Poudre d’alphabet

J’ai égaré mon verbe
comme un bijou sous un tapis

Alain Bosquet

Mandibules grandes ouvertes

Traînées d’animalcules rampants

Grignotage incessant

des boyaux de l’imagination

des bayous de la lumière

des méandres au fond des livres

là où des lettres habillées en marins

s’aventurent sur la terre plate des mots

 

Des pinces géantes

labourent les entrailles des bulbes

minent les grottes des manuscrits anciens

ravagent les souvenirs tangibles

s’enfoncent dans le vertige

des sept cent mille papyrus d’Alexandrie

 

Des vandales aux dents effilées

halent les étagères au sol

brûlent le papier

 

Des étrangleurs amoks

dévorent la somme de tout

du zéro zéro zéro

jusqu’au neuf neuf neuf

 

La colle se détache

explose

retombe minuscule

en poudre d’alphabet

en veau qu’on saigne pour écrire

de hurlement en hurlement

 

Les insectes spéléologues

grugent les yeux fermés des poètes

vidangent le poids du passé

suppriment les vestiges

les pages d’éboulements

tirent sur les sentiments

les convictions

les rêves

et broient la masse grise

de la mémoire elle-même…