Chapitre Vingt-Trois

— La cuisine est au bout du couloir, dit-il en ouvrant la marche.

Tout en avançant, j’admire ce qu’il y a autour de moi, bouche bée.

L’appartement est immense, surtout pour New York. Le décor me rappelle notre bureau – froid, moderne et immaculé. Mais contrairement au bureau, il y a aussi des touches d’humanité ici. Plus spécifiquement, des posters de la franchise Matrix – beaucoup de posters. Dans des langues différentes. De tous les personnages. Il y a même des affiches indirectement liées au film, comme celle qui annonce : « En Russie soviétique, ce sont les balles qui vous évitent. »

Nous entrons dans la cuisine.

— Assieds-toi, dit-il en appuyant sur un bouton de sa machine à espresso. Du lait, du sucre ?

— Noir, ça ira très bien.

Je me laisse tomber sur un tabouret de bar en chrome.

— Alors, laisse-moi deviner, Matrix est ton film préféré.

— Qu’est-ce qui m’a trahi ? demande-t-il en inclinant la tête. C’était l’imperméable ?

J’ai envie de me donner une tape sur le front. Il adore tant ce film qu’il s’habille même comme les personnages.

Comment ai-je pu ne pas le remarquer ?

— Oracle, dis-je en souriant. C’est aussi une référence, n’est-ce pas ?

Il remplit deux tasses de café et en place une devant moi.

— Dis-moi que tu as aimé le premier Matrix.

— Je ne l’aime pas, dis-je en soufflant sur mon café. Je l’adore. Je me déguise en Trinity à chaque Halloween depuis que je l’ai vu.

Il m’adresse un regard si admiratif que, pour la toute première fois, je me demande si cela pourrait vraiment marcher entre nous.

Quoi que « cela » puisse être.

Nous adorons le même film.

Nous aimons coder.

Je le trouve attirant, et il ne me trouve clairement pas repoussante.

Si seulement je l’avais rencontré en dehors du travail.

— Tous les programmeurs aiment Matrix, au moins un peu, observe-t-il. Comment faire autrement ? Le héros est l’un d’entre nous.

Je bois une longue gorgée. Le café est bon, doux et juste modérément amer.

— Tu dois être tout excité par la sortie du quatrième volet !

Il sourit.

— Je compte les jours depuis qu’ils ont confirmé son tournage, il y a quelques mois.

Hum. Je me demande s’il accepterait de m’emmener à la première.

— Quelle est ta scène préférée ? demandé-je.

Il me répond, et je lui confie quelle est la mienne. Puis nous parlons d’autres films que nous aimons, et là encore, nos goûts s’assemblent comme les pièces d’un puzzle.

— Est-ce que je peux voir la chambre d’Oracle ? demandé-je après avoir terminé mon café.

Avec un grand sourire, il me guide jusqu’à elle.

Elle est aussi vaste qu’elle en avait l’air sur l’écran de mon téléphone. Des millions d’habitants de New York n’ont pas autant de superficie que ce petit veinard de cochon d’Inde.

— Comment te sens-tu ? demande-t-il. Toujours ivre ?

Encore ? Je le fusille du regard.

— Je n’étais pas ivre tout à l’heure, déjà. Et je le suis encore moins maintenant.

Il sort l’éthylotest de sa poche.

— Si tu es en dessous de zéro virgule quatre, je t’autoriserai à faire les tests.

Les tests. Mince. J’avais complètement oublié. Ai-je envie que mon taux d’alcool soit bas ou élevé ?

Je souffle dans le bidule.

— Ça ira, dit-il. On peut faire les tests… si tu es toujours partante, bien sûr.

Mes joues virent au cramoisi, plus rouges encore que le drapeau soviétique. Puis-je encore me défiler après avoir utilisé les tests comme prétexte pour nous faire quitter la fête ?

Il avait peut-être raison, tout à l’heure. J’étais ivre. Sinon, comment expliquer cette invitation osée ?

Je recule d’un pas, tentant frénétiquement de trouver un moyen de minimiser la folie de ce qui est sur le point d’arriver.

— Nous devons rester professionnels.

Il fait un pas vers moi.

— Je n’aurais rien accepté d’autre.

— Je vais tester les boules de Kegel. Comme ça, je garderai mes vêtements.

J’ai l’impression que le sol s’ouvre sous mes pieds alors que je dis ça.

— Y a-t-il un équivalent masculin à ces boules ? demande-t-il en défaisant sa cravate.

— Non. Je veux dire, il y a bien l’anneau pénien, mais j’imagine que Dracula ne rentrera pas dans ton pantalon si…

— Dracula ? répète-t-il en haussant un sourcil.

Je ne pensais pas pouvoir rougir plus encore, mais c’est chose faite.

Eh bien. Autant cracher le morceau, maintenant.

— Je donne souvent des surnoms aux choses, expliqué-je en baissant les yeux sur ma poitrine. J’ai appelé ces deux-là Minus et Cortex, si ça peut rassurer ton ego.

Il fixe Minus et Cortex une seconde de trop, avant de relever les yeux vers mon visage.

— Tu ne regardes pas Dracula, et je ne te regarde pas utiliser les boules, propose-t-il.

Il retire ses lunettes pour les poser sur la table la plus proche avant d’ajouter :

— Comme ça, je ne pourrai pas voir grand-chose, de toute façon.

Je réprime un gloussement à moitié hystérique, provoqué par la phrase « utiliser les boules ».

— Où est-ce qu’on fait ça ?

— Suis-moi, dit-il avant de me guider vers son gigantesque salon. Ici.

Il désigne sa valise, identique à la mienne.

— Récupère ce dont nous avons besoin.

Je prends les jouets en question et lui tends l’anneau pénien, le visage brûlant.

Je ne dois surtout pas imaginer à quoi ressemblera Dracula avec ce bijou.

Nos doigts s’effleurent lorsqu’il prend l’anneau, et des frissons me parcourent tout le corps.

Parfait. Je n’aurai pas besoin de lubrifiant pour les boules Kegel.

— Où est ta salle de bain ?

Ma voix n’était pas un peu trop rauque, là ?

Il pointe du doigt une porte toute proche.

Je m’enferme dans la pièce, retire ma culotte et lave mes mains ainsi que les boules. Les boules Kegel, je veux dire. Jusqu’ici, j’ai beau me sentir particulièrement gonflée, il ne m’est pas encore poussé de couilles, merci mon utérus.

Juste au cas où, je verse du lubrifiant sur les boules, avant de glisser délicatement la première de la paire en moi, puis la ficelle qui les accroche ensemble.

La sensation est plutôt neutre, pour l’instant.

Je m’assure de laisser la boucle d’extraction à l’extérieur avant de laisser la deuxième boule rejoindre la première, puis je les pousse aussi loin que possible sans que cela devienne inconfortable.

Hum. Comme ça, elles me chatouillent, et ce n’est pas très difficile de les garder à l’intérieur.

Je pourrais sûrement marcher avec ça toute la journée – ce qui, évidemment, serait une mauvaise idée. Vlad pourrait alors activer la vibration quand il voudrait, même si j’étais à la préfecture, au marché aux poissons ou à un rendez-vous avec Sandra.

Je fais quelques pas du lavabo à la baignoire

C’est bien.

Grâce à mon périnée, les boules restent en place.

Malgré tout, marcher comme ça est un peu effrayant. Ce doit être ce que ressentent les mecs, quand ils se baladent et doivent toujours craindre pour leur précieux paquet.

Je reviens dans le salon et découvre qu’il a baissé l’intensité des lumières.

Est-ce pour réduire la visibilité, ou pour instaurer une ambiance séductrice ?

Il jette un rapide coup d’œil à ma jupe, avant de relever lentement les yeux jusqu’à mon visage.

— C’est bon ?

Est-ce de l’avidité que je décèle dans ses yeux ? Je crispe les muscles autour des boules pour me rassurer.

— Parfait.

Il se passe la langue sur sa lèvre inférieure, avant de demander :

— Les dames d’abord ?

Je prends une inspiration frémissante et propose :

— Et si on le faisait ensemble ? Tu te retournes et…

— D’accord.

Il tourne les talons et j’entends l’ouverture de braguette la plus bruyante de toute l’histoire du son.

Les anneaux péniens requièrent-ils une érection ? Si c’est le cas, Dracula est clairement prêt à l’action, parce que presque aussitôt après, Vlad lance :

— Je suis prêt.

Son téléphone s’allume.

— Pas de vidéo, dis-je en sortant mon propre téléphone pour lancer l’application.

Il émet un grognement d’acquiescement et clique sur une touche de son côté.

Oh, mon Dieu. Les boules commencent à vibrer en moi, et je manque de laisser tomber Précieux.

Nom d’un point A, que c’est bon !

Trop bon. Au point de me mettre à gémir alors que je me trouve dans la même pièce que Vlad.

Je dois détourner son attention.

Fébrilement, j’active la vibration de son jouet.

Le téléphone vient-il de trembler dans ses mains ?

La vibration des boules s’intensifie.

À mon tour, j’augmente celle de son jouet.

Il intensifie à nouveau la mienne.

Pourquoi ne sommes-nous pas assis ? Ou couchés ?

Mes yeux commencent à rouler dans leurs orbites, mais je parviens quand même à augmenter encore un peu les vibrations.

Quand l’orgasme me percute de plein fouet, je ne peux réprimer un gémissement.

Son dos se raidit.

Mes muscles pelviens se contractent encore plusieurs fois, avant de se détendre.

Oh, non. Les boules de Kegel glissent hors de moi et tombent sur le sol du salon, puis se mettent à rouler.

Merde. S’il voit ma moiteur sur ces boules, j’en mourrai.

— Ferme les yeux ! m’écrié-je. Et ne demande pas pourquoi, s’il te plaît.

— C’est fait, répond-il dans un grognement.

Bien.

Sans éteindre ses vibrations, je fourre Précieux dans mon sac à main et me précipite à l’endroit où les boules se sont immobilisées – à moins de deux mètres des pieds de Vlad.

Je lui accorde un peu d’intimité, résistant à la forte envie de jeter un œil à Dracula. Je me penche pour récupérer les boules.

Ces fichus machins me glissent des doigts et roulent plus loin.

Puisqu’il est difficile de les poursuivre sans regarder ses bijoux de famille, je me laisse tomber à quatre pattes et cherche les jouets comme un prédateur traquant sa proie.

Enfin.

J’attrape les boules.

Non.

Elles me glissent à nouveau des doigts.

Pourquoi a-t-il fallu que je les lubrifie à ce point ?

Je commence à avoir mal aux genoux, alors je rampe jusqu’à l’endroit où elles se sont arrêtées.

Ça y est ! Je les saisis et parviens à les retenir.

C’est alors que je vois les jambes devant moi.

Je lève les yeux.

Oups.

Je suis nez à nez avec Dracula.