In-octavo

Une grande bibliothèque me rappelle toujours les stratifications d’une mine de charbon, pleine de fossiles, d’empreintes et de conjonctures.

Paul Claudel

I

Dans la grande bibliothèque du monde

un insecte mange une colonne

une marge

et dépose à sa place

une chiure compactée

 

II

Index vermoulu

Lettre d’or désagrégée

Alphabet de peur et de poussière

 

III

Tout y passe

le papier

le papier glacé

la cellophane

Il est possible qu’on ne puisse sauver

aucun manuscrit rare

 

IV

Chaque lettre

Chaque proie soumise

s’englue dans le souterrain

s’encroûte dans les débris de la peur

 

devient tremblement

dans un lit de ligatures latines

d’esperluettes humides

 

V

Bibliothèque

champ de bataille

Fossé profond creusé

rempli de pattes de mouche

de danses et de ratures

à l’envers du temps

 

VI

Un vers des livres

glisse sous le frontispice

de la maison-mère

Ses mandibules arquées

lacèrent les secrets de l’humanité

 

VII

La vérité

tombe tempête

en poudre de lapis-lazuli

sur la bouche des mots

sur la véracité des fins de ligne

Traits allongés

sur la lèvre des phrases

 

VIII

La horde

vient le soir

manger les lettres

et correspondre avec le néant

 

IX

Lambeaux de mots

fragments de murmures

gisant sur les rayons des vieux livres

 

X

Entre les pages friables

ne reste qu’un étourdissement de la vie

 

XI

Les taraudeurs

apprennent à marcher

relient les points invisibles

des fragments de codex

tapissés sur les murs

Ils prennent la maîtrise du temps

et lèchent en rampant

le verbe immobile

béat

 

XII

Les mites

croquent l’existence

matraquent le sens

frémissement

en palpant l’inouï

 

XIII

Le papier s’effeuille

dans l’impossible tâche

de retenir ce qui a existé

un récit de voyage

un journal de bord

un aller simple

 

XIV

Brins de coton

exosquelettes du souvenir

boucliers de papier mâché

brandis devant le danger

Les papiers de la raison

tournoient dans le vide

des franges de peau

dans un vent flou

 

XV

L’histoire humaine

est un petit trou

où le long SOS du s long

crève bouleversé

à ciel ouvert

 

XVI

Quel est ce dossier

ce document

ce fait irréfutablemonde d’être

d’avoir été de ce monde?

 

Quel est ce Big Bang

à l’envers

qui nous retourne

comme un bas

qu’on roule

sur lui-même

dans le noir

et qu’on jette

dans un coin

de poussière…?