Je dois dormir. Je dois dormir. Je dois dormir.
Cette phrase de trois mots, je me la suis répétée, genre, un million de fois. Résultat : je ne dors pas encore !
Je ne suis pas capable. Ma tête est comme un carrousel dans une foire : ça tourne, ça émet des lumières de toutes les couleurs, ça monte et ça descend, ça fait de la musique et il y a un gars aux commandes vraiment bizarre, il n’arrête pas de renifler. Il a les cheveux gras et des poches sous les yeux. On ne sait jamais si, dans un accès de folie, il ne va pas appuyer trop longtemps sur le bouton vert et transformer le carrousel en lave-linge au cycle essorage.
Le problème avec ce manège, c’est qu’il n’y a pas de bouton rouge pour l’arrêter.
Demain après l’école, premier match d’impro des Dé-Gars. Il faut que je sois en super forme. Je ne veux tellement pas me planter !
Je viens de vivre une soirée folle : Mart m’appelle pour m’annoncer que Zac est mort à cause d’une négligence. Je vais faire une marche et je croise mon petit renard chéri, Haïme (je suis sûre que c’était lui !), comme s’il voulait me rassurer. Je reviens à la maison, je vais dans la chambre de mon frère pour reprendre l’ordi. Il dort, je fais attention de ne pas le réveiller, je retourne dans ma chambre sur la pointe des pieds et… et ce que j’aperçois sur le moniteur me fait subir deux autres chocs.
Que le grand cric me croque ! Je sais enfin qui est RKRP. Jamais, jamais de ma vie je n’ai soupçonné cette personne. J’aurais dû parce qu’en regardant son nom, son identité est évidente. 
Ça saute aux yeux ! Je me trouve assez poche comme détective. C’est un peu comme si j’étais policière, que j’arrive sur la scène du crime, un meurtre, genre. Et je ne vois pas que dans la foule des curieux il y a un mec avec une pancarte où il est écrit « C’est moi l’assassin ! » avec une flèche pointée sur lui.
Je dois avouer qu’après tous ces questionnements, je suis un peu déçue de la réponse. Je reviens, j’ai besoin d’explications.
(…)
Qui est RKRP ? C’est Fred, mon frère.
Pourquoi RKRP ? Ce sont les consonnes du mot « parkour », mais à l’envers.
Tous les morceaux du casse-tête se mettent en place. Il a vu et entendu arriver les pompiers chez Kim samedi dernier. Il a pu facilement me « voler » le lecteur numérique de Stive qui se trouvait dans mon sac à dos. Reste à savoir comment il a fait pour être informé de la tricherie de Jimmy. Et comment il a pu s’emparer du lecteur numérique de Stive.
Je reviens de sa chambre. J’ai voulu en avoir le cœur net. Pourquoi il ne m’en a pas parlé ? Parce que c’était moins forçant de m’envoyer des courriels ? Il faut dire que de ma chambre à la sienne, il y a à peu près dix pas. Vraiment trop fatigant pour lui, j’imagine.
Pourquoi avoir utilisé un pseudonyme ? Pourquoi avoir caché le lecteur numérique sous une poubelle dans un parc ? Pourquoi ne pas m’avoir dit, un matin, pendant qu’il mangeait ses céréales avec du ketchup (il fait ça depuis qu’il est tout petit, c’est dégueu !) : « Oh, je voulais te dire, j’ai des preuves qu’un des scrutateurs a triché. T’aimerais les voir ? » Me semble que ça aurait été tellement plus simple.
Au pire, laisser une bouteille dans le corridor avec un message dedans. Mes orteils, un moment ou un autre, l’aurait heurtée. Je l’aurais ouverte et j’aurais découvert son message.
Mais bon : rien n’est simple avec Fred.
Intriguée, je suis allée dans sa chambre. Il était dans la même position que lorsque je suis allée chercher l’ordi : assis sur sa chaise, sa jambe plâtrée posée sur un pouf, la tête sur le côté, la bouche ouverte.
J’ai essayé de le réveiller tout doucement en lui chuchotant son nom. Aucune réponse.
Puis, j’ai poussé son épaule. Aucune réponse.
J’ai pris une de ses béquilles et j’ai enfoncé le bout dans ses côtes. Aucune réponse.
Je lui ai foutu une super gifle (elle a produit des étincelles !), puis j’ai arraché une de ses oreilles avec mes dents. Aucune réponse. (D’accord, j’ai juste mouillé un de mes doigts et je l’ai glissé dans son oreille. Deux secondes plus tard, j’étais tellement dégoûtée que je l’ai retiré et je l’ai trempé dans la bouteille d’alcool à friction ; je crois que je viens de commettre mon erreur de jeunesse. 
)
Les médicaments antidouleurs de Fred, quand ils ne lui donnent pas des hallucinations, le rendent complètement K.-O. Alors je lui ai joué un tour : j’ai mis dans chacune de ses narines un crayon. Hi, hi, hi ! C’est super immature, mais je me trouve tellement drôle.
Je vais donc devoir attendre demain pour connaître le fond de l’histoire.
Par chance, la fraude de Jimmy a été démasquée et Kim est devenue présidente du Comité étudiant. Reste que je suis curieuse de connaître les raisons qui ont poussé Fred à agir de manière aussi étrange.
Sous la fenêtre où il y avait la boîte de réception de RKRP et où j’ai découvert qu’il me répondait, il y a avait une autre fenêtre. Celle-là aussi m’a dérangée.
Sauf que je dois aller dormir. Il est presque une heure du matin !
Allez, dodo.
DODO ! C’est un ordre ! 