20.

 

On est presque arrivées à la maison quand maman nous annonce :

– Je pars demain.

Pendant un moment, je reste interloquée – je crois que ce qu’elle veut dire, c’est qu’on part toutes demain. Puis ça me revient. Elle va vendre une de nos pierres. Le morceau d’ambre étincelant. Le feu pétrifié.

Je me penche vers l’avant pour la regarder, pour voir si elle est sérieuse.

Elle oserait faire ça ? Comme si ça ne revenait pas à prendre une partie de moi, à m’arracher un morceau du cœur pour le vendre à quelqu’un qui pense que c’est juste un bout de pierre ? Un bout de pierre qui a de la valeur, mais qui n’est pas vivant ? Qui est mort ?

– À la première heure demain matin. Vous devrez prendre le bus. J’ai prévu d’être de retour à temps pour venir vous chercher vendredi après-midi. J’ai déjà prévenu Mrs Hennessey, elle s’assurera que tout va bien.

Je commence à avoir un mauvais pressentiment, une angoisse qui me tord le ventre… J’ai éprouvé la même chose il y a de nombreuses années quand Severin est arrivé devant notre porte pour nous dire que papa avait disparu.

– Mrs Hennessey ?

Tamra plisse le nez. De toute évidence, vu qu’elle ne demande pas pourquoi maman s’en va, elle le sait déjà. Et elle s’en moque. Je suis la seule que ça préoccupe. La seule à qui cette idée donne envie de vomir…

– Où tu vas ? je m’enquiers d’un ton impérieux.

J’ai besoin de le savoir. Comme si ça avait une quelconque importance. Comme si je pouvais peut-être retrouver la pierre un jour, éviter qu’elle soit perdue à jamais.

Maman garde le silence.

– Où tu vas la vendre ? j’insiste.

– C’est génial, commente Tamra en cherchant quelque chose au fond de son sac à dos.

Avec une désinvolture qui me fait grincer des dents, elle ajoute :

– On peut déménager ? En restant dans le même secteur scolaire, bien sûr. Ah, et pour des téléphones portables ? Je pense qu’on est les deux seules de tout le lycée à ne pas…

– Du calme, Tam. Ne t’emballe pas trop vite.

Maman lui tapote le genou.

– C’est juste pour qu’on se serre un peu moins la ceinture. On ne va pas déménager tout de suite. Mais ça devrait nous permettre de vous acheter de nouvelles fringues, les filles… du matériel de majorette si tu entres dans l’équipe, Tamra… Peut-être que je pourrai réduire un peu mes heures de travail. Rester à la maison certains soirs. Vous me manquez. Et peut-être…

Elle coule vers nous deux un regard affectueux. Ses yeux sont brillants, illuminés d’une lueur prometteuse.

– … Peut-être même que je pourrai voir si je peux vous acheter une voiture, à toutes les deux.

Tam pousse des cris de joie. Se jette sur maman, à côté d’elle, pour la serrer dans ses bras pendant qu’elle conduit.

Une voiture ? Un bijou de famille pour une voiture ? Un tas de métal qui durera dix ans tout au plus ? Ce n’est pas franchement équitable, comme échange. Révoltée, je regarde obstinément par la fenêtre. J’ai la gorge qui me brûle, nouée par l’émotion, je suis trop bouleversée pour pouvoir parler.

La voiture sera pour Tamra, bien sûr. Tam ne plaisantait pas, quand elle parlait de mon incapacité à conduire. C’est vrai. Un bébé de deux ans serait moins dangereux que moi derrière un volant.

En ravalant des larmes brûlantes, je regarde les courettes défiler. Avec leurs cailloux et leurs rochers soigneusement disposés. Des cactus, des bougainvillées somnolents et de la sauge du désert. Des rubans d’air chaud frémissants dansent au-dessus de l’asphalte blanchi par le soleil.

– Il faut que vous me promettiez d’être sages, les filles, et de donner de vos nouvelles à Mrs Hennessey. Si vous avez besoin de quelque chose, dites-le-lui. Je téléphonerai tous les jours.

– Oui ! Tout ce que tu voudras ! s’exclame ma sœur s’agitant, surexcitée.

Les ressorts de son siège protestent.

– Jacinda ? fait maman depuis l’avant.

Elle a l’air d’attendre. D’espérer quelque chose de moi.

Inutile de discuter. Elle a pris sa décision. Mais moi aussi. Quelque chose va craquer. Se détacher. Et ce sera moi.

Elles sont trop heureuses ici, bien installées, en train de se construire la vie dont elles ont toujours rêvé. Elles ne veulent pas partir. Et moi, je ne peux pas rester.

– C’est toi qui décides, dis-je d’une voix étranglée – c’est assez vague pour la satisfaire, j’espère.

J’ai la respiration coupée, comme si un coup de poing avait vidé mes poumons de tout leur air.

Un jour, papa nous a emmenées dans un parc de loisir dans l’Oregon. Une de ces petites escapades loin du clan que maman tenait toujours à organiser. À l’époque où Tamra et moi étions encore des sœurs ordinaires, qui n’avaient rien à se reprocher à part peut-être de ne pas assez prêter leurs jouets. Avant ma première manifestation. Là-bas, j’ai dégringolé de l’équivalent de vingt étages sur un manège de chute libre. J’étais entièrement soumise à la gravité. Je ne pouvais pas m’envoler, je ne pouvais rien faire pour me sauver…

J’ai le même sentiment de terreur et d’impuissance aujourd’hui. Parce que rien de ce que je pourrai dire n’arrêtera maman, maintenant qu’elle est lancée. Rien ne lui fera prendre conscience de ce qu’elle m’inflige.

Je tombe.

Et cette fois, rien ne me sauvera. Il n’y a pas de dispositif pour m’immobiliser à la dernière minute, par un miracle de mécanique.

Mais si, elle en a conscience, chuchote une petite voix dans ma tête. C’est pour ça qu’elle le fait. C’est pour ça qu’elle t’a amenée ici.

Elle veut que je m’écrase au sol.

 
*
 

Plus tard, ce soir-là, je trouve maman en train de faire ses bagages dans sa chambre. Elle porte ses vêtements de travail : elle a prévu de partir après le boulot. La cassette en inox est posée sur son lit, près de son sac marin à moitié rempli. Cette vue me fait l’effet d’un coup de couteau dans le cœur.

– Tu ne vas pas toutes les vendre ? je demande avec angoisse.

Occupée à plier une chemise, elle lève la tête.

– Non.

Elle retourne à ses préparatifs avec des mouvements lents et précis.

Je hoche la tête, soulagée, et je m’approche furtivement de la cassette. Mes paumes me picotent, brûlent de l’ouvrir.

– Je peux la voir ?

Maman soupire.

– Ne t’inflige pas ça, Jacinda. Oublie-la.

– Je ne peux pas.

Je pose les doigts sur le couvercle, je le caresse. Ma gorge me fait mal.

– Montre-la-moi. Une dernière fois.

Elle secoue la tête.

– Tu tends le bâton pour te faire battre.

– Montre-la-moi.

Excédée, elle fouille dans ses poches et marmonne tout bas en brandissant la clé. Elle déverrouille la cassette et ouvre brutalement le couvercle.

J’inspire vivement devant la lueur colorée qui apparaît aussitôt.

Des voix chuchotantes s’élèvent tout autour de moi. Douces, murmurantes, elles m’enveloppent, me rappellent ma vraie nature, qui est en train de disparaître lentement de ce monde. Mais pas aussi vite que maman le croit. Grâce à Will. C’est sans doute la seule raison pour laquelle mon draki est encore vivant. Dans ce désert, sans pierres précieuses, sans lui, je serais condamnée. Comme les baisers de Will, ces pierres me remuent au plus profond de mon être… me ressuscitent. Ma peau se tend. Se met à frissonner.

Une des pierres me remue plus que les autres. Je ferme les yeux pour absorber ces nouvelles ondes d’énergie.

– Laquelle ? je souffle en ouvrant les yeux, mais je m’en doute déjà.

Ma mère détache l’ambre de son nid douillet parmi ses pairs.

Ma mâchoire se contracte. Bien sûr. Je le savais. Par je ne sais quel mystère, je savais que c’était celle-là qui allait me quitter.

Je me penche pour la scruter, la graver dans ma mémoire, en faisant le serment de la retrouver. Sans bruit, je lui communique ça, et je regarde l’ambre diffuser ses rayons de lumière. Étinceler et luire comme si elle m’entendait et comprenait.

Je te récupérerai. Un jour. Quand je ne serai plus soumise aux caprices de ma mère. Si je ne me suis pas totalement désintégrée d’ici là. Desséchée sur pied, réduite à ce fantôme qu’elle veut que je sois. Je tends la main pour en caresser la surface. Chaude et palpitante. Ça me donne aussitôt un regain de vie.

Comme si elle savait que la pierre me nourrit, maman recule, la met hors de ma portée.

Ma peau souffre, se contracte. Avide de retrouver le contact, je fais un bond en avant.

– Il faut que tu arrêtes. Que tu oublies notre ancienne vie.

Maman darde sur moi un regard de feu, qui me rappelle comment elle était avant. Pleine de vitalité, d’énergie. Peut-être que les pierres lui font encore un peu d’effet, à elle aussi.

– Cet endroit aurait tant de choses à t’apporter, si seulement tu voulais bien lui laisser sa chance.

– Ouais, je raille. Je vais peut-être passer l’audition pour entrer dans l’équipe de pom-pom girls.

Elle penche la tête, me regarde durement.

– Il n’y a rien de mal à ça.

Oh que non. Elle serait ravie. Et je regrette que ce ne soit pas possible. Les choses seraient plus faciles si je pouvais faire ça. Si je pouvais être comme Tamra.

– Je ne suis pas Tamra, maman ! Je suis un draki…

– Non, tu es…

– C’est mon identité profonde. Si tu veux tuer cette partie de moi, c’est comme si tu voulais me tuer moi.

J’inspire à fond.

– Papa le comprenait, lui.

– Et il est mort. Il s’est fait tuer à cause de ça.

Je cligne des yeux.

– Quoi ?

Elle se détourne, remet brutalement l’ambre dans la cassette, et je commence à penser qu’elle a décidé que cette conversation était finie, quand elle se remet face à moi. Méconnaissable. Une étrangère me regarde avec des yeux trop brillants, qui fusent de droite et de gauche, comme un animal qui aurait quitté la protection de la forêt.

– Il espérait trouver un autre clan disposé à nous accueillir. Un clan qui ne nous demanderait pas de sacrifier notre fille…

– Un clan rival ? je demande, les joues en feu, refusant d’y croire.

Il est interdit de frayer avec les autres clans. Depuis l’époque de la Grande Guerre, quand on s’est pratiquement tous entre-tués.

– Papa n’aurait pas fait ça !

S’imaginait-il tomber sur un clan qui ne l’exterminerait pas à vue ?

Maman lâche un rire brisé.

– Pour toi ? Pour nous ? Oh que si. Il l’aurait fait. Ton père aurait fait n’importe quoi pour te protéger, Jacinda.

Son regard s’assombrit.

– Il a fait n’importe quoi.

Je secoue la tête, rejetant ce qu’elle me dit. Papa n’est pas mort à cause de moi. Ce n’est pas possible.

– C’est vrai, insiste-t-elle comme si elle lisait dans mes pensées.

Cette fois, je comprends que c’est la vérité. La terrible, l’insupportable vérité. Je tremble. J’ai tellement mal que je peine à respirer. C’est à cause de moi que papa est mort.

J’inspire une bouffée d’air.

– Et tu penses que c’est ma faute. Pourquoi tu ne le dis pas franchement ?

Ses yeux jettent des éclairs avant de se plisser.

– Je n’ai jamais pensé ça. J’estime que c’est la faute du clan.

Je remue lentement la tête de gauche à droite, comme si j’étais sous l’eau.

– Je veux rentrer.

Je ne sais même plus si je le pense vraiment. Je veux juste m’éloigner d’elle, de tout ce qu’elle me dit. C’est trop lourd. À ce moment-là, je suis sur le point de lui parler de Cassian. Mais quelque chose me retient, m’empêche de tout débiter.

– Vous pouvez rester ici, Tamra et toi. Je pourrais peut-être venir vous rendre visite…

Elle secoue farouchement la tête.

– Sûrement pas. Tu es ma fille. Ta place est avec moi.

– Ma place est avec le clan. Avec les montagnes et le ciel.

– Je ne permettrai pas que tu sois fiancée à seize ans !

Elle ne voit pas ? Il n’y a que des problèmes, la douleur et la mort qui attendent quiconque essaie de quitter le clan.

– Ils ne feront pas ça.

Cassian me l’a promis.

– Je ne les laisserai pas…

Là, elle rigole. Le son âpre de son rire m’effraie.

– Oh, Jacinda. Quand vas-tu comprendre ? Il faut que je te fasse un dessin ?

Je secoue la tête, perplexe. Je commence à penser que je n’aurais peut-être pas dû croire Cassian si facilement. Le soir où il m’est tombé dessus devant chez Chubby’s me paraît soudain si loin. Pourquoi je l’ai cru, déjà ?

– Je sais déjà qu’ils veulent me fiancer à Cassian… le plus tôt poss…

– C’est loin d’être tout.

Elle vient vers moi à grandes enjambées, m’empoigne le bras.

– Tu veux savoir ce que le clan avait prévu pour toi ?

Une profonde, une horrible angoisse s’empare de moi, me glace de la tête aux pieds, mais je fais signe que oui.

– Si nous n’étions pas parties quand nous l’avons fait, ils t’auraient coupé les ailes.

Je lui reprends brutalement mon bras et je recule, chancelante, en secouant la tête… Non, non, non. Cette pratique barbare n’a plus cours chez nous depuis plusieurs générations. Le désailage est une forme archaïque de châtiment corporel pour les drakis. Enlever à l’un d’entre nous la possibilité de voler, c’est la sanction ultime… et c’est extrêmement douloureux.

– Ils ne me feraient pas ça à moi… je murmure d’une voix rauque.

– Pour eux, tu es un bien qui leur appartient, un objet. Un produit de première nécessité précieux pour leur avenir. Ils feraient n’importe quoi pour te garder.

Je revois le visage de Cassian, son air sincère. Il est impossible qu’il m’ait menti, qu’il ait su qu’on me réservait ce sort-là. Impossible qu’il veuille que je rentre avec lui pour affronter ça. Absolument impossible. Je n’y crois pas.

– C’est pas vrai. Tu me l’aurais dit avant…

– Je te le dis maintenant. Ils avaient des projets bien précis pour toi, Jacinda. Ils n’étaient pas disposés à prendre le moindre risque avec toi. Pas après ta dernière frasque.

À présent, les larmes coulent à flots sur mon visage, en crépitant sur mes joues brûlantes.

– Tu dis juste ça pour que je n’y retourne pas.

Je ne reconnais plus ma voix. J’ai la gorge serrée par l’émotion, si bien que je n’arrive pratiquement pas à respirer.

– Ne fais pas l’enfant, Jacinda. Tu n’es plus une petite fille. C’est la vérité. Tu le sais bien, au fond de toi. Tu tiens vraiment à retourner affronter ça ?

– Maman... dit Tamra depuis le seuil.

Elle me regarde d’un air inquiet. Son joli front plissé me rappelle l’époque, quand on était petites, où on se protégeait. On se glissait tout le temps dans le lit de l’autre, la nuit… simplement pour s’assurer qu’elle allait bien.

Grâce à ce souvenir, je ne me sens plus si terriblement seule. Juste embarrassée. Je sèche vite mes joues mouillées. Quand je pleure, je me sens petite et faible. Deux choses qu’un draki ne devrait pas être.

Je suis peut-être plus humaine que je ne le pensais.

Je sursaute quand maman me touche l’épaule et dit d’une voix radoucie :

– Tu ne peux pas y retourner, Jacinda. Jamais. Tu comprends, maintenant ?

J’acquiesce et je baisse la tête. Laissant mes cheveux me tomber dans les yeux. Pour qu’elle ne voie pas les larmes. Le découragement. Parce que je sais qu’elle ne ment pas. Tout ce qu’elle a dit est vrai. Je ne peux pas partir retrouver le clan.

Je suis condamnée si je reste ici. Je suis condamnée si je retourne auprès d’eux. Quoi que je fasse, ça ne change rien. Je ne serai jamais libre.

Cette découverte m’anéantit. Une violente douleur me transperce les omoplates.

Je passe en trombe devant ma sœur, qui est plantée sur le seuil et, dans ma hâte de fuir, je manque me casser la figure. Désespérée, je l’entends chuchoter quelque chose à maman. Pendant une seconde, je me demande si, elle aussi, elle était au courant du projet de me couper les ailes. Si elle le savait depuis le début. Cassian, lui, était forcément au courant des intentions de son père et des anciens. Comment a-t-il pu me regarder dans les yeux et me mentir avec autant d’aplomb ? Ne tient-il pas du tout à moi ? À l’amitié qui nous liait autrefois ?

Je me sens bête, perdue… stupide. Je vois bien que ma conviction qu’ils ne me forceraient jamais à me fiancer si jeune est ridicule, maintenant que je sais qu’ils étaient prêts à me mutiler de la pire manière possible. Ils sont capables de tout.

Je pousse la porte de la salle de bains en me tenant le ventre, pliée en deux. Je me rue vers les toilettes et, secouée de haut-le-cœur qui n’en finissent pas, je vide mon estomac en sanglotant entre les spasmes.

Tremblante, brisée, je finis par m’arrêter. Je m’écroule par terre. Faible. Sans énergie. Adossée contre le mur frais, je prends mon visage tremblotant entre mes mains et j’admets que tout ce que j’ai toujours pris pour la vérité, tout ce à quoi j’ai toujours cru, n’existe pas.

Je ne pourrai jamais rentrer chez moi. Je n’ai pas de chez-moi.

 
*
 

Je ne sais pas combien de temps je suis restée assise par terre avant d’entendre frapper à la porte. J’ai le dos et les fesses douloureusement engourdis, alors je suppose que ça fait un moment.

– Va-t’en ! je lance.

Épuisée d’avoir tant pleuré, j’écoute pendant un bon moment le bruit de ma respiration haletante.

Enfin, la voix de Tamra se fait entendre à travers le bois. Elle parle si bas, si doucement, que je ne la remarque pas tout de suite.

– C’est pas ta faute, Jacinda. Ne culpabilise pas. Bien sûr que tu leur faisais confiance.

Je redresse brusquement la tête et je regarde la porte avec des yeux ronds.

Tamra est au courant ? Ça la touche ?

Je suppose que je ne devrais pas m’étonner. C’est ma sœur. Aussi différentes qu’on soit, je n’ai jamais eu le sentiment qu’elle me détestait ou m’en voulait de m’intégrer dans le clan alors qu’elle n’y parvenait pas. Au fond, elle ne m’en a jamais voulu pour Cassian. Ne m’a jamais reproché de l’avoir conquis sans même essayer. Mais si je fiche tout en l’air ici, à Chaparral, là, elle m’en voudra.

Comme si elle lisait dans mes pensées, elle continue :

– C’était pas bien, la façon dont ils te traitaient… comme une sorte de monument pour le clan. Pas comme une personne réelle, comme quelqu’un qu’ils respectaient ou qui comptait pour eux. Ils avaient tort. Cassian avait tort.

Elle soupire, et je me demande comment elle sait que c’est ça que j’ai besoin d’entendre de sa bouche en cet instant précis.

– Je voulais juste que tu le saches.

Silence.

– Je t’adore, Jacinda.

« Je sais », suis-je tentée de dire.

L’ombre de ses pieds sous la porte disparaît. Je me mords la lèvre jusqu’à ce que le goût métallique du sang se répande sur mes dents. Lentement, je me lève et je sors de la salle de bains.