Dès le lendemain matin, un message de Vlad m’attend sur mon téléphone.
Je suis désolé si la fin des tests a été un peu abrupte, hier soir.
Oh. Je n’y avais même pas réfléchi. Maintenant qu’il le fait remarquer, ça se comprend. Si c’était moi qui avais eu un jouet dans le derrière, j’aurais raccroché encore plus vite que lui.
J’écris : Aucun problème, ajoutant même un émoticône souriant.
Un nouveau message apparaît aussitôt.
Quel est l’emploi du temps de Monkey ? Je me disais que je pourrais la présenter à Oracle aujourd’hui, et si elles s’apprécient, nous pourrons organiser un goûter.
Présenter des cochons d’Inde ? Quelle sera la différence, qu’ils s’apprécient ou non ?
Vu que je trouve l’idée d’un goûter adorable, je réponds :
Monkey est toute à toi.
Attendez, est-ce que je viens de donner l’impression que Monkey est une traînée ?
Que dirais-tu de onze heures ? demande-t-il.
Je regarde l’horloge. Il reste plusieurs heures, alors j’accepte, non sans hésitation cette fois. La logistique des présentations est un peu trouble dans ma tête. Est-ce qu’on va faire ça par vidéo-conférence, ou…
Merveilleux. Oracle et moi passerons à onze heures.
Passer ? Genre, chez moi ? Je savais qu’il y avait quelque chose de louche dans cette histoire de présentations.
Enfin, il est trop tard pour reculer, maintenant. En plus, une partie de moi adore l’idée de voir Vlad en personne.
On se voit à onze heures, je réponds avant de me lancer dans une frénésie de ménage.
À dix heures cinquante-cinq, l’appartement est plus propre qu’il ne l’a jamais été, et je porte ma plus jolie robe de jour, avec les sourcils haut de gamme.
— Tu vas te faire une amie, dis-je à Monkey.
La sonnerie de la porte retentit.
Mon cœur bondit dans ma gorge. Il est un peu en avance. Je me précipite et ouvre.
Vlad fronce les sourcils de l’autre côté.
— Tu n’as pas d’œilleton, et pourtant tu ne demandes pas qui est de l’autre côté de la porte.
Je me contente de le dévisager.
Il porte son imperméable habituel, mais la chemise bleue en dessous est plus décontractée que les noires fraîchement amidonnées qu’il porte au bureau – pas de beaucoup, cela dit.
— Et si j’étais un criminel ?
Ses yeux d’un bleu profond me regardent d’un air désapprobateur, et je réalise enfin ce qu’il vient de dire.
— Tu m’as dit que tu arriverais à onze heures, protesté-je en m’efforçant de ne pas avoir l’air sur la défensive. Quelles étaient les chances qu’un criminel vienne me tuer exactement à la même heure ?
— Malgré tout, je…
— C’est Oracle ? le coupé-je en pointant du doigt l’animal dans la cage qu’il tient à la main. Elle est encore plus mignonne en personne.
Son expression sévère se réchauffe lorsqu’il suit mon regard.
— J’espère que ça fonctionnera. Ce sera marrant de la voir jouer avec l’un de ses semblables.
— Eh bien, entre et allons-y, l’invité-je avec un geste vers le salon.
Il ôte ses chaussures – sûrement un truc de Russe – avant d’entrer dans le salon et de se diriger vers l’endroit où se cache Monkey.
Lorsqu’il me dépasse, je détecte une légère bouffée du même parfum féminin que j’ai déjà senti.
Merde. Était-il avec elle, qui qu’elle puisse être ?
Lui poser la question serait extrêmement inapproprié ; nous sommes censés être des collègues, pas des amants jaloux.
Explose quelque chose, exige le monstre vert.
Tu ressembles à Hulk, maintenant.
Explose-lui la tête.
Correction : tu ressembles à une psychopathe meurtrière.
— Salut, Monkey, dit Vlad d’un ton qui ressemble étrangement à celui qu’on emploie pour parler à un bébé.
Monkey le regarde avec un intérêt inhabituel.
Il pose sa cage de transport à côté de la cabane de Monkey et attend.
— Que se passe-t-il ? demandé-je en écartant la question du parfum de mon esprit pour l’instant.
Je ne céderai pas devant le monstre vert de la jalousie. Je m’y refuse.
— C’est pour qu’ils puissent se sentir l’un l’autre, mais sans se toucher, explique-t-il.
Monkey se rapproche à petits pas du bord de la cage, et quand elle remarque Oracle, elle couine.
Je ne suis pas une experte, mais ça ressemble à une réaction joyeuse.
Oracle émet un couinement similaire en réponse et s’approche elle aussi du bord de sa cage. Leurs nez sont désormais à seulement quelques centimètres l’un de l’autre.
— C’est mignon, dis-je lorsqu’ils commencent à se renifler – ce qui ressemble beaucoup à un baiser envoyé en l’air.
Soudain, Monkey bondit sur place, comme je l’ai déjà vue faire quand elle est heureuse, je crois.
Oracle fait la même chose.
— Ça s’appelle le pop-corning, explique Vlad sans quitter les animaux des yeux. Un signe très positif… et inattendu, si tôt.
— Intéressant. Que fait-on ensuite ?
— Je n’en suis pas sûr. Mes recherches disaient de les garder séparés un petit moment, mais vu cette réaction, on pourrait prendre le risque de les mettre ensemble tout de suite. Si tu es d’accord, bien sûr.
— Allons-y.
Il sort son téléphone et envoie un message à quelqu’un.
Le monstre vert remue. Est-ce qu’il vient de contacter la propriétaire du parfum ?
Quelques secondes plus tard, la sonnette de la porte retentit.
— C’est Ivan, dit Vlad. Mais demande qui c’est avant d’ouvrir.
— Oui, maman, répliqué-je avant de m’empresser d’aller vers la porte, Vlad sur les talons. Qui est-ce ?
— Ivan, répond une voix forte.
— Est-ce que je peux ouvrir, maintenant ? demandé-je à Vlad.
Il hoche la tête.
— Il n’y a pas de danger.
Quand j’ouvre la porte, Ivan apparaît devant moi avec un énorme terrarium dans ses mains charnues. Des jouets sont éparpillés à l’intérieur, ainsi que des légumes et d’autres choses qui rendraient Monkey gaga.
— Tout est neuf, commente Vlad en remarquant ma perplexité.
— Pourquoi ?
Il sourit.
— Ça leur donnera un espace neutre pour leur première rencontre. Il y a moins de risques que l’un ou l’autre se sente obligé de défendre son territoire.
— D’accord, dis-je avant de faire signe à Ivan d’entrer.
L’homme de forte carrure retire lui aussi ses chaussures, avant de déposer le terrarium à côté de la maison de Monkey. Quand elle le voit, elle lui montre les dents, comme elle le faisait toujours avec mon ex.
— Monkey, vilaine fille, ne sois pas méchante avec Ivan, lancé-je sévèrement.
— Ce n’est rien, dit Vlad en fusillant son assistant du regard comme si c’était lui qui avait provoqué cette réaction. Ivan allait partir.
Avec un soupir contrarié, ce dernier quitte l’appartement.
— Oracle ne l’aime pas non plus, m’explique Vlad en faisant sortir son cochon d’Inde de la cage de transport pour la porter à son visage. N’est-ce pas, fifille ?
Waouh. Son cochon d’Inde frotte son nez contre le sien. Monkey n’a jamais fait ça avec moi.
Vlad la dépose sur le sol de l’aquarium.
— Ça te dérange si je mets Monkey là-dedans aussi ? Comment réagit-elle avec les inconnus ?
— Elle ne t’a pas montré les dents. Alors, vas-y.
Il tend délicatement la main vers la cabane de Monkey. À ma grande surprise, elle saute dans sa paume. Encore plus fou, quand il lève Monkey devant son visage, cette créature traîtresse frotte aussi son nez contre le sien.
Je me sens doublement jalouse. Ce devrait être à moi de frotter mon nez contre le sien, ou tout du moins, mon animal de compagnie devrait frotter son nez contre le mien.
— Tu es l’homme qui murmure à l’oreille des cochons d’Inde, marmonné-je alors qu’il dépose doucement Monkey dans le terrarium.
Ou alors, il possède bien des pouvoirs vampiriques, en fin de compte, qui lui permettent de faire des animaux ses serviteurs.
— Monkey a dû sentir Oracle sur moi. Ce sont clairement des âmes sœurs.
Oooh. Il a raison. Les deux rongeurs commencent à courir partout comme deux bambins joyeux tout en couinant de manière excitée, se frottant le nez, reniflant tous les jouets et grignotant tous les légumes. Pas une fois ils ne se cachent dans les petites maisons disponibles dans les coins de l’espace clos.
— Tu sais, ça ressemble à une danse nuptiale de cochons d’Inde, remarqué-je en observant leurs pitreries. J’en ai déjà vu sur YouTube. Tu es certain qu’Oracle est une fille ?
Il se tourne vers moi et me retourne la question :
— Et toi, tu es sûre que Monkey est une fille ?
Je lui adresse un large sourire.
— Tout ce que je dis, c’est que Monkey ne prend pas la pilule.
— S’il y a des petits, dit-il en feignant un ton sérieux, je les prendrai.
Les rongeurs cessent leur danse, se laissent tomber au sol et commencent à se toiletter l’un l’autre.
Double ooh.
— Adorable.
Il lève enfin la tête et me dévisage, les yeux scintillants.
— Adorable, en effet.