Ce qu’en disent religions et philosophies
A priori, toute religion ne peut que s’opposer à cet acte de liberté qu’est le choix, par chacun, de sa propre vie, à cette appropriation de soi qu’est le refus d’un destin imposé. Les hommes, disent-elles presque toutes, appartiennent aux dieux ou à Dieu ; ils sont leur/Sa chose ; ils ne peuvent que se soumettre à leurs/Ses caprices ainsi qu’à ceux de la nature dont les dieux sont les maîtres. Les hommes ne peuvent et ne doivent donc rien faire pour échapper à leur sort sur terre et après la mort, mystère dont décident exclusivement les (ou le) dieux.
Aussi est-ce au nom des dieux que princes, guerriers et prêtres imposent leur condition aux hommes. Ceux-ci, à leur tour, imposent la leur aux femmes et aux enfants. Les humains se résignent alors à ne pas penser pour soi, à accepter l’étroitesse de leur libre arbitre, à borner leur « devenir-soi » à un « devenir-sujet ». Pour beaucoup de ces théologiens, l’exercice de la liberté débouche sur la rivalité et la violence.
De plus, le seul « devenir-soi » qui compte vraiment, pour la plupart des religions, est ce qui nous attend après la mort. Et la seule chose que les hommes doivent faire pour réussir ce passage, disent-elles, est de se conformer au mieux, de leur vivant, aux commandements des dieux et aux exigences de la nature qui en sont les expressions. Tout rebelle se verra privé par un juge suprême d’un au-delà réussi.
Ainsi, dans les civilisations mésopotamiennes, l’Épopée de Gilgamesh, élaborée vers -2000 avant notre ère, première évocation connue par écrit du « devenir-soi », est une quête d’un soi éternel. Dans sa démesure, Gilgamesh, roi d’Uruk, deux tiers dieu, un tiers homme, s’attire le courroux des puissances supérieures. Il rencontre « celui qui a reçu l’immortalité » en survivant au Déluge, et finit par accepter sa condition de mortel.
Dans les civilisations sibériennes et amérindiennes, en particulier dans une de leurs plus belles expressions – celle des Anasazis venus de Sibérie pour devenir les Hopis d’Arizona –, les hommes ont la liberté d’agir, mais agissent mal ; cela les conduit à disparaître à jamais, à l’exception de quelques-uns, plus méritants, qui passent d’un univers au suivant, avec chaque fois une nouvelle opportunité de bien se conduire. Ils sont d’abord envoyés par les dieux à Tokpela ou « espace infini » ; mais quand une grande partie d’entre eux désobéissent aux dieux, veulent choisir leur destin et se disputent, Tokpela est détruit ; seuls les hommes les plus respectueux des divinités, les plus soumis, survivent et passent dans un deuxième monde, Tokpa ou « minuit sombre », de couleur bleue, où les dieux mettent encore tout à leur disposition pour être heureux ; mais les hommes se veulent encore libres, choisissent de se consacrer à l’accumulation de biens matériels, construisent des villages, n’honorent plus les divinités et se battent entre eux. Tokpa est alors gelée ; seuls quelques hommes fidèles aux dieux sont sauvés et passent dans le troisième monde, Kuskurza, de couleur rouge ; mais une nouvelle fois les hommes veulent décider de leur destin ; ils y bâtissent de grandes villes, cèdent au désir de puissance et finissent par s’affronter de nouveau ; la rivalité est pour eux la conséquence de la liberté ; le troisième monde est alors inondé ; les derniers survivants passent alors dans Tuwaqachi, le quatrième monde, où nous sommes aujourd’hui et qui va bientôt disparaître pour les mêmes raisons, afin de laisser place à un cinquième univers, le dernier, ultime chance de l’humanité.
Une des premières, sinon la première vision du monde qui pose vraiment la question du « devenir-soi » ici-bas, hors de toute espérance d’immortalité, est le judaïsme. Il va jouer un rôle majeur dans la constitution de la conception moderne du « devenir-soi », et mérite qu’on s’y arrête un peu plus longuement.
Pour lui, le sens de la création du monde, le rôle de l’homme sur la terre est à la fois la réparation du monde (le tikkoun olam) laissé imparfait par Dieu et la réparation de l’homme (le tikoun HaAdam), laissé lui aussi imparfait par Dieu.
C’est d’ailleurs l’objet de l’histoire du fondateur du peuple hébreu, Abraham, bien avant même qu’une Loi ne soit transmise à ce peuple par Moïse. Ce récit, évidemment imaginaire et symbolique, comme celui de la vie de Moïse, commence au moment où Avram (qui deviendra Abraham) quitte la maison de son père pour accomplir son propre destin et se réaliser, libéré d’un passé idolâtre, en route vers une vision nouvelle du monde et la fondation d’un nouveau peuple. Le verset biblique qui introduit cette histoire (Berechit 12, 1-9) peut être traduit littéralement de l’hébreu par : « Va pour toi, de ta terre, du lieu de ta naissance, de la maison de ton père, vers la terre que je te montrerai. » Ce qu’une traduction classique de la Bible rend par : « Quitte ton pays, le lieu de ta naissance, la maison de ton père, pour aller vers la terre que je te montrerai. »
En apparence, Avram prend ainsi conscience de ce qu’il doit devenir sur ordre de Dieu. Son destin n’est donc pas un acte de liberté, c’est seulement un ordre, une injonction d’obéissance à une loi divine. En fait, la signification de ce texte est beaucoup plus subtile, car la traduction citée plus haut n’est pas la seule possible. En particulier parce que, dans la traduction officielle, l’ordre des mots est bizarre : quelqu’un qui aurait quitté son pays aurait nécessairement déjà quitté la ville de sa naissance et, avant encore, la maison de son père. Dieu aurait donc dû dire en bonne logique à Avram : « Quitte ta maison, puis quitte ta ville et va même jusqu’à quitter ton pays. »
Pour donner un sens à l’ordre étrange des mots qui le composent, il convient de relire autrement ce court texte ; on découvre alors qu’une autre logique, une autre chronologie l’explique et permet de le comprendre comme un premier mode d’emploi du « devenir-soi », un premier exercice de liberté.
Au lieu de traduire les premiers mots Lek Lekha, Me’Eretsera (littéralement « Va vers toi, de ta terre ») par « Quitte ton pays », on peut les traduire par : « Va vers toi, quitte ta volonté », car le mot Erets, qui désigne la terre, a la même racine que Ratson, qui désigne la volonté. Il faut donc entendre que prendre le pouvoir sur soi suppose dans un premier temps d’échapper aux illusions de ses désirs, de se délivrer de ce qu’on croit être sa volonté, de lâcher prise. Telle est la première étape de cette libération.
La deuxième étape du « devenir-soi » consiste donc, selon ce verset de la Bible, non pas à quitter le « lieu de sa naissance », mais, métaphoriquement, à abandonner ses convictions les plus intimes, celles qui sont enracinées, depuis sa naissance, dans sa propre culture. Et en particulier celles qui peuvent conduire à la violence.
La troisième étape consiste non pas à « quitter la maison de son père », mais à renoncer à son éducation familiale, celle qui semble la plus justifiée, puisque enracinée dans les générations précédentes au point qu’on est censé à son tour l’incarner et la perpétuer. Et à renoncer aux idoles telles qu’elles étaient adorées dans « la maison paternelle ».
Autrement dit, Avram doit « lâcher prise », s’éloigner de son propre désir, oublier sa vision du monde, puis renoncer à ses convictions profondes telles qu’elles découlent de cette vision, enfin s’éloigner de la volonté d’autrui, en particulier de sa famille tant biologique qu’intellectuelle.
Mais si Avram se libère, dans quel but ?
La traduction classique d’Erets dit qu’il se libère pour « aller vers la terre que je te montrerai », sans d’ailleurs préciser de quelle terre il est question : le texte ne fait qu’évoquer une terre anonyme, ni conquise, ni promise texte mais seulement montrée.
Là encore, si on choisit de lire Ratson et non Erets, il s’agit d’aller « vers la volonté que je te montrerai ». Le but du voyage d’Avram ne serait donc pas de rejoindre une terre, mais d’accéder à une volonté supérieure transcendant celle du désir, des convictions ou de la culture. La libération de l’homme doit le conduire à prendre conscience qu’il peut choisir d’être totalement libre ou d’accepter la présence divine ; libre d’admettre la présence de Dieu ou de la refuser. Autrement dit encore : la liberté consiste en la capacité de fixer des limites au libre arbitre pour protéger la liberté des autres telle que voulue par Dieu.
De fait, ce choix est nécessaire pour libérer les hommes de la rivalité que provoque la propriété, comme de Bible le raconte à propos d’Abel et Caïn.
Quand, bien plus tard, au temps de Moïse, la Loi sera donnée aux hommes, le texte de la Bible dira encore qu’elle est seulement affirmation de la liberté humaine. En effet, selon un commentaire (Midrash), les tables de la Loi ne sont pas « gravées dans la pierre », comme on traduit d’habitude le texte hébreu, mais elles sont « libertés dans la pierre » dès lors qu’au lieu de lire Harout (gravées), on lit Herout (liberté), deux mots qui s’écrivent de même façon en hébreu.
Au total, la Loi juive, expression de la volonté divine, fournit une méthode pour « devenir-soi », pour enserrer la liberté de chacun dans les conditions nécessaires à la maîtrise de la rivalité.
Pour l’hindouisme, le seul « devenir-soi » qui vaille, c’est sortir du saṃsāra, le cycle des réincarnations, passage incessant de la vie à la mort, d’une forme à une autre, dans la souffrance des désirs insatisfaits, jusqu’à atteindre moksha, la lumière, libération finale de l’âme. Seule y conduit la connaissance (pramanam en sanskrit). Elle permet de comprendre que la nature profonde du sujet, sa véritable liberté est de faire un avec l’objet et d’échapper ainsi aux désirs. Tat Tvam Assi ou « Tu es Cela » est un des aphorismes des Upanishads, ces enseignements se référant au Véda. Dans le poème épique Mahâbhârata, Krishna, incarnation de Vishnou, enseigne en particulier au prince guerrier Arjuna que le yoga est une voie vers ce « devenir-soi ».
Dans le bouddhisme, le « devenir-soi » idéal doit viser à délivrer l’homme des trois « soifs » provoquées l’une par le désir d’annihilation, l’autre par le désir d’existence, la troisième par le désir des sens, pour atteindre au nirva˙na, la paix intérieure. Pour parvenir à cette libération, il faut comprendre ce que le Bouddha nomme les « quatre nobles vérités » : l’existence est empreinte de souffrances ; toutes ces souffrances ont des causes ; découvrir ces causes permet de se débarrasser des souffrances ; enfin le « Sentier octuple » – notamment via la méditation – mène au nirva˙na.
Au même moment, des penseurs d’Anatolie, de l’Attique et du Péloponnèse, qui seront plus tard nommés « Grecs », réfléchissent eux aussi de multiples façons à la capacité humaine de choisir son destin sur cette terre, sans référence explicite à l’immortalité, réservée pour eux aux dieux.
Pour les plus anciens d’entre eux, comme pour la plupart des cosmologies antérieures, l’homme ne peut échapper au sort que lui fixent les dieux dont il est le jouet. S’il tente d’y échapper, il peut être rattrapé par des événements tragiques. Il n’a pas d’autre issue, pour l’éviter, que de rechercher une harmonie avec le cosmos. Et encore, sans y parvenir toujours. Ainsi d’Œdipe qui fait tout pour éviter de tuer son père et d’épouser sa mère, comme le lui a annoncé l’oracle, mais qui, rattrapé par son destin, finit par l’accomplir sans le savoir.
Celui qui, plus qu’aucun autre, veut choisir sa vie, Thésée, se plie en fait au désir de son père, le roi Égée, quand il découvre sous un rocher les sandales et l’épée que son géniteur lui a laissées et qui lui imposent sa vocation héroïque de pourfendeur de monstres. Il tuera des brigands qui rançonnent les voyageurs, une créature qui terrorise les habitants de Crommyon, près de Corinthe, puis le Minotaure en Crète, mettant fin au tribut humain imposé par Minos. Avant de partir avec Ariane qui l’a aidé à tuer le monstre et qu’il abandonne à Naxos pour sa sœur, Phèdre, il finit par provoquer involontairement la mort de son propre père, le roi Égée.
L’évolution de la pensée grecque la conduit à lever progressivement les contraintes imposées par les dieux pour rejoindre l’idée de liberté déjà présente dans le judaïsme.
L’homme grec commence par dialoguer avec lui-même, par se découvrir et se choisir un destin. Le premier à le faire est Ulysse qui va de la guerre à la paix, de la haine à l’amour, du chaos à l’harmonie, de l’exil au retour chez soi, de la vie mauvaise à la vie bonne ; il refuse l’immortalité que lui propose Calypso ; rentré à Ithaque, il mûrit son projet de vengeance contre les courtisans occupant son palais. « Patience, mon cœur ! » s’écrie-t-il au Chant XX de l’Odyssée, dialoguant ainsi avec lui-même et empruntant le chemin de la connaissance de soi pour décider de son action.
Un peu plus tard, au vie siècle avant notre ère, Héraclite d’Ephèse réfléchit lui aussi sur la découverte de soi comme condition de l’exercice de la liberté et de la sagesse comme moyen du « devenir-soi ». Il écrit dans le 101e de ses Fragments : « Je me suis cherché moi-même. » Il ajoute dans le 112e que le logos ou raison permet d’y parvenir : il suffit de dire « des choses vraies » et d’agir « selon la nature en écoutant sa voix ». Il ajoute dans le 116e : « À tous les hommes il est accordé de se connaître eux-mêmes et de faire preuve de sagesse. »
Pour les épicuriens et les stoïciens, proches des pensées hindouistes et bouddhistes qui s’élaborent au même moment, l’homme, pour se choisir, doit d’abord comprendre ce qui ne dépend pas de lui, et d’abord la mort, pour d’autant mieux agir sur ce qui dépend effectivement de son action. Dans la Lettre à Menécée, Épicure écrit : « La mort, avec nous, n’a aucun rapport puisque tant que nous sommes, la mort n’est pas là, et une fois que la mort est là, alors nous ne sommes plus. » Comme les premiers bouddhistes, ses contemporains, Diogène ajoute que la seule vie qu’il convient de choisir est l’ascèse, la renonciation aux conventions sociales, au confort superflu, pour atteindre au « souverain bien ». Selon lui, « l’homme doit vivre sobrement, s’affranchir du désir, réduire ses besoins au strict minimum ».
De même, pour Platon, contemporain de Diogène, prendre le pouvoir sur sa vie, devenir soi implique d’abord de se connaître soi-même, formule que Socrate dit reprendre d’une inscription figurant à l’entrée du temple d’Apollon, à Delphes. Pour lui, la connaissance de soi suppose d’abord une prise de conscience, par la maïeutique, de sa finitude, de sa place dans le monde que l’on ne peut refuser sans tomber dans l’hybris, la démesure. À ses yeux, le seul devenir-soi libre réside dans l’exploration du monde de la pensée (nous), illimité, qui est à la fois en nous et en contact avec des vérités éternelles, divines. Il écrit dans Timée (90 b-c) : « Lorsqu’un homme s’est donné tout entier à l’amour de la science et à la vraie sagesse, et que, parmi ses facultés, il a surtout exercé celle de penser à des choses immortelles et divines, s’il parvient à atteindre la vérité, il est certain que, dans la mesure où il est donné à la nature humaine de participer à l’immortalité, il ne lui manque rien pour y parvenir. »
De même, pour Aristote, le seul « devenir-soi » possible, celui qui permette d’éviter le tragique tout en restant compatible avec l’harmonie du cosmos, est de mener une « vie contemplative », seule à même de nous conduire au « parfait bonheur » en nous faisant échapper, au moins pour une part, à la condition de mortel. Il écrit dans l’Éthique à Nicomaque : « Il ne faut donc pas écouter ceux qui conseillent à l’homme, parce qu’il est homme, de borner sa pensée aux choses humaines, et parce qu’il est mortel, aux choses mortelles, mais l’homme doit, dans la mesure du possible, s’immortaliser et tout faire pour vivre selon la partie la plus noble qui est en lui. »
Pour le christianisme, au point de rencontre du judaïsme et de la pensée grecque, les hommes sont libres de choisir entre le Bien et le Mal, de suivre ou de s’écarter du Salut proposé par Dieu et par ceux qui ont porté Sa parole sur terre ; la seule chose à laquelle les hommes doivent chercher dans le « devenir-soi », c’est à « être sauvés », c’est-à-dire à être ressuscités. « Si vous demeurez dans ma Parole, vous êtes vraiment mes disciples ; vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres » (Évangile selon saint Jean). La « vraie liberté », ajoute Paul de Tarse dans l’Épître aux Romains, est de mériter une vie heureuse après la mort en respectant et appliquant la parole du Christ, en particulier grâce au baptême : « Par le baptême, l’être humain que nous étions auparavant a été mis à mort avec le Christ sur la croix afin que notre nature pécheresse soit détruite et que nous ne soyons plus les esclaves du péché » (chapitre 6). La libération du péché mène le croyant non seulement à pouvoir espérer la résurrection, mais à vivre selon l’« Esprit de Dieu » qui l’aide à prendre le dessus sur les désirs : « Si, par l’Esprit, vous faites mourir les actions du corps, vous vivrez, car tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu » et auront part « à la liberté de la gloire des enfants de Dieu » (chapitre 8), c’est-à-dire à l’immortalité. Dans l’Épître aux Galates, Paul ajoute : « Ce n’est pas par les œuvres de la loi que l’homme est justifié, mais par la foi en Jésus-Christ. » Ainsi l’homme qui fait le bien n’est sauvé que s’il est aussi un croyant.
Un peu plus tard, le débat rebondit au sein de l’Église : contre Pélage qui affirme que l’homme ne peut être sauvé (c’est-à-dire ressuscité) que grâce à ses bonnes actions, Augustin d’Hippone affirme qu’il ne peut l’être sans la grâce divine – « grâce efficace » –, car le libre arbitre de l’homme est amoindri depuis le Péché originel. La pensée d’Augustin l’emporte et, pour l’Église, les actes des hommes ne peuvent suffire à les sauver. En particulier, la richesse interdit l’accès au Salut, c’est-à-dire à la résurrection, alors que la pauvreté la rend possible, mais non certaine. Autrement dit, le choix d’un « devenir-soi » matériel sur cette terre ferme les portes du Salut.
Ce débat sur la liberté humaine se reconfigure avec l’islam. Très vite, les mouvements qadarite, motazilite, puis acharite et maturidite se disputent à ce sujet : selon la doctrine sunnite, aujourd’hui majoritaire, le Coran enseigne que tout est écrit, aussi bien les événements dépassant les hommes que ceux dans lesquels leur responsabilité est engagée. L’homme peut choisir son « devenir-soi » parce qu’il ne sait pas qu’il est écrit. Étant omniscient, Dieu connaît le passé, le présent et l’avenir ; l’homme, lui, ne connaît pas son avenir, mais seulement la voie du Bien et la voie du Mal, entre lesquelles il est libre de choisir. « Oui, Nous l’avons guidé [l’homme], soit reconnaissant, soit ingrat » (Coran, LXXVI, 3). Et encore : « Ne l’avons-Nous pas guidé sur les deux voies ? » (Coran, XC, 10). Par leur raison et par leur faculté de connaître, par la liberté que Dieu leur a octroyée, ils peuvent apprendre, comprendre et décider du pire comme du meilleur. Leur ignorance de l’avenir fonde leur responsabilité, jugée au moment du passage dans l’après-vie. « Et par l’âme et Celui qui l’a harmonieusement façonnée, et lui a alors inspiré son immoralité, de même que sa piété ! A réussi, certes, celui qui la purifie. Est perdu, certes, celui qui la corrompt » (Coran, XCI, 7-10).
En cette fin du premier millénaire, tout est alors en place pour que l’homme puisse enfin vouloir se façonner un destin, prendre le pouvoir sur sa vie, être libre de se choisir.