Debout à la lisière des bois, Sarah et Owen suivirent du regard le doigt qu’Ambrose tendait vers le corps de ferme du XIXe siècle.
— Les Reliques sont là-dedans. La maison est bâtie sur les vestiges de l’ancien puits.
Frissonnant, Owen se frotta les bras et la nuque. Sarah se rendit compte que ses mains moites étaient crispées sur l’épée et qu’elle ne cessait de jeter des coups d’œil nerveux par-dessus son épaule, comme si elle s’attendait à ce que quelqu’un jaillisse du couvert des arbres pour les charger.
— Vous sentez un minuscule filet du pouvoir des Reliques, leur expliqua Ambrose. Elles sont scellées dans des boîtes en plomb elles-mêmes verrouillées par un mot de passe, mais elles restent incroyablement puissantes. S’il ne les utilise pas très vite, elles briseront les chaînes qu’il leur a imposées.
— Et ensuite ? demanda Sarah.
Ambrose haussa les épaules.
— Qui sait ? Elles pourraient déchirer la trame d’une myriade de dimensions, ouvrir des portails vers des mondes inconnus.
— Que voulez-vous que nous fassions ? s’enquit la jeune femme sur un ton las.
— Vous devez l’arrêter, bien entendu.
— Comment ? interrogea Owen.
— Moi seul peux contenir les reliques, répondit Ambrose. Il faut entrer dans la maison – qui est protégée par bien d’autres choses que des humains – et s’emparer des Reliques pour les en éloigner. Quant à l’Homme Noir et à sa compagne, ils doivent être tués.
— À vous entendre, ça a l’air simple, commenta Sarah.
— Je vous assure que ça ne le sera pas, répliqua Ambrose.
Son plan lui avait paru d’une simplicité enfantine.
Pourquoi Ahriman gaspillerait-il son énergie à chercher le garçon et la fille alors que la police disposait des ressources nécessaires pour le faire à sa place ? Découvrir que les deux inspecteurs londoniens avaient suivi la piste de Miller jusqu’au village était tombé à point nommé. Décidément – un sourire moqueur tordit les lèvres d’Ahriman –, un ange gardien veillait sur lui.
L’Homme Noir s’arrêta au sommet de la colline. Accoudé au mur de pierre, il contempla le Mere en contrebas. Tentes et échoppes colorées occupaient les champs qui s’étendaient à perte de vue. Partout, des drapeaux flottaient dans la brise, et des milliers de personnes en tenue plus ou moins macabre célébraient la Toussaint. Certains portaient des costumes d’Halloween, d’autres s’étaient déguisés en personnages de films célèbres, d’autres encore arboraient ce qu’ils prenaient pour une robe de sorcier traditionnelle. Ahriman sourit. Quand les démons franchiraient le portail, ils ne les reconnaîtraient même pas.
Au loin, un air de cornemuse flottait dans la tiédeur de cette fin d’octobre. Les visiteurs venaient du monde entier. La plupart d’entre eux étaient originaires de contrées celtiques – pays de Galles, Écosse, Irlande, île de Man, Bretagne –, mais il y avait également des Américains, des Canadiens et des Australiens. Un énorme contingent d’Europe de l’Est était arrivé pendant la nuit. Ahriman avait même aperçu des drapeaux de l’Afrique du Sud. En tout, plus de cent cinquante mille hommes, femmes et enfants de tous les âges se massaient dans les champs en contrebas.
Treize énormes braseros avaient été installés apparemment au hasard à travers le Mere. Seul Ahriman savait que onze d’entre eux contenaient une partie du corps des Gardiens défunts, soigneusement enveloppée de paille, et que les feux avaient été disposés selon un motif bien précis.
Quand les flammes s’élanceraient vers le ciel nocturne et consumeraient la chair des vieillards, Ahriman réunirait les Reliques. Il les détruirait selon le cérémoniel approprié, brisant le sceau du portail interdimensionnel pour permettre aux démons d’envahir leur monde. Grâce au rituel, les créatures seraient forcées de lui obéir. Elles feraient ses quatre volontés, et il deviendrait le maître du monde.
Ahriman balaya les champs du regard. Il se demanda si cent cinquante mille âmes suffiraient à apaiser la faim dévorante des Fomor.
Il en doutait.