son métier.
Une vague de chaleur piquante recouvre mon visage lorsque je me remémore la conversation à laquelle il fait référence.
Sans me prêter beaucoup d’attention, il récupère un ordinateur portable sur le siège voisin et l’ouvre, affichant une page remplie de lignes de code stylisées.
Il regarde l’écran en plissant les yeux, et ses doigts que j’ai une folle envie de lécher dansent sur le clavier avec la grâce d’un pianiste.
— Passez-moi le téléphone qui est en mode « donneur », dit-il sans lever les yeux.
Je lui tends mon téléphone professionnel. Je commence à avoir une petite idée de ce qu’il fait, et envisage fugacement de sauter de la voiture.
Après avoir pianoté pendant quelques minutes, il branche le téléphone au port USB de son ordinateur et tapote sur le pavé tactile, l’air d’attendre quelque chose… que l’application se mette à jour, à mon avis.
— Dites-moi si vous ressentez quelque chose, dit-il avant de cliquer sur une touche de l’écran, confirmant mes soupçons.
Quelque part en moi, l’écureuil prend vie.
— Quelque chose ! m’exclamé-je, rougissant comme une écrevisse bouillie.
Il hoche la tête d’un air approbateur et clique sur une autre touche, endormant à nouveau le bidule.
— Vous avez réparé le bug que j’ai trouvé, dis-je, exprimant ma première théorie.
— C’était bien vu, répond-il en me regardant droit dans les yeux. Excellent travail.
Mon cœur volette agréablement dans ma poitrine. Si j’étais toujours complimentée comme ça durant mes tests, je ne voudrais peut-être pas passer au département de développement.
Plus rouge que jamais, je tends la main vers le téléphone entre ses doigts.
— Arrêtons-nous aux toilettes les plus proches, et je m’occuperai du reste.
— Non, réplique-t-il en écartant l’appareil hors de ma portée. J’ai fait quelques recherches. Vous avez besoin d’une radio et d’être supervisée par un médecin.
Il a fait des recherches au sujet de la réaction à adopter quand votre employée se coince quelque chose dans le popotin ?
Pitié, qu’on m’achève. Ce serait un crime de compassion.
La voiture s’arrête brusquement.
— On est arrivés, dit-il en se penchant pour défaire ma ceinture.
Mes hormones passent en surcharge.
Arrête ça. C’est ton patron au carré.
Mais il sent si bon.
Et tu ressembles à une cannibale, maintenant. Reprends-toi. Il…
— Vous allez bien ? demande-t-il.
— À merveille.
Était-ce de l’inquiétude, à nouveau ? Plus important encore, depuis combien de temps étais-je en train de me parler à moi-même ?
— Allons-y, dit-il en me guidant à l’extérieur.
Son assistant personnel et lui me prennent chacun par un coude et me dirigent vers l’entrée des urgences comme si j’étais une invalide.
Oh, ça aurait pu être pire. Il aurait pu me pousser dans un fauteuil roulant. Ou sur un brancard.
Mon patron au carré me laisse dans la salle d’attente et renvoie Ivan à la voiture, avant d’aller récupérer un formulaire au bureau de la réception – ce qui me laisse un moment pour envoyer un message à Ava afin de lui faire savoir que je suis arrivée.
Je viens te voir, répond-elle. Attends-moi.
Bien sûr. Je comptais caracoler dans tout l’hôpital, mais je vais attendre.
L’Empaleur revient avec le formulaire et m’aide à le remplir – comme si mes doigts étaient endommagés. À mi-chemin, nous nous disputons : au lieu de me laisser faire jouer mon assurance, celle que me procure sa propre société, il veut tout payer lui-même.
— C’est moi qui vous ai fait venir ici, dit-il par-dessus mes objections. C’est le moins que je puisse faire.
Très bien. Il m’a effectivement traînée jusqu’ici. Qu’il paie… et je suis sûre que la facture sera assez salée pour lui donner une leçon en matière de libre arbitre.
— Fanny !
C’est Ava, vêtue de sa blouse et souriant comme une folle. Ses yeux alternent entre moi et mon patron au carré.
— Je vais rendre le formulaire, dit l’Empaleur une fois les présentations faites.
Ava attend qu’il soit (j’espère) hors de portée de voix avant de se mettre à sauter dans tous les sens tout en tapant dans ses mains comme une enfant de maternelle.
— Tu ne m’avais pas dit que l’Empaleur ressemblait à ça. Et il t’a amenée ici ? Est-ce que tous les deux…
— Il y a une salle privée où tu pourrais me cacher ? dis-je en l’interrompant.
Je jette un œil pour vérifier que l’Empaleur s’est bien éloigné – et je fais bien, parce qu’il est en train de revenir.
— Pas officiellement, mais oui, répond Ava. D’abord, je vais t’emmener faire une radio.
L’Empaleur entend la fin de cette phrase et hoche la tête d’un air approbateur.
Ava hausse un sourcil.
— Monsieur Chortsky, voulez-vous attendre ici, aller dans la chambre de Fanny ou venir avec nous pour la radio ?
Je la fusille du regard. Je ne veux pas qu’il approche de ma chambre. Ni qu’il intervienne durant ma radio.
Il me prend à nouveau le coude, provoquant une autre vague de picotements dans tout mon corps.
— Je viens avec elle.
Ava me fait un clin d’œil avant de l’aider à me guider jusqu’à l’ascenseur de service, qu’elle ouvre avec sa carte de l’hôpital.
Un couloir plus loin, elle me pousse dans une salle où un technicien nous attend. Je lance un regard inquiet à Ava et l’Empaleur, qui restent tous deux en arrière dans le couloir.
J’ai un mauvais pressentiment, et pas seulement parce que ça me rend jalouse. Ava n’a quasiment aucun filtre quand elle parle, et qui sait les dégâts qu’elle pourrait causer ?
Vu que je n’ai pas le choix, je fais de mon mieux pour que la radio se termine le plus vite possible, et quand je ressors de la salle en courant, Ava et l’Empaleur s’interrompent brusquement.
A-t-elle l’air coupable ?
Avant que je puisse confronter qui que ce soit, je suis menée jusqu’à un poste d’infirmière où Ava oriente un écran dans notre direction.
Là, je découvre une radio révélant ce à quoi je pouvais m’attendre : l’image d’un pelvis modèle, avec la silhouette du jouet écureuil sous un coccyx de forme élégante.
Je comprends pourquoi mes parents vantent toujours ma beauté intérieure.
Je surprends l’Empaleur en train de fixer l’image en fronçant les sourcils, et je ne sais pas trop qu’en penser. D’un côté, il me regarde de l’intérieur, ce qui est extrêmement embarrassant. D’un autre côté, il y a clairement de l’inquiétude sur son visage, et même si c’est parce qu’il redoute d’éventuelles poursuites, ça reste un signe qu’il se soucie de moi, en quelque sorte.
Malgré tout, j’aurais vraiment aimé qu’il me paie une ou deux fois à dîner avant de lui exposer mon sacrum comme ça.
Qu’est-ce que tu racontes ? Il ne peut pas t’inviter à dîner. C’est ton patron au carré, tu te souviens ?
— Au vu de la situation, votre plan devrait marcher, annonce Ava à l’Empaleur.
Je lui adresse un regard noir.
— Quel plan ?
— L’application, dit-il en agitant le téléphone. Je peux guider le…
Mon regard noir se tourne vers lui.
— Vous ne ferez rien du tout. Si quelqu’un doit utiliser cette application, c’est moi.
La mine indéchiffrable, il me tend le téléphone. Nos doigts s’effleurent à nouveau, et je ressens une décharge de sensations qui me parcourt jusqu’au plus profond, ce qui me rappelle les orgasmes que j’ai connus il y a très peu de temps.
Ava se racle la gorge.
— Je vais t’emmener à ta chambre.
Je grommelle alors qu’ils me guident jusque là-bas, mais personne ne m’écoute. Quand nous arrivons, Ava me demande de passer en premier pour pouvoir enfiler une blouse.
Mon regard se rive à celui de l’Empaleur.
— Vous restez dehors, et c’est non négociable.
Il incline la tête avant de répondre :
— Comme vous voulez.
Je roule des yeux, rentre dans la chambre et me change.
Ava me rejoint quelques secondes plus tard et me fait signe de m’étendre sur le lit.
Une fois que je suis à l’horizontale, elle me remet un pot de chambre.
— Tu as bien fait de lui demander d’attendre dehors, dit-elle avec un immense sourire.
Je marmonne des jurons inintelligibles et place le pot de chambre sous mon postérieur.
Avec un clin d’œil, Ava fait un signe de tête en direction du défibrillateur.
— Tu penses que tu vas t’en sortir ?
Sans lui prêter attention, je clique sur le bouton « dehors » de l’application, avant de retenir mon souffle.
L’écureuil prend vie à nouveau et, lentement, de manière presque décevante, il commence à reculer hors de sa cachette.
Ça ne fait pas mal du tout, et sans l’affront de cette situation, je pourrais même trouver les sensations associées un peu intéressantes.
J’éprouve un bref inconfort quand l’écureuil franchit mon anus, puis un claquement se fait entendre lorsque ce fichu bidule atterrit dans le pot de chambre.
En pouffant de rire, Ava enfile une paire de gants en latex, ramasse le pot et dépose son contenu dans un sac pour matières infectieuses.
— Sérieusement ? m’exclamé-je.
Elle me tend solennellement le sac.
— Quand on retire des balles, on les donne aussi aux patients.
Je saute du lit et fais quelques pas.
— Tu te sens alerte ? demande-t-elle.
J’attrape le sac, le jette dans une poubelle étiquetée « matières infectieuses » et commence à me changer dans un silence morose.
Ava refuse de laisser tomber.
— Tu veux que je t’envoie la radio par e-mail, au moins ? Ou que je la lui envoie, peut-être ?
Je me tourne vivement vers elle.
— Si tu fais ça, je t’étrangle dans ton sommeil.
Une lueur malicieuse brille dans ses yeux.
— Alors tu l’aimes beaucoup, hein ?
— Chut ! sifflé-je en tournant vivement les yeux vers la porte. Et s’il écoutait ?
— Quel scandale, lance-t-elle en s’éventant de manière théâtrale.
Je finis de m’habiller et m’avance vers elle. Puis je me penche et murmure :
— Est-ce qu’il a parlé de moi quand j’étais en train de passer ma radio ?
— Ça dépend de ce que tu veux dire. Il m’a plus ou moins expliqué les grandes lignes de son application, et il m’a demandé si c’était sans danger. Aucune déclaration d’amour inconditionnel, par contre.
— Bon, très bien, dis-je en dissimulant ma déception. Allons-y.
Je sors de la chambre à grands pas, Ava sur les talons.
L’Empaleur est là, ses yeux d’un bleu profond sur mon visage.
— Ça a marché ?
Le rouge qui avait réussi à quitter mes joues durant la procédure de retrait de l’écureuil revient en force.
— Tout est bon. L’équipement est grillé, par contre. J’espère que les gens de chez Belka pourront nous en procurer un autre.
— Ne vous inquiétez pas pour ça, répond-il en ajustant ses lunettes à monture d’écaille.
Ce geste devrait être tout sauf sexy, en théorie, mais ses doigts parviennent à le rendre presque érotique.
— Comment vous sentez-vous ?
— Comme si les mots « à sens unique » étaient tatoués sur ma fesse gauche, lâché-je avant de rougir furieusement.
Son expression est indéchiffrable, son comportement aussi distant que d’habitude. Ava, quant à elle, semble jubiler.
— Tu pourrais le faire sur la raie des fesses, remarque-t-elle.
Je la fusille du regard.
— En fait, ça risquerait de ne pas fonctionner comme vous le voulez, remarque l’Empaleur d’un ton parfaitement sérieux. Certains pourraient prendre cela comme un défi.
Oh. Mon. Dieu. Est-ce qu’il se rend compte de ce qu’il vient de dire ?
Ava émet un son étranglé alors que je me précipite vers l’ascenseur, déterminée à cacher mon visage en feu.
Nous descendons en silence, et alors que je fixe le visage impassible de l’Empaleur, une nouvelle inquiétude m’envahit.
Que va-t-il se passer maintenant que l’écureuil est sorti et que l’urgence est passée ?
Suis-je sur le point de perdre mon boulot ?