Plaquée au mur de pierre froide, Sarah entendait les hommes torturer Owen.
L’un d’eux parlait. Il avait une voix désagréable, pleine d’amertume, de haine et de cruauté. Quelqu’un d’autre poussa un hoquet nasillard et aigu, tandis qu’un troisième individu gloussait comme une fillette.
Ils étaient en train de torturer Owen pour la même raison qu’ils avaient tué sa tante. Pour le sac. Pour l’épée.
Sarah risqua un rapide coup d’œil par la fenêtre brisée. Un des hommes lui bouchait la vue. Il était assez près pour qu’elle le touche en tendant le bras, mais par-dessus son épaule, elle apercevait le skinhead debout au fond de la pièce. Elle ne voyait ni Owen ni l’homme à la voix désagréable ; en revanche, elle entendait les questions et les coups.
Quand elle poussa doucement la porte d’entrée, celle-ci pivota sur ses gonds.
Depuis le vestibule, les sons étaient plus distincts : les sanglots étranglés d’Owen, les gloussements, les mots durs du petit homme.
— … Sarah Miller ?
Surprise, la jeune femme se figea à la mention de son nom. Comment se faisait-il que ces hommes la connaissent ? À moins… à moins que… Soudain, un étau glacial lui comprima le cœur : c’étaient ceux qui l’avaient appelée au bureau et qui avaient massacré sa famille.
Mue par une rage pure, Sarah s’élança sans réfléchir ni s’en rendre compte. Ce fut comme si le temps ralentissait et se décomposait en une succession de clichés pris sur le vif.
… Le petit homme tourné vers elle, une pince à la main.
… Un des deux jeunes gens se jetant sur elle.
… L’expression d’Owen lorsqu’il la reconnut.
Puis le petit homme frappa Sarah à la poitrine avec le manche de sa pince. Le souffle coupé par la douleur, elle tomba à genoux, heurta une chaise et bascula sur le côté. La botte ferrée qui visait sa tête la toucha à l’épaule, lui engourdissant tout le bras et lui faisant décrire un demi-cercle sur le sol.
Elle s’immobilisa face à un objet familier.
Le sac de Tesco.
— Vivante, aboya Robert Elliot. Je la veux vivante, répéta-t-il avec un sourire mauvais.
En fin de compte, tout allait s’arranger. Il pourrait remettre Miller à son employeur et s’en tirer à bon compte.
Il regarda le copain de Skinner donner un second coup de pied vicieux à la fille, et atteindre celle-ci en haut d’une cuisse. Le junkie s’apprêtait à frapper de nouveau quand Miller plongea la main dans un sac posé par terre, y prit un paquet enveloppé de journal et roula sur elle-même en laissant tomber des pages froissées.
Le sac ! Il était là !
Robert le montra du doigt à ses acolytes. Mais déjà, Sarah s’était redressée sur un genou en agrippant le paquet des deux mains. Elle plongea en avant et frappa le junkie à l’entrejambe. Avant même que le papier journal vire à l’écarlate, Robert sut ce qu’il dissimulait.
L’Épée Brisée transperça la chair molle, sectionnant tissus, muscles et organes internes. Du sang jaillit, crépitant sur le papier journal et sifflant au contact du métal rouillé. Sarah leva l’arme, dont la lame pourtant émoussée découpa le bas-ventre de sa victime et l’éviscéra net.
Au loin, le mugissement d’un cor de chasse. Quelque part, un fracas métallique étouffé – le chant de l’épée.
Sarah dégagea son arme. Le junkie vacilla, le visage couleur de cendre, les yeux écarquillés par le choc, la bouche grande ouverte et les mains pressées sur la plaie béante de son ventre.
Tenant toujours l’épée à deux mains, Sarah s’avança et donna un coup bref à l’horizontale. La lame toucha le junkie sous la mâchoire. Curieusement, il ne jaillit que très peu de sang lorsque sa tête se détacha de son corps.
Les chasseurs se rapprochaient. Leurs cors mugissaient, leurs chiens aboyaient de plus en plus fort.
Sarah Miller bondit par-dessus le cadavre mutilé et brandit l’épée au-dessus de sa tête. La pointe de la lame heurta le plafonnier, plongeant la pièce dans le noir tandis que des étincelles blanches dansaient le long du métal rouillé.
Robert Elliot et Skinner prirent leurs jambes à leur cou. Tournant les talons, ils s’enfuirent dans la nuit au moment où apparaissait le gyrophare d’une voiture de police. Ils sautèrent par-dessus le capot et s’élancèrent dans la rue, le véhicule aux trousses.
Par la fenêtre brisée, Sarah les suivit des yeux. Quelque chose lui disait qu’ils s’en tireraient – et qu’ils reviendraient. Elle reporta son attention sur Owen.
— Il faut que je foute le camp d’ici. Vous êtes en état de me suivre ?
Elle aida Owen à se lever.
— Vous l’avez tué, dit le jeune homme hébété à voix basse. Vous l’avez éventré et décapité. Vous avez tué un homme.
— Deux, en fait, grimaça Sarah. Je vous expliquerai plus tard. Nous courons un très grand danger.
Owen avait l’estomac en ébullition, et une migraine si intense que s’il s’avisait de bouger, il vomirait à coup sûr.
— Ça va aller, promit-il d’une voix faible. Je dirai aux flics que vous l’avez fait pour me sauver. C’est bien pour ça que vous êtes revenue ?
Sarah acquiesça et sentit son sang lui marteler douloureusement les tempes.
— Je ne pouvais pas vous abandonner entre leurs mains. J’ai vu ce qu’ils ont fait à ma famille… et à Judith.
— Ces hommes m’ont parlé de ma tante. Ils m’ont dit… (Tout à coup, Owen se souvint.) Ils m’ont dit qu’elle était morte, chuchota-t-il d’une voix rauque.
Sarah serra sa main en un geste qui se voulait réconfortant. Elle essayait de respirer par la bouche, car le cadavre du junkie répandait une puanteur affreuse, mélange d’urine, d’excréments et de sang.
— C’est vrai, Owen. Ils l’ont tuée. Ils l’ont massacrée pour lui prendre le sac que je vous ai donné tout à l’heure, celui qui contenait l’épée. Elle avait refusé de le leur remettre, de leur dire où il était. Elle était forte, et elle l’est restée jusqu’au bout. Elle m’a demandé de vous apporter le sac et l’épée, et de vous dire qu’elle était désolée.
— Désolée ? Pourquoi ?
— Elle devait se douter qu’ils ne vous apporteraient que des ennuis. (Sarah plongea son regard dans celui d’Owen.) Vous devriez les emporter en lieu sûr pour les cacher – et pour vous cacher aussi. Ces types ont déjà tué ma famille, votre tante Judith, et ils n’auraient pas hésité à en faire autant avec vous ce soir. Partez. Disparaissez de la circulation jusqu’à ce qu’ils soient derrière les barreaux. Il ne faut pas rester ici. Partons. Maintenant.
— Mais pourquoi font-ils tout ça ?
— Je n’en sais rien, répondit Sarah sur un ton las. C’est en rapport avec l’épée.
— Quelle épée ?
Elle brandit l’artefact qu’elle n’avait pas lâché. La plupart des particules de rouille s’étaient détachées, révélant du métal brillant.
— Je vous présente Dyrnwyn.
Owen la toucha du bout du doigt. Une étincelle jaillit, et il retira vivement sa main.
— Mais tout à l’heure, quand vous avez frappé ce type… j’aurais juré qu’elle était entière et intacte, murmura-t-il.
Sarah fit un signe de dénégation.
— L’épée est brisée. (Elle tourna la tête si brusquement que la pièce tangua autour d’elle.) Vous avez entendu ?
— Euh, non. Quoi ?
— J’ai cru… On aurait dit des cors. Des cors de chasse.