CONCLUSION
Devenir soi, ici et maintenant
J’espère vous avoir convaincu que vous pouvez échapper à la routine, vous trouver ; au moins une fois dans votre vie. Et qu’en agissant ainsi, vous réussirez non seulement votre vie, mais vous influerez aussi positivement sur celle des autres, sur le succès de votre pays, sur l’abondance du monde.
« Rien de nouveau sous le soleil », dit l’Ecclésiaste. Cela veut-il dire que nous sommes condamnés à ne vivre que la répétition du même ? à répliquer les vies de nos anciens ? Non, répondent les exégètes, cela veut dire au contraire que le nouveau est au-dessus du soleil, qu’il faut oser sortir des règles, penser autrement ; penser pour soi, par soi. Se penser pour devenir soi.
Alors, je vous le dis : prenez-vous en main, libérez-vous des conformismes, des idéologies, des éthiques et des déterminismes de toute nature. N’attendez plus rien de personne. Écoutez-vous. Ayez le courage d’agir. Rien ne justifie de se résigner, d’accepter les faits accomplis, de n’attendre que de l’autre la réponse à des difficultés personnelles. Et, en particulier, de l’attendre des puissants ou de l’État. La bonne vie est une vie où l’on se cherche sans cesse, où l’on se trouve mille fois successivement ou simultanément.
Parfois, devenir soi passe par la souffrance ; parfois cela requiert plusieurs générations. Comprenez que, si vous n’agissez pas pour vous et pour ceux que vous aimez, vous serez bientôt, vous et les vôtres, dans une situation bien pire que celle d’aujourd’hui. Bien pire que celle que vous pouvez redouter. La croissance, l’emploi, la démocratie dépendent du « devenir-soi ».
Vous pouvez le faire d’abord dans votre vie privée. En prenant le pouvoir sur vous, en prenant conscience que vous êtes aliéné et que vous pouvez échapper à un destin fixé d’avance. Même si vous n’avez pas la chance d’être soumis à un choc qui vous fait prendre conscience que vous n’êtes pas à votre place ; ni la chance d’être entraîné par un, ou une Autre, vers la prise de conscience de soi, vous pouvez découvrir qui vous êtes et le réaliser.
Vous pouvez aussi le faire dans votre travail. Si vous êtes chômeur, au lieu d’attendre une offre d’emploi, créez votre entreprise ; si vous êtes salarié avec un emploi précaire, ennuyeux ou aliénant, inventez vous-même une nouvelle façon de faire votre métier, plus amusante et plus créative, ou quittez votre emploi pour vous former et créer le vôtre. Si vous êtes chef d’entreprise, n’attendez pas de baisse d’impôt pour investir ou embaucher ; et si vous êtes artiste, n’attendez pas de commande publique ou privée pour créer.
Si vous n’aimez pas ce que vous consommez, refusez-le ; consommez des produits qui ne dépendent pas des autres, donc produits ou fabriqués par soi : le jardinage et le bricolage sont une première étape vers le « devenir-soi ». En particulier, la pratique de la musique, plus que sa consommation, est une dimension du « devenir-soi ».
Vous pouvez aussi gérer votre patrimoine d’une façon telle que son évolution dépende le moins possible des autres ; débarrassez-vous autant que possible des actifs dont la valeur évolue au gré de décisions qui peuvent vous échapper. Et, en particulier, ne dépendez pas de l’espérance d’héritages : l’héritage est la négation même de la prise de contrôle de sa propre vie.
Enfin, si vous êtes gouverné, gouvernez ! Agissez d’abord comme si le monde vous était, au mieux, indifférent ; au pire, hostile. Et si vous voulez le changer, n’attendez pas que les politiques s’en occupent. Prenez votre vie en main sans rien attendre ni des générations précédentes, ni des générations à venir, ni de l’État, ni de la famille, ni des patrons. Où que vous soyez, n’ayez plus confiance dans les partis actuels, ni dans les syndicats. Adhérez-y pour les transformer. Faites surgir des organisations nouvelles, vraiment conscientes des enjeux du futur, capables d’agir sans se préoccuper d’une réélection.
On ne peut devenir soi dans un pays qui s’abandonne. Et, réciproquement, un pays ne peut réussir à survivre s’il ne suscite pas suffisamment de désir de s’y prendre en main.
Plus nombreux seront ceux qui ne se résigneront pas, meilleur sera l’avenir du monde. Plus de gens prendront le pouvoir, plus profonde sera la démocratie, plus seront libérées des énergies, plus seront créées des richesses et des œuvres d’art.
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C’est vrai en particulier en France, où la situation devient particulièrement difficile, où les « résignés-réclamants » sont légion, où les rentes étouffent ceux, qui ne se résignent pas.
Depuis trop longtemps, trop d’hommes d’inaction se sont succédé au pouvoir. En vain. Le pays ne se redressera que si d’autres que les acteurs politiques actuels osent s’engager pour en libérer les capacités créatrices. Pour cela, ils devront tout faire pour faciliter le « devenir-soi » de chaque citoyen ; en particulier faire en sorte que les cinq étapes du Chemin qui y conduit soient enseignées dès l’enfance, et lors de toute étape d’orientation, de l’école à l’université et, au-delà, dans la formation permanente.
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Quand bien même beaucoup de gens se lèveraient, demain, pour se prendre ainsi en main, se débrouiller par eux-mêmes, devenir soi, il faudra rester vigilant ; car le marché, par une de ses ruses plus sophistiquée, offrira sans cesse de nouveaux moyens de détourner leur besoin de devenir soi et de le transformer en désir de résignation : faisant croire qu’il peut offrir à tout un chacun les moyens de prendre le pouvoir sur sa propre vie, il mettra en vente des objets et des services inédits pour maîtriser son devenir, en réalité pour autosurveiller sa propre soumission à des normes, pour surveiller soi-même tous les paramètres de son existence, pour contrôler la réalisation d’un « devenir-soi » défini par d’autres.
Magnifiques ruses du capitalisme qui, anticipant l’éventualité d’une demande de réappropriation de la vie par les gens, leur en offrira le spectacle sous couvert d’assurer leur sécurité, de les protéger de la mort, en réduisant en fait leur libre arbitre à l’autosurveillance de leur soumission à des normes.
Puis, si l’on n’y prend garde, si le vrai « devenir-soi » ne l’emporte pas, les « résignés-réclamants », autosurveillés, se couvriront de prothèses pour finir par devenir robots : des robots « résignés » parce que réifiés ; des robots « réclamants » parce qu’ayant besoin d’énergie et de réparations.
Le capitalisme aura alors atteint son but ultime : transformer les hommes en choses travaillantes et consommantes, pures sources de profit. Avant qu’il ne disparaisse lui-même, faute de ressources humaines et matérielles à exploiter.
Ce processus peut sembler extravagant. Pourtant, il est déjà en marche. Non qu’il existe quelque part un complot qui l’organise et l’impulse. Mais parce que le cours naturel du marché conduit celui-ci à anticiper mieux qu’aucun autre système, en particulier mieux que la politique, les besoins à venir des gens pour les transformer en marchandises.
Je ne suis pour autant ni fataliste ni pessimiste : la transformation progressive des hommes, devenus « résignés-réclamants », en robots immortels, sur une planète désolée, n’est pas inexorable ; d’abord parce qu’une résistance immédiate est possible. Elle est en marche : c’est l’objet de ce livre. Ensuite parce que, même si l’homme devient un jour un robot, j’ose espérer que la conscience aura alors échappé au cerveau où elle niche aujourd’hui, pour l’essentiel : la dématérialisation de la conscience de soi sera l’ultime refuge de la liberté.
En attendant, avant même que ne se livre cette bataille finale entre l’esprit et la matière, le monde appartiendra à ceux qui osent et oseront refuser d’être « résignés-réclamants » pour prendre le pouvoir sur leur propre vie, en suivant le chemin ici esquissé.
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En écrivant ce livre, j’ai conscience que je dois, comme tout le monde, appliquer les conseils que j’y dispense. C’est ce que j’ai toujours fait jusqu’ici, n’ayant jamais rien attendu de personne ; n’ayant jamais occupé que des fonctions créées par moi ; ayant toujours tenté, au mieux, de trouver mon bonheur dans le fait d’être utile aux autres ; ayant toujours fait ce qui me semblait le mieux pour le monde en y créant des institutions internationales, et pour mon pays par mes conseils, aussi longtemps que j’ai pensé qu’il y existait des hommes politiques capables de mettre en œuvre les réformes que je pensais utiles.