— Moi ?
Il écarquille les yeux et fait un pas en arrière.
Je me suis lancée, maintenant, alors je continue tête baissée :
— Ça semble logique. J’imagine que tu te fais confiance pour ne pas me jeter dans le port. L’aspect privé du projet ne sera pas compromis. Et, eh bien…
Cette fois, je rougis horriblement.
— Tu as le membre qu’il faut pour ça, ajouté-je.
Spontanément, mes yeux se baissent vers le membre en question, avant de se relever vivement.
Les portes de l’ascenseur s’ouvrent.
— Continuons cette discussion dans la voiture, dit-il avec une expression indéchiffrable.
Zut, zut, zut. Est-ce qu’il déteste cette idée ? Est-ce qu’il me déteste, rien que pour l’avoir suggérée ? Mince, ça risque d’être très gênant s’il dit non.
Suis-je sur le point de me faire virer pour avoir dragué le patron de ma patronne ?
Nous montons à nouveau dans la limousine, assis l’un en face de l’autre, cette fois.
Il relève la cloison et commence :
— Juste pour clarifier les choses : je teste le lot masculin, en jouant à la fois le rôle de donneur et de receveur, on est d’accord ? En fait, j’ai déjà testé l’un des équipements moi-même après avoir conçu l’application. En théorie, je pourrais donc faire la même chose avec les autres.
Oui ! Il envisage vraiment de le faire. J’ai envie de sauter dans tous les sens, alors même que la rougeur sur mes joues, qui s’était légèrement dissipée durant le trajet depuis l’ascenseur, réapparaît dans toute sa gloire.
— Ce ne serait pas un bon test complet, objecté-je. Et tu le sais. C’est toi qui as conçu le code, alors tu es biaisé, en quelque sorte.
— Alors, qu’est-ce que tu suggères ? demande-t-il, ses narines dilatées.
Même mes pieds doivent rougir, maintenant.
— Tu ne joues que le rôle de receveur. Moi, je joue celui du donneur, et j’enregistre les données du test. C’est la manière la plus convenable de procéder.
Il hausse les sourcils.
— C’est une utilisation largement abusive du mot « convenable ».
— Écoute, reprends-je, tentant d’imiter son timbre de voix du mieux possible. Si tu veux abandonner, je comprendrai.
Un sourire sensuel étire lentement ses lèvres.
— Je ne recule jamais devant un défi.
Ma culotte peut-elle vraiment fondre, ou est-ce juste une expression ? M’évertuant à me la jouer décontractée, j’arque mon faux sourcil.
— C’est un oui, n’est-ce pas ?
— Oui. Comment veux-tu procéder, d’un point de vue logistique ?
Nom d’un chihuahua. Il est partant. Je l’ai convaincu de s’engager.
Et maintenant, qu’est-ce que je fais ?
D’une certaine façon, je ne m’attendais pas à ce qu’il accepte vraiment cette folie, mais maintenant que c’est le cas, je me retrouve forcée de trouver la meilleure logistique pour utiliser des sex-toys avec le patron de ma patronne. Une logistique qui impliquera de le faire jouir – et de noter à quelle vitesse dans un tableur.
Ou pire encore, noter que je n’ai pas réussi à le faire jouir.
Que C++ me vienne en aide, il y a pire, niveau logistique. Par exemple, la plupart des jouets pour hommes ne requièrent-ils pas un pénis en érection ? Comment m’assurer que le sien soit prêt pour les tests… d’un point de vue logistique, toujours ?
— Tu n’es pas obligée de décider de tout ça maintenant, reprend-il, comme s’il lisait une fois de plus dans mes pensées.
— Bien sûr, dis-je en me raclant la gorge, cherchant l’analyste de contrôle qualité qui est en moi. Ce qui me vient comme ça, c’est qu’il vaudrait mieux utiliser l’application dans des conditions aussi proches de la manière dont elle est censée être utilisée. À distance, en d’autres termes.
Parce que je n’ai pas envie d’être à côté de lui pour la partie « préparation du pénis » de cette logistique.
À moins que j’en aie envie ?
Non. Je dois au moins faire semblant d’être professionnelle. Ou ce qui passe pour un comportement professionnel, au vu des circonstances.
— Oui, ce serait logique de faire ça à distance.
Est-ce de la déception que je perçois, cachée derrière sa mine impassible ?
— Quand veux-tu commencer ? ajoute-t-il.
— Je suis libre ce soir, lâché-je.
Zut. Ce n’était pas très subtil. Est-ce que je ressemble à une ringarde qui n’a pas de vie ?
Je me remémore le parfum sur la feuille de test et dans la valise, et j’ajoute vivement :
— À supposer que tu n’aies aucun rendez-vous du vendredi soir, bien sûr.
Il sort son téléphone et envoie quelques messages rapides.
— Mon planning de la soirée est désormais vide. Ceci est très important.
— Pourquoi est-ce aussi important ? demandé-je.
Ce que je voudrais vraiment savoir, c’est si cela a un quelconque rapport avec une certaine personne utilisant trop de parfum.
Il fronce les sourcils.
— Je croyais te l’avoir déjà expliqué. Il y a une chance pour que le produit final soit présenté aux éditeurs de Cosmo dans deux semaines.
C’est la raison pour laquelle c’est important pour la compagnie Belka, mais ça n’explique pas pourquoi ça l’est autant pour lui. Oh, et puis zut. J’imagine qu’il ne veut pas me donner la vraie raison – ce qui doit vouloir dire que cela a bien un rapport avec la mystérieuse femme parfumée (ou l’homme, peut-être, pourquoi ne pas garder l’esprit ouvert ?).
Si j’avais besoin d’une autre raison pour faire en sorte que notre relation demeure strictement professionnelle, je l’ai maintenant : Vlad est peut-être déjà pris.
Qui est-ce ? demande le monstre vert de la jalousie.
Comment le saurais-je ?
Découvre-le, et ensuite dis-lui que tu as sauté son mec avec un sex-toy.
Elle travaille sûrement pour la compagnie Belka, alors ça ne la dérangera peut-être pas.
Plan B : tue-la.
La voiture s’arrête, et avec un mélange de soulagement et de déception, je réalise que je suis arrivée chez moi.
— Alors… on se voit ce soir ? demandé-je tout en défaisant ma ceinture.
Il sort du véhicule et me tient la portière ouverte.
— À moins que tu ne changes d’avis… ce qui ne serait pas un problème du tout.
À moins que je me dégonfle, veut-il dire.
Non, non. Hors de question.
J’espère.
— Rentre bien, lâché-je.
Est-il en train de fixer mes lèvres ?
Et moi, est-ce que je fixe les siennes ?
Un léger sourire les fait frémir.
— Toi aussi.
— Merci.
Je me concentre pour ne pas trébucher alors que je me dirige vers ma porte d’un pas rapide. Lorsque j’entre dans mon immeuble, je l’aperçois, immobile à côté de la limousine, à me regarder.
Je fonce dans mon appartement, m’adosse contre la porte et m’évente de la main.
Monkey passe la tête hors de sa petite cabane.
— Je sais, lui dis-je. Dans quoi est-ce que je viens de me fourrer ?
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Une fois que Monkey et moi nous sommes rempli la panse, je trouve des manières créatives de m’empêcher de trop m’inquiéter du test à venir – et le plus efficace, c’est d’examiner mon code.
J’implémente certaines des idées les plus faciles suggérées par Phantom, avant de vérifier s’il m’a à nouveau écrit.
C’est le cas – et il a aussi opéré un changement dans mon code.
J’espère que vous ne m’en voudrez pas, mais j’ai renommé toutes les variables de compteur pour qu’elles utilisent le mot « compte », c’est le terme standard chez Binary Birch. Même si je comprends bien que votre variation – Chocula – était une blague, elle nuisait au sérieux de votre code par ailleurs élégant. Vous pouvez, évidemment, annuler ce changement.
Oh. Moi aussi, j’ai envie de changer les codes qui ne me plaisent pas, quand je les vois. Surtout quand je remarque le genre d’atrocités que j’ai vues dans le travail de Britney.
Comme Phantom marque un point, je n’annule pas le changement. J’ai beau adorer le Comte Chocula – et être folle des céréales du même nom – la dernière chose dont j’ai envie, c’est que l’équipe de développement pense que je ne prends pas le code au sérieux. D’ailleurs, ce n’est pas une bonne idée d’afficher si largement mon addiction aux céréales, surtout maintenant que j’ai un nouveau vampire délicieux dans ma vie – Vlad.
Et puisqu’on parle du loup, c’est presque l’heure des tests.
Tout en redessinant mes sourcils et me rendant globalement plus présentable, je me demande si les tests devraient avoir lieu dans ma chambre ou dans le salon. Vu que le salon me paraît un brin plus professionnel, je range la pièce, avant de foncer dans la chambre pour récupérer la valise et les jouets. À mon retour, je la pose à côté de mon canapé.
Que pourrions-nous tester ?
J’ouvre la valise et examine les jouets pour hommes, avant de choisir celui qui me paraît le moins intimidant. Je fais tout de même une recherche sur Précieux pour savoir comment utiliser ce truc – plus de visite à l’hôpital à cause d’un jouet, merci bien.
C’est un genre de manchon, et son utilisation est généralement assez simple : on le lubrifie, et ensuite on fourre son machin dedans. À partir de là, l’utilisateur le fait généralement aller et venir à la main, mais le modèle Belka est high-tech. Il s’occupera du va-et-vient tout seul. Il pourra aussi vibrer, si on le désire.
Prête à toute éventualité, je lubrifie le mien et place un doigt dedans.
Puis un deuxième.
Intéressant.
Je n’ai jamais mis de doigts dans une autre femme – juste moi-même –, mais c’est étrangement similaire, si ce n’est que c’est froid. Un peu comme une femme morte, j’imagine.
À quel point ce truc est-il élastique ?
Je place un autre doigt à l’intérieur.
Aucun problème.
J’en mets un quatrième.
Toujours aucun problème.
Je serre le poing et le glisse à l’intérieur.
Super, je suis en train de fister le vagin de cette pauvre méduse/femme morte.
J’en reviens à seulement deux doigts, puis je lance l’application de mon autre main pour voir les options que je devrai utiliser tout à l’heure.
Les touches principales indiquent « Caresser » et « Vibrer ».
J’appuie sur Caresser et le manchon tente d’avaler mes doigts comme une méduse affamée.
Waouh. Comment ont-ils réussi à le faire bouger comme ça ?
J’appuie ensuite sur Vibrer – et maintenant j’ai l’impression que la méduse essaie d’avaler mes doigts pendant un tremblement de terre.
Tout au long de cet exercice, je fais de mon mieux pour ne pas penser à Vlad.
Ni à son sexe.
Ni à…
Précieux émet une sonnerie, annonçant l’arrivée d’un message.
Mince. C’est l’heure.
Je me précipite à la cuisine, jette le manchon dans l’évier et essuie le lubrifiant sur mes doigts avec une serviette en papier.
Puis je retourne sur le canapé et regarde mon téléphone.
Bien. C’est le message qui reliera mon application à celle de Vlad.
Dès que j’ai effectué la connexion, l’application lance une vidéo-conférence.
Je réponds à l’appel et m’efforce de rester décontractée sans rougir. C’est pour le boulot. Aucune raison de paniquer.
Mais dès que je vois ses yeux lapis-lazuli qui pétillent derrière ses lunettes, tout mon professionnalisme s’envole par la fenêtre.
Mes joues sont aussi brûlantes que si elles avaient été piquées par cette méduse affamée.
— Bonsoir, Fanny, dit-il avec un accent plus prononcé que d’habitude.
— Bonsoir, monsieur.
Je résiste à l’envie de lui adresser un salut militaire.
Le coin de sa bouche frémit.
— Tu peux m’appeler Vlad, tu te souviens ?
— C’est vrai. Vlad. J’ai choisi le jouet pour aujourd’hui. Le manchon. C’est le…
— Je sais lequel c’est, m’interrompt-il.
Il disparaît du champ de vision de la caméra et je l’entends fouiller dans ce que je suppose être sa propre valise.
Lorsqu’il réapparaît, il tient le jouet en question à la main.
Je rougis de plus belle, si tant est que ce soit possible.
— Oui, celui-là.
— Bon choix, remarque-t-il.
Il effleure l’orifice du jouet du bout des doigts, ce qui rend mes parties intimes incroyablement jalouses.
— C’est celui que j’ai utilisé pour mes propres tests.
— Super, dis-je, faisant de gros efforts pour maintenir le téléphone d’une main ferme. Donc… j’imagine que tu n’as plus qu’à te mettre dedans ?
Les échos de mes pensées logistiques de tout à l’heure bourdonnent dans ma tête.
Il faut qu’il soit dur, pour ça. Est-ce mon problème ? Certainement pas.
— Tu as besoin d’une minute ? demandé-je en me léchant nerveusement les lèvres. Pour regarder une vidéo pour adulte ou…
— Je suis prêt, répond-il, son regard rivé sur ma bouche. Où veux-tu que je pointe l’objectif de la caméra ? Je préférerais que ce soit mon visage, mais si…
— Ton visage, c’est très bien.
Quand ces mots sortent de ma bouche, on dirait le croassement douloureux d’un crapaud qui vient de se faire écraser par le camion du marchand de glaces.
Bien sûr, je ne suis qu’un être humain, alors j’aimerais vraiment, vraiment qu’il pointe la caméra vers le bas, mais d’un point de vue du contrôle qualité, je ne peux songer à aucune raison de faire ça, sauf si j’avais fabriqué le manchon et que je voulais m’assurer qu’il enserre bien étroitement sa…
— C’est bon, murmure-t-il.
Très bien.
Ça veut dire que c’est à moi… de le faire jouir.