Wow ! J’ai fait le tour du cadran. Je me suis endormie hier soir à dix heures et j’ai ouvert les yeux ce matin à dix heures ! Douze heures de sommeil, c’est ce qu’il me fallait pour recharger mes piles.
J’ai dormi toute habillée. J’étais dans la même position quand j’ai ouvert les yeux. C’est Mom qui est venue éteindre la lumière à trois heures du matin.
Elle fait de l’insomnie, ces temps-ci. Je pense que c’est à cause du boulot. Elle subit beaucoup de stress, elle a été mutée aux urgences de l’hôpital. Pourtant, Mom est capable d’en prendre. C’est une dure. Comme moi ! Ou presque.
Je saute de joie. J’ai mes règles. Youpi. C’est d’ailleurs ce qui m’a réveillée : un pincement au bas du ventre. Je n’ai pas pris de chances, j’ai tout de suite pris de l’acétaminophène.
À 11 ans, j’attendais fébrilement mes menstruations. J’en faisais presque une obsession. Genre chaque fois que j’allais faire pipi, je retenais ma respiration en espérant voir du sang. Je m’étais même préparé un discours pour ce grand événement, discours que je voulais réciter à Mom. À 12 ans, je l’ai enfin été pour la première fois. J’ai oublié le discours et me suis plutôt mise à hurler de joie. Puis je n’en ai pas eu pour deux ou trois mois que j’étais désespérée. Et ça s’est mis à être assez régulier, genre aux vingt-huit ou trente jours. Maintenant, mes règles, des fois, je pourrais m’en passer. Surtout pendant les vacances. Ou quand je suis malade. Ou quand j’ai un examen. Ou quand je me baigne. Ou quand je monte sur le dos d’un rhinocéros.
C’est fou ce qu’on doit endurer pour avoir des enfants. Le syndrome prémenstruel, entre autres. Les crampes de Mom ont déjà été tellement fortes qu’elle en perdait connaissance ! Ça n’arrive pas aux gars, ça! Eux, ils sont toujours égaux : des orthos en puissance (il y a de l’espoir, certains s’améliorent en vieillissant). Nous, les filles, on est comme des boîtes à surprises.
Ah, les hormones ! J’ai lu qu’une femme avait déjà été innocentée d’un meurtre qu’elle avait commis parce qu’elle était en SPM. Hum… Ça donne des idées… Ah ! Ah !
Tintin m’a expliqué (oui, Tintin !) que j’allais avoir, en moyenne, quatre cents menstruations dans ma vie. Il y a une cinquantaine d’années, les femmes en avaient beaucoup moins, genre une cinquantaine. Pourquoi ? Parce qu’elles commençaient plus tard (vers 16 ans) et avaient plusieurs enfants. J’ai même entendu parler d’une femme qui en aurait eu… dix-huit ! J’en ai plein les bras quand je garde les jumeaux, comment je ferais avec seize autres monstres de la nuit comme eux ?
Faut aussi dire que les pères, à cette époque, ne s’en mêlaient pas trop. Il y a encore aujourd’hui des paresseux et des arriérés qui pensent comme dans les années cinquante, mais ils sont heureusement de plus en plus rares.
Avant, jamais on n’aurait vu un homme pousser une voiturette d’enfant sur le trottoir. Surtout s’il n’y avait pas de bébé dedans. Ah ! Ah ! Trop weird : je croise un homme derrière un pousse-pousse, je m’arrête pour observer le bébé et, surprise, pas d’enfant, mais une plante. Je regarde le gars et il me sourit, mouille ses lèvres avec sa langue et me dit : « Elle aime ça prendre l’air ». Bizarre !
Même si avoir mes règles m’énerve un peu et me paraît injuste, je ne suis pas vraiment malheureuse. C’est la preuve que je suis une femme, non ?
(…)
Je viens d’avoir des nouvelles de Kim. Je suis dans le pétrin. Sérieusement.
Mon idée d’aller voir l’infirmière de l’école pour l’informer des problèmes de Nath était mauvaise. J’ai provoqué une crise.
Nath est persuadée que Kim l’a « dénoncée ». Kim n’était pas au match d’impro hier parce que Nath était en crise. Elle est allée la voir et a passé la soirée avec elle.
Nath est convaincue que tout le monde à l’école est au courant de ses problèmes. Et comme elle n’en a parlé qu’à une seule personne, elle a fait le lien.
Kim m’a demandé si j’étais allée voir l’infirmière.
J’ai dit « non ». Parce que je ne me sentais pas la force de lui dire la vérité. Je me sens full coupable.
Nath ne veut plus remettre les pieds à l’école. Et il a fallu que Kim jure sur la tête de tous les humains sur Terre qu’elle n’avait rien à voir avec l’infirmière pour que Nath accepte de lui parler.
Je me sens mal.
Si l’infirmière dit que c’est moi qui suis allée la voir, même si elle m’a promis l’anonymat, je suis cuite. Si quelqu’un m’a vue entrer dans son bureau, ça va se savoir.
C’est moi qui ne voudrai plus retourner à l’école.
Qu’est-ce que je fais ? J’avoue tout à Kim? Je me tais ?
Je ne peux pas me taire. C’est à moi de régler le problème que j’ai créé.
Kim n’est pas en ligne, je vais l’appeler.
(…)
Ça ne répond pas. Je vais aller la voir.
Je pense que c’est la meilleure chose à faire.