51

— Dyrnwyn… Dyrnwyn… Dyrnwyn…

Vyvienne ouvrit brusquement ses yeux d’un gris froid. Elle était adossée à un très vieux mur de pierre, le regard tourné vers les montagnes du pays de Galles qui se découpaient à l’horizon. Il pleuvait dans le lointain ; de gros nuages s’amoncelaient, et la lumière oblique du soleil aurait presque rendu la scène jolie sans le vent glacial qui privait cette journée automnale de tout charme.

Vyvienne avait senti le pouvoir brut palpiter lorsque les mots avaient résonné à travers l’Astral aussi distinctement que la sonnerie d’un clairon. L’épée venait de se réveiller ; des ondulations d’énergie vivaces se propageaient sous la surface du paysage gris et explosaient dans une conflagration aveuglante.

Vyvienne avait toujours été médium. Une voyante. Un oracle. Elle n’avait que 21 ans, mais elle avait déjà vécu toute une vie.

Née dans une famille de sorcières des temps modernes, dès son enfance elle avait su qu’elle était différente des autres dont l’ego se focalisait sur des besoins matériels. Rien de concret ne pouvait la satisfaire. Elle voulait davantage. En se concentrant, elle pouvait se rendre dans le plan Astral, l’Autremonde.

Elle avait conscience que la majorité des êtres humains ne comprenait pas ce qui se passait dans l’univers au-delà de leurs perceptions limitées. Ils se raccrochaient à la réalité tangible de l’herbe, des arbres, de l’océan et du ciel.

Parce que le royaume astral n’était accessible qu’à de rares privilégiés. Et Vyvienne en faisait partie. Pour elle, il était aussi réel que le monde physique.

Se détournant, elle rebroussa chemin vers la maison en pressant le pas et en clignant des yeux. Elle se concentra sur ce qui l’entourait : le froid automnal, les feuilles mortes qui craquaient sous ses pieds, la légère odeur de feu de bois – n’importe quoi pour repousser les images qui se bousculaient à la lisière de sa conscience. Elle voulait désespérément les examiner, mais pour ça, elle devait être dans un lieu sûr, protégé. Parce que lorsque vous regardez dans l’Autremonde, parfois, l’Autremonde regarde en vous.

Avant son dixième anniversaire, Vyvienne avait déjà arpenté la myriade de niveaux inférieurs de l’Astral. Lorsqu’elle avait offert sa virginité à Ahriman Saurin à l’âge de 13 ans, ses dons avaient été affûtés par des techniques et des rituels séculaires. Ahriman avait augmenté ses capacités naturelles avec le pouvoir très ancien du sexe. Il l’avait encouragée à chercher les artefacts, à lire leur signature dormante dans l’Astral et à remonter jusqu’à sa source. Et après que Vyvienne eut lié sa main à celle d’Ahriman quand elle avait 16 ans, ils s’étaient tous deux lancés dans le Grand Œuvre : réunir les Treize Reliques.

Ahriman avait mis cinq ans à la former. Mais dès que Vyvienne avait reconnu la forme astrale du premier artefact, le reste s’était enchaîné rapidement. Des hommes et des femmes l’avaient payé de leur vie, mais les humains étaient nés pour mourir, et du moins ceux-là n’étaient-ils pas morts en vain : ils avaient versé leur sang pour réveiller les artefacts.

À présent, il ne leur manquait plus qu’une poignée de Reliques.

Parmi lesquelles Dyrnwyn, l’Épée Brisée.

 

Vyvienne trouva Ahriman dans le salon obscur. Assis dans le siège en bois sculpté, il regardait au-delà du village, en direction des montagnes. Il était nu sous la Cape Écarlate. Il tourna vers Vyvienne son regard noir et inexpressif.

— Que s’est-il passé ?

— Elle a appelé l’épée par son nom, trois fois. Elle l’a activée. (Vyvienne prit une grande inspiration.) L’épée est apparue dans l’Astral.

Ahriman se leva et écarta les bras pour accueillir la jeune femme tremblante contre sa poitrine.

— Tant de pouvoir, chuchota Vyvienne. Jamais je n’avais rien contemplé de pareil.

— Ce n’est qu’un fragment de ce que nous contrôlerons un jour, lui promit Ahriman.

— Mais nous ne pouvons pas commencer sans l’épée, protesta Vyvienne.

Il la gifla, sa grande main faisant ballotter la tête de Vyvienne d’un côté puis de l’autre. Le corps de la jeune femme réagit à sa brutalité. Elle en voulait davantage.

— C’est à moi d’en décider, lui rappela-t-il. (La tenant à bout de bras, il entreprit de déboutonner son manteau.) Prépare-toi : il est temps de te mettre en quête de la Relique suivante.

— Tu es sûr que… ? avança Vyvienne.

Il la gifla de nouveau.

— Ne me contredis jamais. Souviens-toi qui je suis. Souviens-toi de ce que je suis.