Publié le 23 octobre à 16 h 37 par Nam
Humeur : Blasée

> Mais

Eh oui, c’est officiel : je suis la blonde de Michaël. On a passé la journée ensemble. C’était agréable. On est restés collés pendant deux heures en regardant la télévision. Et il m’a caressé les cheveux pendant tout ce temps. J’aime ça ! Image

Sa mère nous a laissés tranquille, mais elle est descendue plusieurs fois au sous-sol sans raison particulière. Elle m’a souri : c’est un bon départ.

Mais.

Il y a quelque chose qui cloche. Je ne sais pas ce que c’est, ça m’énerve.

Michaël m’a dit cent fois qu’il m’aimait, il a été adorable, plein d’attentions, il m’a raccompagnée jusqu’à la maison, il embrasse bien, mais…

Mais.

Je ne suis pas follement amoureuse. Je suis comme juste bien.

C’est agréable d’être traitée comme une princesse. C’est agréable d’être aimée. C’est agréable de se sentir désirée.

Mais.

Mais ce n’est pas ce que je veux. Image

Où sont les papillons dans le ventre ? Où est la nervosité ? Où est l’enivrement de l’amour ? L’espèce de sensation de flotter et de trouver la vie TELLEMENT belle ?

En plus, à deux heures de l’après-midi, son cousin est arrivé pour se faire garder. Celui qui ressemble à une citrouil le. Celui qui ne cligne jamais des yeux et qui sourit tout le temps. Thomas.

Il s’est assis dans le fauteuil et il n’a pas cessé de me fixer. À tel point que je me suis énervée. Je me suis levée et je l’ai brassé comme un yogourt en criant : « Je ne te laisserai jamais me voler mon âme ! »

D’accord. Ce n’est pas ce que j’ai fait.

Je lui ai souri et je lui ai demandé si je pouvais « l’aider ».

Une chance qu’il ne m’a pas répondu qu’il voulait que je le mouche ! Ewww ! Image

Il a enfin porté son regard sur la télé, mais pas plus de dix secondes. Il a continué à me regarder comme si j’étais une statue qui venait d’éternuer.

Quand j’ai été seule avec Michaël, je lui ai demandé si son cousin était normal.

Faut s’entendre sur la définition de « normal ». Tout le monde est différent et la « normalité » est vraiment une question de point de vue. Exemple : à l’école, tout le monde est « normal » : deux bras, deux jambes, un tronc et une tête (sauf pour certains gars, ah, ah, ah). Même Tintin en fait partie. Mais je pense qu’ un joufflu de huit ans qui n’arrête pas de me fixer n’est pas « normal ».

– Pourquoi tu demandes ça ? a dit Michaël.

J’ai senti que c’était un terrain glissant. Il a fallu que je lui montre à quel point j’étais bonne en patinage pas-artistique et chaussée de patins aussi lourds que des briques.

– C’est juste que, je me disais que, je ne sais pas, peutêtre qu’il est, euh, différent des autres.

– Tout le monde est différent.

La voix n’était pas celle de mon chum. C’était celle de sa mère qui avait décidé d’épousseter les dauphins dans la bibliothèque du sous-sol en silence, événement qui arrive probablement tous les cinquante ans. Avoir su qu’elle était là, je me serais fermé la trappe.

Fallait que je me « rattrape » (génial, on va bientôt m’appeler Miss jeux-de-mots).

– Je sais, tout le monde est différent, j’ai dit. Et ce n’est pas une critique. C’est juste qu’il est, euh, bizarre.

Wow. Fallait évidemment que j’utilise l’adjectif le moins approprié qui soit. Qui suis-je pour trouver les membres de sa famille « bizarres » ? Tellement pas gênée, la fille !

La mère de Michaël, un sourire en coin, m’a demandé :

– Ah oui ? Et moi, tu me trouves bizarre ?

Oh, le piège ! Comme si j’étais un poisson qui arrivait nez à nez avec un hameçon sur lequel grouille un gros ver de terre gluant.

Je n’avais pas le temps de penser et j’ai laissé mon instinct d’improvisatrice prendre le dessus. D’un seul jet, j’ai répliqué :

– Bien sûr que vous êtes bizarre. Avec tous ces dauphins autour de vous, vous pourriez déclarer la Troisième Guerre mondiale et conquérir l’univers.

Mais qu’est-ce que je venais de dire ? J’ai regretté pendant les deux secondes qui ont suivi. Puis, au début de la troisième, elle s’est esclaffée :

– Ah ! Ah ! Très drôle. J’aime ton sens de l’humour.

Puis elle est remontée au rez-de-chaussée.

Est-ce qu’elle appréciait vraiment mon sens de l’humour ou est-ce que je venais de la vexer ?

Michaël continuait à regarder la télé sans rien dire. J’ai été envahie d’un gros doute.

– Tu crois qu’elle est fâchée ?

– Nan, pas du tout. Si elle a ri, c’est qu’elle a trouvé ça drôle.

Ouf !

Le reste de la journée, j’ai quand même souvent regardé dans mon dos pour m’assurer que, déguisée en dauphin, elle n’allait pas tenter de m’assassiner avec un épluche-patates en hurlant : « Ils m’ont dit de le faire ! ».

Bref, tout va à peu près comme je veux : Michaël est mon chum, j’ai passé un après-midi agréable, j’ai exprimé tout haut ma peur de son cousin et, en prime, sa mère a eu l’air de m’apprécier.

Que demander de plus ? Ce n’est pas ce que je voulais ?

Pourtant, la première personne à qui j’ai pensé avant de commencer ce billet est Mathieu.

Quelle ingrate je suis !

On mange.