Grand-Papi ne se gêne pas pour lui faire remarquer que ses cheveux sont gras ou que les pores de sa peau dégagent une brume verdâtre. Le reste de la famille est habitué. Nos cellu les olfac tives sont émoussées depuis longtemps.Souper mouvementé.
Ça a commencé avec Mom. Elle a informé Fred qu’à compter de ce soir, chaque fois qu’il s’apprête à faire un geste inhabituel, il devra remplir un formulaire et y détailler point par point les étapes nécessaires à son accomplissement. Et Mom devra signer le formulaire en signe d’acceptation avant qu’il ne bouge.
S’habiller et aller à la salle de bains ne compte pas comme geste inhabituel. Mais j’imagine que lorsqu’il prend sa douche, il lui faudra remplir le formulaire. Grand-Papi ne se gêne pas pour lui faire remarquer que ses cheveux sont gras ou que les pores de sa peau dégagent une brume verdâtre. Le reste de la famille est habitué. Nos cellu les olfac tives sont émoussées depuis longtemps.
(Si Fred se met à se doucher tous les jours, je vais perdre ma principale source de blagues de mauvais goût. Il ne faut pas que ça arrive !)
Mais pour sauter du toit, pour téléverser une vidéo embar rassante sur le Net ou entreprendre une thérapie de régénération des cellules de la peau à base de jus de perceoreilles écrasés, il lui faudra l’accord de Mom.
Fred a protesté, il a parlé d’atteinte à ses « droits et libertés ». Tintin a demandé si cela était « constitutionnel ». Grand-Papi s’est inquiété à voix haute après avoir échappé un morceau de pain dans sa soupe qu’il était incapable de repêcher.
Puis, pour détendre l’atmosphère (me semble !), Pop a parlé de son possible départ à la guerre contre les terroristes.Ça, c’est vraiment inquiétant. La dernière fois qu’il est parti je n’avais que sept ans. J’ai trouvé les six mois inter-minables. Même si les risques d’être tué étaient mini mes, je n’arrêtais pas de penser à ça. Chaque fois que le télé phone sonnait ou que quelqu’un frappait à la porte, je retenais mon souffle croyant qu’un porte-parole de l’armée allait nous annoncer qu’il était blessé ou, pire, mort !
J’y repense et ça m’angoisse encore. 
Mom avait tout fait pour nous rassurer. Mais même si je n’avais que sept ans, je sentais qu’elle était aussi inquiète que nous. Quand on annonçait à la télé qu’un des soldats de notre pays était mort, elle éteignait aussitôt l’appareil. À quelques reprises, je l’ai vue arracher des pages de journaux ou de magazines. Et le soir, dans sa chambre, je l’ai souvent entendue sangloter.
Il y a eu du positif : c’est à ce moment que Grand-Papi est venu vivre à la maison. Il est venu aider Mom et lui remonter le moral.
Faut dire que Fred commençait à avoir des comportements étranges. Il disait que ça ne le dérangeait pas que Pop soit absent, mais il avait des problèmes à l’école. Pas des trucs graves, mais il se battait et il a déjà volé un truc à la cafétéria.
Je pense que ça nous a tous perturbés. Grand-Papi était là pour faire en sorte qu’on reste soudés.
Je me rappelle de la joie que j’ai ressentie quand j’ai revu Pop à l’aéroport. Ouf ! Je m’étais préparée genre un mois à l’avance, je savais ce que j’allais porter et je lui avais fait un dessin qui nous représentait tous autour d’un feu de camp. C’est une des seules fois où j’ai vu Pop pleurer. Je ne pense pas que je revive ça un jour.
J’étais excitée et terrorisée. Fred m’avait raconté une histoire horrible arrivée à l’un de ses amis (quand j’y repense, c’était VRAIMENT horrible !). Pour ne pas inquiéter les famil les des soldats morts au combat, on ne leur disait pas qu’ils étaient morts. On leur donnait une date de retour et un lieu pour leurs retrouvailles. Finalement, au jour dit, la famille de son ami s’est rendue à l’adresse qu’on leur avait donnée et c’était celle du salon funéraire où le corps était exposé. 
Quand j’y repense, j’ai du mal à respirer.
J’avais demandé à Mom si cette histoire était vraie, elle m’avait dit que Fred avait voulu me faire peur. Elle avait ajouté qu’elle avait parlé à Pop la veille et qu’il se portait à merveille.
Et si la personne au bout du fil était un imitateur ? Et si Mom était complice ? Ah ! Ah ! Ce n’est pas d’hier que j’ai beaucoup (trop ?) d’imagination.
Je ne peux pas croire que le cauchemar va recommencer.
Pop nous a dit que ce n’était pas sûr. Pourquoi il nous en parle, alors ?
Je vais me croiser les doigts. Et les orteils. Et tous les poils que j’ai sur le corps. Et les yeux.
Mom n’a pas pu s’empêcher de pleurer.
Un des amis de Pop et du père de Kim est revenu de la guerre avec deux jambes et une main en moins. Et il a été brûlé au troisième degré sur plus de quatre-vingt pour cent du corps. Le véhicule qu’il conduisait a roulé sur une bombe. Horrible !
Qui est assez fou pour faire ce métier ?
Tintin a suggéré à Pop de se révolter. Pop lui a expliqué que c’était son métier et que c’était impossible. Et que se révol ter dans l’armée pouvait apporter beaucoup de problèmes.
Ne pas aller à la guerre, c’est comme si un pompier refu sait d’éteindre un feu ou un médecin de guérir une personne malade. C’est le devoir de Pop. Il a été formé pour ça.
Quelle idée stupide il a eue de choisir ce métier ! Il n’aurait pas pu être plombier ou, je ne sais pas, pâtissier ?
Miam… Pâtissier…
(…)
Je viens de parler avec Michaël. Je lui ai dit que je devais raccrocher parce que j’ai des devoirs à faire.
Il m’étouffe un peu. J’ai besoin de ma bulle de solitude. Je sais qu’il m’aime, il me l’a répété au moins vingt fois. Et il m’a envoyé un courriel avant souper avec un million de « Je t’ 
». C’était interminable. J’ai fait « Aperçu avant impres sion » et si j’avais imprimé son message, il aurait pris… 756 pages !
Je me trouve poche de ne pas l’aimer autant qu’il m’aime. Ça va venir.
Sûrement.
(…)
Grosse semaine en perspective :
Lancement du groupe d’entraide. On va repeindre le local demain après l’école et dans deux jours, on pourra procéder à l’ouverture officielle. Faut aussi discuter avec l’infirmière afin de pouvoir afficher des tracts sur différents sujets intéressant les « jeunes » (comme dit Grand-Papi). Elle sait où en trouver, nous a dit le directeur.
Genre si quelqu’un est déprimé mais qu’il n’a pas envie de parler, il aura au moins un endroit où se relaxer. S’il trouve un feuillet qui le renseigne sur son problème, il va peut-être le lire.
Fred est sur le point de retourner à l’école. Il a dit à Mom et à Pop qu’il ne se sentait pas assez bien, mais ils ne sont pas dupes : il court dans la maison avec ses béquilles. D’ailleurs, Fred a rempli un des formulaires d’autorisation de Mom. C’était une blague, mais faut croire que mon frère a pris cela au sérieux.J’ai essayé de l’espionner pour savoir ce qu’il complote, mais Youki mon p’tit chien d’amooouuurrr, probablement par solidarité avec mon frère, a commencé à japper quand je me suis couchée par terre pour regarder par la fente de la porte.
J’ai clavardé quelques minutes avec Kim. Demain, elle aura une « surprise » pour moi. Une surprise ? Argh ! J’aime les surprises, mais j’hais ne pas savoir ce que c’est ! 
J’ai essayé de lui tirer les vers du nez. J’ai tout fait, je l’ai même menacée de révéler au grand jour qu’elle déteste les brocolis, mais elle n’a pas cédé. Schnoute, ça va m’empê-cher de dormir !
Nath va mieux. Elle ira faire un tour à l’école demain. Elle ne veut pas voir de psychologue, elle préfère régler le problème elle-même. Hum… Une chose à la fois : elle remet les pieds à l’école, c’est une bonne chose ! Après, on verra. Mais Kim et moi, on ne va pas l’abandonner !
Deux gros examens cette semaine, en français et en histoire. J’avais la fin de semaine pour me préparer. En étudiante studieuse que je suis, je n’ai pas ouvert une seule fois mes bouquins. Pour faire changement, je vais étudier à la dernière minute et je vais me maudire de ne pas avoir commencé avant. Je suis tellement prévisible. 
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Mon costume d’Halloween ! Je dois trouver une idée malade mentale. Et la mascotte n’est pas une idée malade mentale.
(…)
Je viens de donner un coup de fil à Mathieu. Pas de répon se. J’ai hâte de le voir demain.
(…)
Fred fait des recherches sur le Net pour « remplir adéquatement le formulaire » de Mom. Qu’est-ce qu’il prépare ?
Ça tombe bien, faut que j’étudie. Oui, oui !
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