Chapitre Onze

Mon cœur tambourine à la cadence d’un hymne de combat dans ma poitrine, et j’ai l’impression que ma peau brûle de partout. Je ne vois que ses lèvres, à la forme si élégante, à l’air si douces. Je ne pense qu’à une chose : me pencher en avant et réduire le peu de distance qu’il reste pour…

La voiture se met en branle dans un soubresaut, nous tirant tous deux de ce moment de transe.

— Mets ta ceinture, lance Vlad d’une voix rauque tout en s’écartant de quelques centimètres.

Avec des gestes de zombie, je boucle ma ceinture pendant qu’il aboie quelque chose en russe à Ivan.

La voiture ralentit.

Vlad lève la cloison et se tourne face à moi.

— Donc, tu voulais me parler.

Je prends une profonde inspiration pour rassembler mon courage.

— Comme je l’ai dit plus tôt, je me chargerai des tests, et tu ne pourras pas m’en empêcher.

L’humour qui s’est manifesté dans son regard la dernière fois que j’ai prononcé cet ultimatum réapparaît.

— Tu n’avais pas envisagé quelqu’un d’autre pour faire ces tests, au départ ? Sandra a mentionné quelque chose de ce genre.

Je secoue la tête.

— Elle s’est défilée.

Hors de question que je lui raconte toute la débâcle à propos du succube transformé en nonne.

Il pousse un soupir.

— Très bien. Fais les tests toi-même, si c’est si important pour toi.

Je le scrute pour vérifier qu’il ne plaisante pas.

— C’est tout ? Tu es d’accord ?

Il croise les bras sur son large torse.

— Tu vas devoir me convaincre que tu peux le faire en toute sécurité, évidemment.

Mes joues s’empourprent.

— Je peux le faire. Cette histoire d’écureuil était une simple erreur. À partir de maintenant, je serai plus vigilante et je me renseignerai sur les… euh… les équipements avant de les utiliser. Je compte les diviser en deux, ceux pour les femmes d’un côté et ceux pour les hommes de l’autre. Et évidemment, je m’assurerai de ne tester que les jouets féminins, maintenant.

Il incline la tête de côté.

— Qui testera les jouets masculins ? Il s’est défilé, lui aussi ?

— C’était le petit ami de la femme, alors oui, je l’ai perdu en même temps qu’elle. Mon nouveau plan est soit de poster une petite annonce en ligne, soit d’aller sur Tinder et…

— Absolument pas.

C’est forcément en voyant cette expression foudroyante sur son visage que quelqu’un a eu l’idée d’appeler cet homme l’Empaleur.

Mon cœur rate un battement, mais en même temps, je sens mes poils se hérisser.

— Non ?

La voiture s’immobilise.

— On est arrivés, dit Vlad entre ses dents. Tu veux m’attendre dans la voiture, ou tu aimerais voir les bureaux d’une boîte de jeux vidéo ?

— La seconde option, dis-je, surtout pour lui montrer que je ne suis pas intimidée.

Dans un silence renfrogné, il me tient la portière ouverte avant de me guider jusqu’à un gratte-ciel. Nous dépassons les agents de sécurité (j’apprends au passage qu’il est consultant pour la société de jeux vidéo où nous sommes sur le point d’entrer) et montons dans un ascenseur.

— Écoute, reprend-il d’un ton conciliant lorsque l’ascenseur se met en marche. Récupérer un type au hasard dans la rue, c’est extrêmement dangereux. Je ne veux pas que tu te retrouves dans le port de New York à cause de ce boulot.

Il marque peut-être un point.

Avant que je puisse répondre, les portes s’ouvrent et il me fait signe de passer devant lui.

— À suivre, déclaré-je avant de sortir.

Il montre sa carte pour nous faire entrer, et je découvre le décor autour de nous avec une curiosité éhontée.

La plaque sur le mur comporte un nom dans une police amusante qui rappelle une bande dessinée. Elle annonce fièrement : 1000 Diables.

Cela me dit quelque chose. Je crois que j’ai déjà joué à l’un de leurs jeux, peut-être même deux.

En contraste avec le nom assez sinistre de la boîte, il y a des couleurs vives partout, et des rires au loin me donnent l’impression d’être dans une cour de récréation.

C’est vraiment une entreprise ? On dirait presque que quelqu’un a essayé de concevoir l’exact opposé du gris ennuyeux et oppressant de nos propres locaux silencieux comme une tombe.

— Chaque chose en son temps, dit Vlad en me menant jusqu’à un petit vestiaire, sur le côté. Équipe-toi.

Hein ?

Il n’y a pas de vêtements ici, juste des pistolets Nerf.

Beaucoup de pistolets Nerf.

D’accord. S’il veut la guerre, il va l’avoir.

Vlad en prend deux en forme de fusils, avant d’ouvrir son imperméable pour placer l’une des répliques à la ceinture de son pantalon.

Il a bien de la chance, ce flingue.

Avec un haussement d’épaules, je récupère à deux mains un blaster blanc et orange qui me rappelle la mitraillette que l’on voit souvent dans les vieux films de gangsters.

— Reste dos à dos avec moi, dit Vlad sans le moindre sourire.

Je fais ce qu’il me dit, même si, quand nos dos se touchent, mes hormones entrent en ébullition.

Je parie que j’ai de la bave sur le menton.

Nous traversons l’étage principal dans cette position, comme deux flics prenant d’assaut une planque de mafieux.

Soudain, un projectile orange s’écrase sur mon faux sourcil.

— Eh ! m’exclamé-je.

Je frotte l’endroit touché, avant de me souvenir que je dois faire attention à ne pas effacer le dessin.

— Pas le visage, ajouté-je.

— Désolé, répond quelqu’un.

Je remarque l’assaillant – un type roux d’environ quarante ans, avec une bedaine de buveur de bière – et j’appuie sur la détente, projetant un nuage de fléchettes sur son torse.

Quelqu’un d’autre a surgi à un angle du couloir.

Vlad plonge devant moi et prend la fléchette en plein torse.

Cette fois, la tireuse est une femme un peu plus âgée que Sandra, ce qui ne m’empêche pas de décharger le restant de mes fléchettes dans sa poitrine.

Deux autres assaillants se joignent à la mêlée.

Vlad est à court de fléchettes, et moi aussi.

Il laisse tomber son arme, avant de me pousser contre le mur pour que la volée de projectiles qui m’était destinée s’écrase dans son dos.

Waouh.

Il est pressé contre moi, et c’est enivrant. Je peux sentir les effluves sensuels de bergamote et d’agrume, et la chaleur provenant de son grand corps.

Il baisse les yeux et nos regards se croisent. Ses pupilles sont dilatées, ses pommettes hautes teintées d’une légère rougeur. Lentement, il penche la tête et…

— Laissez mon frère tranquille ! s’exclame alors une voix par-dessus le bruit des tirs d’armes Nerf. Il est ici pour nous aider.