Je sais que je ne devrais pas rire. Je le sais. Mais c’est plus fort que moi.
Je ne suis pas fine !
Ce matin, tel que prévu, Fred, Tintin et moi sommes montés dans l’auto de Grand-Papi. C’était une bonne chose parce qu’il pleuvait comme vache qui pisse (dixit notre super chauffeur).
Fred et Tintin se sont assis derrière. Comme il avait été décidé, Tintin est le derrière du cheval avec le balai et Fred est la tête à l’expression abasourdie (sans la langue rose parce qu’il manquait de papier hygiénique ce matin dans la salle de bains, Tintin n’aime pas utiliser des kleenex).
Le costume est, comment dire ? Pas terminé ? Fred et Tintin, dans leur bulle de millionnaires en puissance, se sont désintéressés de leur œuvre « communautaire ». Ce qui fait que c’est bien laid. Quand on colle le derrière avec le devant, avec mon frère en béquilles, ça donne une bête digne des cauchemars les plus terrifiants. C’est grotesque, ça fait peur, ça avance lentement, ça ressemble à tout sauf à un cheval. En plus, le derrière n’arrête pas de se plaindre au devant qu’il a mal au dos.
Mais ce n’est pas ça qui me fait rigoler secrètement. (Non, ça, ça me fait pleurer.)
C’est Michaël.
Quand la voiture s’est arrêtée devant chez lui ce matin, il nous attendait. Sous la pluie, se protégeant tant bien que mal avec son sac à dos. Dans son costume.
Un bonbon, ça se dilue dans l’eau, surtout si l’eau est le moindrement chaude. La pluie de ce matin était tiède.
Michaël nous a salués de la main quand il nous a vus. Puis il s’est approché.
Catastrophe.
Premièrement, il n’avait pas essayé son costume avant. Donc avec toutes les réglisses noires, il marchait comme s’il portait un orchestre sur les épaules (avec le chef et sa baguette).
Sa démarche m’a fait penser aux scaphandriers du début du 20e siècle. Ils se déplaçaient sous l’eau avec un scaphandre qui pesait une tonne pour rester au fond. Chaque pas exigeait un effort surhumain.
C’est exactement ce qui se passait avec Michaël.
Dès qu’il mettait un pied devant l’autre, des réglisses se détachaient de son costume. Réglisses noires et colle blanche devenues gluantes sous la pluie.
– Il ne rentrera pas dans mon auto, a dit Grand-Papi.
– Dans le coffre arrière ? j’ai suggéré.
– Oh non. Au mieux, je pourrais l’attacher sur le capot.
Les bras et les jambes raides, dans l’impossibilité d’être en compétition avec un escargot paresseux, Michaël s’est encore rapproché. Mais avant qu’il nous rejoigne, surgis de nulle part, des goélands ont foncé sur lui. Pas deux ou trois. Genre dix !
Agressifs, ces rats géants ! Michaël, aussi agile qu’une roche, ne pouvait pas fuir ! Il a reculé et a heurté la poubelle qui s’est renversée. Et il est tombé.
C’est clair que les goélands l’avaient repéré à un kilomètre dans les airs. Une réglisse noire géante, un buffet sucré libre service, une occasion à ne pas manquer !
Bien entendu, je ne pouvais pas sortir, pour ne pas endom mager mon costume.
– Fais quelque chose ! j’ai dit à Grand-Papi.
– On interviendra après. La pluie, ce n’est pas trop bon pour mes rhumatismes.
– Non ! Ils vont lui faire mal !
– Mais non. Tu as déjà entendu parler de goélands ayant blessé un ado, toi ? Pas moi.
Je me suis retournée. Fred et Tintin ont tout de suite regar dé par les fenêtres de côté, comme s’il ne se passait rien !
– Les gars, j’ai dit.
– Je ne peux rien faire, a dit Fred en levant une de ses béquilles.
– Allez ! Faut l’aider !
Un des goélands a poussé un cri. Il appelait ses amis en renfort !
– Tintin !
Il a levé les mains.
– D’accord, d’accord, j’y vais. Si au moins on pouvait filmer ça. On se ferait un autre million.
Le derrière du cheval est sorti et s’est élancé vers les goélands mangeurs de réglisses. Comme la seule chose qu’il avait pour se défendre était sa queue (le vieux balai pourri) et qu’elle était attachée au costume, eh bien, ce fut une défense assez pitoyable. Il agitait le balai de gauche à droite, sans vraiment effrayer les oiseaux et en criant : « Vade retro Satanas ! » Grand-Papi m’a dit que c’était du latin, ça veut dire « Arrière, Satan ! »
Ce sont les goélands qui auraient dû dire cela à Tintin ! Il me semble même en avoir entendu un ricaner. J’imagine bien un goéland rentrer à la maison ce soir et raconter à sa femme et à ses enfants avoir été agressé par un ado déguisé en fessier de cheval armé d’un balai. Et sa femme de dire :
– Ils sont fous ces humains !
Comme ça ne donnait strictement rien, Grand-Papi s’est impatienté et a commencé à klaxonner. Deux goélands se sont envolés, les autres sont restés.
– Oiseaux de malheur ! a grommelé Grand-Papi.
Il a abaissé son levier de vitesse et a foncé vers Michaël et Tintin. J’avais peur qu’il les frappe ! Mais il a freiné au bon moment, sans cesser de klaxonner.
Enfin, les oiseaux se sont envolés.
Michaël s’est relevé. Son costume était non seulement anéanti, mais plein de détritus étaient collés sur lui, venant de la poubelle.
Des voisins, alertés par les coups de klaxon, sont sortis sur leur perron. Quel spectacle ! Gratuit, en plus.
Michaël s’est penché à ma fenêtre.
– Je ne veux pas qu’il touche à mon auto ! m’a dit Grand-Papi.
J’ai baissé la vitre d’un centimètre.
– Est-ce que je suis correct pour l’école ? m’a demandé Michaël .
– Euh, non. Ils ne vont jamais te laisser entrer.
– Ferme ta fenêtre, il pue, m’a dit Fred, avec la classe d’un gentleman.
– Il n’a pas tort, a ajouté Grand-Papi. Peut-être que si je klaxonne, il va s’envoler ?
J’ai levé la main.
– Les gars !
– Écoute, euh, je crois qu’il vaudrait mieux que tu prennes une douche.
Piteux, Michaël a fait demi-tour et il est rentré chez lui.
Il faisait full pitié ! Pauvre ti-chou !
Et moi, la grosse méchante, je trouve ça drôle.
Il n’est toujours pas revenu à l’école. J’espère qu’il n’est pas trop blessé dans son orgueil.
Après les cours, c’est la remise des prix pour les meilleurs costumes. Je suis en compétition dans deux catégories, mais là, je dois y aller !