— Dyrnwyn… Dyrnwyn… Dyrnwyn…
Rouge d’embarras, Sarah baissa l’épée.
Elle entendait encore l’écho de sa voix résonner à travers l’appartement, et son bras tremblait de l’effort qu’elle avait fourni pour brandir l’épée, même si celle-ci ne pesait pas très lourd.
Owen l’observait, ses yeux verts écarquillés. Soudain, il sourit.
— Tu as l’air idiote.
— Merci. Je me sens idiote, avoua Sarah avec une petite grimace gênée.
— Tu t’attendais à quoi, du tonnerre et des éclairs ? plaisanta Owen.
— Oui. Non. Peut-être. (Sarah pouffa pour se moquer d’elle-même avant d’ajouter d’un air penaud :) Sur le coup, ça me semblait être la chose à faire.
Les cors de chasse sonnaient de plus en plus fort, de plus en plus distinctement.
— Je crois qu’on devrait prévenir les personnes de cette liste, dit Sarah sur un ton brusque. (Elle tapota le carnet d’adresses avec l’épée.) Admettons qu’il y ait un fond de vérité dans ce que raconte ta tante…
— Dans ce qu’elle racontait, corrigea Owen.
— D’accord, dans ce qu’elle racontait. Plusieurs des personnes mentionnées ici sont décédées récemment. Ça ne peut pas être une coïncidence, affirma Sarah.
— C’étaient des vieillards, lui rappela Owen.
— Ils avaient dans les 70 ans. Ce n’est pas si vieux de nos jours. Et puis, ils ne sont pas morts de causes naturelles, fit remarquer Sarah en ouvrant l’album, le journal et le carnet d’adresses sur la moquette. Tous les articles que ta tante a découpés mentionnent un meurtre ou un accident. Des causes toujours très violentes.
Elle tapota les coupures de journaux avec le bout de l’épée.
— Judith a passé du temps avec chacune des victimes pendant la guerre, et chacune d’elles détenait une des Treize Reliques, même si nous ne savons pas encore de quoi il s’agit au juste. Et maintenant, quelqu’un tue les Gardiens les uns après les autres pour prendre possession des artefacts. (Elle leva les yeux vers Owen.) Jusqu’ici, tu es d’accord avec moi ?
— C’est ce qu’il semblerait, admit le jeune homme du bout des lèvres. Mais pourquoi ces gens ont-ils été tués de manière aussi atroce ?
— Je n’en sais rien. Je me demande combien d’entre eux sont encore en vie ?
Owen saisit le téléphone et le souleva de la table basse. Puis il s’empara du carnet d’adresses.
— Il n’y a qu’un seul moyen de le découvrir.
Une heure et demie et vingt-deux coups de fil plus tard, Owen raccrocha et dévisagea Sarah. La jeune femme semblait profondément troublée.
— En comptant tante Judith, on arrive à huit morts et quatre disparus dont on ignore où ils sont passés. La seule personne de la liste à qui j’ai pu parler ne vit pas très loin d’ici.
Sarah se leva immédiatement.
— Nous devons aller la voir.
— Pour faire quoi ? demanda Owen sans bouger.
— Pour lui dire ce que nous savons.
— Tu es folle !
— Si c’est une Gardienne des Reliques, nous ne lui apprendrons rien qu’elle ne sache déjà. Si elle ne l’est pas, elle nous prendra pour des jeunes un peu perturbés, voilà tout.
Sarah état livide. Owen la regarda quelques instants avant de lâcher :
— Tu crois à tout ça, n’est-ce pas ?
La jeune femme prit une grande inspiration avant de répondre :
— Je n’ai pas envie d’y croire, mais… oui. Et toi ?
— Je ne sais pas trop. (Owen secoua la tête et lui sourit.) À ton avis, on est en danger ?
Malgré elle, Sarah lui rendit son sourire. Quelque chose papillotait au creux de son ventre. Elle humecta ses lèvres brusquement sèches.
— Sûrement. Et pas qu’un peu.
Le sourire d’Owen s’élargit.
— Tu n’étais pas forcée de me dire la vérité.
Sarah enfilait un jean emprunté à Joyce quand Owen fit irruption dans la chambre. Elle faillit protester, mais l’expression du jeune homme la stoppa net.
— Une voiture de police vient de se garer devant l’immeuble.
Sarah se dirigea vers la fenêtre, frôlant Owen au passage.
— Où ? demanda-t-elle en baissant les yeux.
— La bleue, là. C’est une voiture banalisée.
Sarah distingua les deux personnes qui descendaient du véhicule : une blonde à l’allure masculine et un homme au visage taillé à la serpe.
— Merde. Encore eux.
— Tu les connais ? demanda Owen, surpris.
— Ce sont les deux inspecteurs qui m’ont interrogée à l’hôpital. Je les ai revus devant la maison de ta tante. Il faut filer d’ici tout de suite.
Sarah mit les papiers de Judith dans le sac Tesco. Quand elle ramassa l’épée, de la rouille se détacha, révélant un éclat métallique. Mais Sarah n’avait pas le temps d’examiner la Relique ; elle la fourra dans le sac avec le reste.
Owen entrouvrit la porte et sortit sur l’étroit palier. Des voix montèrent du rez-de-chaussée ; il entendit un homme demander le numéro de l’appartement de Joyce.
— On est coincés, siffla-t-il. On ne passera pas.
Sarah le poussa devant elle.
— On monte, chuchota-t-elle. Vite.
Ils se précipitèrent vers le bout du couloir et s’accroupirent dans l’escalier qui conduisait au troisième étage, en priant pour qu’aucun des locataires du dessus ne choisisse ce moment pour descendre.
Des pas gravirent les marches jusqu’au deuxième étage et s’arrêtèrent devant l’appartement de Joyce. Sarah approcha sa bouche de l’oreille d’Owen, qui sentit les lèvres humides de la jeune femme contre sa peau.
— Le type est l’inspecteur Fowler, et sa partenaire, le sergent Heath.
Ils regardèrent Fowler sortir une clé de sa poche et l’introduire très doucement dans la serrure. Puis, tenant la clé à deux mains, il la fit tourner avec d’infinies précautions pour ne pas faire de bruit. Il poussa le battant et entra, suivi par sa collègue.
— Allons-y ! chuchota Sarah.
Tenant la main d’Owen, elle l’entraîna vers l’escalier qui descendait. Comme ils passaient en catimini devant la porte ouverte, une voix de femme résonna à l’intérieur de l’appartement :
— Quelqu’un a dormi dans le lit, et il y a deux assiettes en train de sécher dans l’évier. La théière est encore tiède.
— Ils n’ont pas pu aller bien loin. Grouillons-nous.
Sarah écarquilla de grands yeux inquiets et regarda désespérément autour d’elle. Alors, Owen referma la porte et tourna la clé en la laissant dans la serrure. Le temps qu’ils dévalent l’escalier et atteignent la porte de l’immeuble, les deux inspecteurs tambourinaient au battant.
— Et maintenant ? demanda Owen comme Sarah et lui tournaient au coin de la rue. On va avoir tous les flics du pays aux trousses. Ils vont forcément croire qu’on est coupables.
— Pas « on », corrigea Sarah. Juste moi. Dans leur esprit, c’est moi la coupable. Toi, tu n’es qu’une victime innocente. (Elle secoua la tête.) Je ne sais pas quoi faire. Laisse-moi réfléchir une seconde.
Elle plongea sa main dans le sac pour modifier la position de l’épée, dont un morceau dépassait. Une minuscule étincelle d’électricité statique jaillit entre le métal et le bout de ses doigts.
Et soudain, elle se sentit parfaitement sûre d’elle.
Se redressant, elle tendit le doigt vers le bout de la rue.
— On va commencer par acheter des vêtements de rechange. Les flics ont dû nous voir par la fenêtre ; ils savent comment on est habillés. (Elle passa sa main dans sa longue tignasse rousse emmêlée.) Ensuite, je me couperai les cheveux. Puis on ira rendre visite à Brigid Davis. Il faut la mettre en garde.
— Espérons juste qu’il ne soit pas déjà trop tard, marmonna Owen.