L’ouverture du Club des Réglisses rouges a été un succès monstre ! On a distribué plus de quatre mille réglisses rouges et cinq cents tracts publicitaires ! Yé !
Kim et moi, on était assez nerveuses ce matin. On avait peur de se retrouver seules comme des dindes avec cinq boîtes de réglisses rouges, courant après les élèves pour les forcer à les avaler. On s’est dit : au pire, on aura fait les efforts nécessaires. Et si ça ne marche pas, eh bien, on transformera le local en fabrique secrète de bébés pandas à vendre sur le marché noir des zoos. Tellement cuuute, un bébé panda ! Et si c’est trop difficile, eh bien, ce sera alors des bébés koalas. Tellement cuuute, un bébé koala !
Dix minutes avant le dîner, Kim et moi on était les plus déprimées du monde. On s’est rendues au local en traînant les pieds comme si on avait chacune un lutteur sumo sur le dos. C’est lourd un lutteur sumo !
On s’est trompées. Sur toute la ligne.
Killer le concierge avait installé une table devant le local. Tandis que les élèves passaient sans se soucier de nous (je crois que l’un d’eux nous a lancé une pièce de vingt-cinq cents tellement on faisait pitié), on a sorti les paquets de réglis ses rouges des boîtes et on a disposé les tracts sur la table.
– Les réglisses, c’est pour qui ?
Kim et moi, on s’est regardées comme si on venait d’entendre la voix d’un fantôme.
Derrière la table, il y avait une élève. Qui semblait dans un état normal : elle ne saignait pas du nez, elle ne s’arrachait pas les cheveux pour les manger et avait toutes ses dents dans la bouche.
Je me suis activée.
– C’est pour toi. C’est un nouveau local d’entraide. Ça s’appelle le Club des Réglisses rouges.
Je lui ai tendu un tract. Puis Kim lui a donné une réglisse rouge.
La fille l’a lu et a mordu dans la réglisse.
– Génial, elle a dit. Merci !
Et elle est partie.
Kim et moi, on n’en revenait pas. Une inconnue venait de nous dire que notre projet était « génial » ! On a brassé des bouteilles de champagne, on les a ouvertes et on a commencé à s’asperger avec, comme si on venait de remporter une course de Formule 1. (Tout cela dans nos têtes, il va sans dire.)
Puis une deuxième personne s’est arrêtée. Et une autre. Et à un moment donné, pareil à des animaux affamés, ils voulaient tous des réglisses rouges.
Et des animaux affamés, ça ne se met pas en ligne. Ça fonce. À un moment donné, il m’a semblé que mille mains se tendaient devant moi désespérément pour obtenir un bonbon long et rouge et mou. Kim et moi, on n’arrivait tout simplement plus à fournir !
Puis a surgi mon beau Mathieu, notre sauveur ! Il a remis un peu d’ordre en tirant des balles avec sa mitraillette au plafond (d’accord, en demandant de faire une ligne). On a mieux travaillé : je sortais les paquets de réglisses rouges des boîtes, Mathieu les coupait et Kim les distribuait. Puis il y a eu Nath, qui va de mieux en mieux (youpi !), qui s’est jointe à nous.
Et ce qui est vraiment cool, c’est qu’à peu près tout le monde a pris un tract sans y être obligé. D’accord, on en a retrouvé ensuite quelques-uns sur le plancher (ça fait un peu mal), mais au moins, on a accompli la mission qu’on s’était donnée, celle de faire connaître le club ! À présent, personne (ou à peu près) dans l’école n’ignore l’existence du local d’entraide.
Au bout de 45 minutes qui en ont paru une, la totalité du stock de réglisses rouges était épuisée. Et il y avait encore des élèves qui en redemandaient. Certains sont évidemment revenus plusieurs fois, ce qui me fait penser que le taux de personnes souffrant de maux de cœur dans l’école était très élevé cet après-midi. On devient vite accro à la réglis se rouge. On en mange une, puis une autre et une dernière qui était en fait une avant-dernière, et on a un petit peu la nausée, et on se dit qu’on peut en prendre une autre, en souvenir du bon temps.
C’est fou comme les gens deviennent avides quand quelque chose est gratuit. Parce que ça ne coûte rien, ils perdent toute notion de modération. Comme s’ils avaient peur de manquer de quelque chose, ce quelque chose qui n’existait pourtant pas dans leur vie auparavant.
Au moins notre but a été atteint. Faudra voir lundi s’il y aura des visiteurs au Club des Réglisses rouges.
Kim et moi avons passé un super après-midi, super après-midi légèrement terni par Michaël qui m’a fait une super crise de jalousie. Parce qu’il a vu Mathieu nous aider. Après l’école, sur le chemin qui mène à l’arrêt d’autobus, il ne voulait pas me tenir la main.
– Pourquoi ?
– Parce que.
Nooon ! Je déteste cette réponse qui n’en est pas une !
– Pourquoi ? j’ai répété. J’ai fait quelque chose ?
Aussi sec qu’un désert, il m’a répondu :
– D’après toi ?
– Si je te pose la question, c’est que je ne sais pas !
Silence. Je n’ai rien ajouté parce que… je n’avais rien à ajouter ! Puis il m’a lancé :
– Fallait vraiment que tu demandes à Mathieu de t’aider ?
Ahhh ! Voilà ! La chat sortait du sac !
– Je n’ai rien demandé à Mathieu. Il était là, il a vu qu’on ne fournissait pas, il est venu à la rescousse.
– Pourquoi tu ne m’as pas demandé ?
– Je te l’ai dit. Kim et moi, on ne savait vraiment pas que ça allait marcher autant. On pensait qu’à deux, on allait suffire à la tâche.
– Me semble !
Ho là ! Pourquoi je lui mentirais ?
– Tu penses que j’ai demandé à Mathieu avant le dîner ?
– Non.
– Mais alors, tu penses quoi ?
– Je ne sais pas.
« Je ne sais pas! » Alors qui peut le savoir ?
– Je t’ai déjà dit d’arrêter d’être jaloux…
– Je ne suis pas jaloux.
– Alors c’est quoi, si ce n’est pas de la jalousie ?
– Si tu m’aimes, tu vas comprendre.
Là, je suis restée bouche bée. Et je n’aime pas ça parce que c’est comme si je lui avais donné raison.
J’ai habituellement toujours quelque chose à répondre. Mais là, pas capable de dire un mot. Et c’est juste une heure plus tard que j’ai trouvé la réplique qui tue. Une heure ! Wow, la fille ! Rapide comme l’éclair !
Donc, il me dit : « Si tu m’aimes, tu vas comprendre. »
Ma réplique super méga géniale (mais en retard) : « Si tu m’aimes, tu vas me laisser libre. »
Oh oui, mes réflexes sont hallucinants.
Ça fait trois cent cinquante-neuf fois que Mom m’appel le pour aller souper, ça fait trois cent cinquante-huit fois que le lui crie : « Ouaaaaiiiis ! »