J’ai été suspendue de l’équipe d’impro !!! Avant de partir cet après-midi, on m’a appelée à l’intercom. Marguerite m’attendait dans le bureau du directeur.
Je me demandais ce qui se passait. Pendant une seconde, j’ai pensé que c’était à cause des cheveux de Marguerite. Ou plutôt de ses non-cheveux. Je ne sais pas pourquoi, mais j’avais l’impression qu’on allait m’accuser d’un crime contre les poils parce qu’elle s’est rasé la tête après notre victoire.
Puis j’ai allumé : on voulait officialiser la série de défaites consécutives des Dé-Gars en m’offrant une plaque commémorative, un trophée ou un voyage toutes dépenses payées dans un pays du Sud.
Depuis hier, on ne cesse de me féliciter pour ma performance pendant le match. Même des élèves que je ne connais pas m’arrêtent pour me parler de ma performance. Je reste full humble parce que je suis bien placée pour savoir que le match suivant, je peux être nulle. N’empêche, ça me touche quand même. C’est plaisant d’être une (micro) vedette.
Mais je me trompais, ce n’était pas ça du tout. Le directeur et Marguerite avaient un air de salon funéraire. C’est rare que Marguerite ne sourit pas. Pas parce que je suis l’ado la plus belle, la plus gentille et la plus cool du monde, mais parce qu’elle est comme ça, elle a toujours le sourire aux lèvres.
Pas cette fois.
Pire : elle semblait désolée pour moi.
Tout de suite, le directeur m’a informée que la ligue d’impro avait reçu une information anonyme selon laquelle j’avais triché pendant le match.
TRICHÉ !
Je sais que c’est ridicule, mais je me suis dit : « Ils savent pour la boisson énergétique ! »
Ce n’était évidemment pas ça : le responsable de la ligue a reçu un courriel indiquant que j’avais eu en ma possession les sujets des improvisations avant le match. Et c’est pour cette raison que j’avais aussi bien joué.
NAWAK !!!
Je suis restée silencieuse. Marguerite a posé la main sur mon genou et m’a dit :
– Je pense que c’est impossible, mais si t’as quelque chose sur le cœur, tu peux me le dire, ma p’tite fille. Je vais comprendre.
Comprendre ! Comprendre quoi ? C’étaient des accusations complètement farfelues.
– Je n’ai pas triché, c’est absurde. C’est n’importe quoi !
Marguerite s’est tournée vers le directeur :
– Je le savais !
Monsieur M. lui a fait signe de se taire.
– On doit prendre au sérieux ces accusations, a dit le directeur.
Tout de suite un nom m’est venu à l’esprit : Jimmy.
– Ce que vous me dites, c’est que n’importe qui peut envoyer un courriel anonyme et dire que telle personne a triché et que, sans aucune preuve, vous allez la suspendre ?
– C’est le règlement, a fait Monsieur M.
– C’est un règlement stupide.
J’avais envie de pleurer, mais je me suis retenue de toutes mes forces. Il me semble que j’aurais perdu de la crédibilité. Ou peut-être que ça m’en aurait donné ? Je ne sais plus !
– Dans le courriel, il est indiqué que tu gardes les informations dans ton casier…
J’ai interrompu Monsieur M.
– Vous voulez voir ? Ça ne me dérange pas.
J’étais en colère, maintenant.
– On n’a aucune raison de croire que tu as triché, a dit Marguerite, constatant que j’avais changé de registre.
– Eh bien, expliquez-moi pourquoi je suis suspendue, alors ! C’est comme si j’étais coupable alors que je n’ai rien fait.
– Si ce n’était que de nous, tu ne serais pas suspendue. Mais c’est le règlement de la ligue d’improvisation, nous n’avons pas le choix.
Je suis revenue à la charge :
– D’accord, venez voir mon casier. Je m’en fous, vous pouvez le fouiller tant que vous voulez, vous ne trouverez rien.
– Nous ne pouvons pas t’y obliger, a dit Monsieur M.
– Vous ne m’obligez pas du tout. On va aller le fouiller ensemble.
Je me suis levée. Marguerite et le directeur ont semblé désarçonnés par ma détermination.
Le directeur s’est levé à son tour et Marguerite l’a suivi. J’ai ouvert la marche, le dos droit, les fesses et la mâchoire serrées. Pas question de me laisser faire !
J’ai croisé Mathieu.
– Ça va ? il m’a demandé.
– Non.
J’ai poursuivi mon chemin sans m’arrêter.
Pendant que je me demandais si j’allais retrouver des trucs gênants dans mon casier, je me disais en même temps que c’était vraiment humiliant d’être soupçonnée. La majorité des élèves avait quitté l’école, mais il en restait encore quelques-uns pour me voir avec Marguerite et le direc teur. C’était clair qu’ils ne se disaient pas: « Tiens, cette fille fait de la marche rapide avec le prof d’art dramatique et le directeur. » Non, ils se disaient plutôt: « Cette fille est dans le pétrin, je ne voudrais pas être à sa place. »
C’est comme ça que les rumeurs commencent. Présentement, il y a sûrement un élève qui clavarde avec un autre et qui écrit : « J’ai vu la fille de l’impro avec le directeur et une chauve. C’est clair qu’elle a commis une bêtise. » Ça va se répandre comme une traînée de poudre. Demain matin, tous les élèves vont m’observer d’un oeil suspicieux en se disant : « C’est la fille qui a commis le meurtre dans le futur local des Réglisses rouges. Et en plus, elle noie des chatons dans ses temps libres. »
Je déteste cette situation !
Le pire est que je me sens coupable même si je n’ai rien fait !
Évidemment, le directeur et Marguerite n’ont rien trouvé dans mon casier (mais j’ai retrouvé mon miroir aimanté, il n’y a que ça de positif).
On est retournés au bureau du directeur et il m’a expliqué que pour lui, je n’étais coupable de rien, vu la réaction que j’ai eue. Il fera un rapport et demandera que ma suspension soit levée immédiatement. Marguerite m’en donnera des nouvelles.
– Je crois que c’est Jimmy, j’ai dit. Il m’en veut à mort.
– On n’a aucune preuve, a dit le directeur. L’important est que les accusations ne soient pas fondées.
Les preuves, encore les preuves ! Jimmy est le seigneur des Réglisses noires, c’est ça, la preuve !
C’est vraiment une histoire de schnoute.
Je vais souper.