Prendre conscience de son unicité
Parcourir les trois premières étapes (reconnaître ses limites, se respecter, prendre conscience de sa solitude) doit susciter une révélation, un éblouissement qui conduira plus loin sur le chemin du « devenir-soi ». Il fait prendre conscience de son unicité, de ce qu’on n’a qu’une vie à vivre, et qu’elle est nécessairement différente de toutes les autres.
L’unicité est l’autre versant de la solitude.
Même si plusieurs milliards d’individus vivent en ce moment même sur cette planète, même si des millions de tâches identiques doivent être accomplies sur tous les continents, aucun être humain, depuis l’aube des temps, n’est semblable à aucun autre. Chaque humain est unique, différent de tous les autres, biologiquement, géographiquement, culturellement, historiquement. Chacun dispose de caractéristiques que nul n’a jamais eues avant lui et que nul n’aura après lui. Chacun a des pensées uniques. Chacun emprunte, pour penser et vivre, des itinéraires qui lui sont propres.
Chacun peut faire pour soi et pour d’autres, dans son travail et le reste de sa vie, des choses que personne d’autre n’a faites et ne pourrait faire de même façon. Les exemples déjà évoqués ont bien montré que même le plus handicapé, le plus pauvre, le plus tragiquement éloigné de lui-même, le moins conscient de ses propres dons, peut apporter quelque chose de spécifique au monde, rendre un service unique, se trouver. Personne n’est condamné à mener une vie dictée par les autres ; nul n’est condamné à ne pas être lui-même.
La quatrième étape de cette introspection est donc une réflexion sur ce en quoi on est différent des autres ; sur son unicité dans l’univers ; sur les circonstances qui ont pu nous conduire à l’oublier ; sur le soin à prendre pour ne plus la négliger.
Il faut dès lors comprendre que le but ultime de toute vie n’est en aucun cas « survivre » en « résigné-réclamant », mais de « sur-vivre » en créateur, autrement dit de mener une « sur-vie » définie selon ses propres valeurs et ses aspirations ; une vie que personne d’autre ne pourrait concevoir de même façon.
Elle conduit à renverser la table, à ne pas faire ce que les autres attendent de soi, à cesser de penser sa réussite en fonction de critères imposés par les autres, à ne rien faire qui pourrait être fait aussi bien par d’autres, à ne pas occuper une fonction qu’un autre pourrait mieux remplir, à tenter de ne faire que quelque chose d’unique, à tenter de découvrir ce qui est unique en soi, de quels dons on dispose.
Et cela est vrai tant pour son métier que dans ses amours, sa façon de vivre, son lieu de vie, ses distractions.
Même si on est contraint, par la vie, au moins pour un temps, à ne pas faire le métier dont on a envie, on peut le faire autrement que tout autre, chercher son unicité en d’autres domaines que le travail en attendant d’en changer. Par exemple, si on doit durablement exercer une profession qui ne correspond pas à sa vocation ou à son talent, il existe maintes façons de l’exercer ; et on peut, tout en cherchant à lui échapper au plus tôt, trouver son unicité, dans ce qu’on collectionne, dans des loisirs ou des bricolages qui peuvent finir, on l’a vu, par devenir un métier. Et mieux encore, dans l’amour qu’on prodigue aux autres.
Cela doit enfin conduire à trouver le courage de se choisir plusieurs fois, de se débrouiller sans répit, différemment.
La bonne vie, la bonne « sur-vie » est une existence où l’on se cherche en permanence, où l’on se trouve et se perd mille fois successivement ; et aussi, si possible, simultanément.
La vie ne peut rester unique, justement parce qu’elle est unique.