Cette catastrophe est évitable. La solution saute aux yeux, mais aucun gouvernement ne peut la mettre en œuvre. Simplement la nommer serait suicidaire pour un élu. Pour survivre, il faut que l’espèce devienne son propre prédateur, qu’elle amorce un cycle de réduction de la population avant que la dégradation du stock alimentaire atteigne un point de non-retour.
Guru Gizmo Gaïa, L’Humanité émergente, 1- Pourquoi l’Apocalypse.
 
Jour - 5
 
Montréal, café Chez Margot, 8h04
Théberge entamait son deuxième espresso quand Matthew Trammel entra dans le café. En deux secondes, son regard fit le tour de la pièce. Après avoir adressé un bref signe de tête au mari de Margot, derrière le comptoir, il se dirigea vers la table de Théberge, qui fit un signe de la main pour l’inviter à s’asseoir en face de lui.
Trammel sourit, prit la chaise et la plaça en biais avec le mur avant de s’asseoir, de manière à avoir une meilleure vue sur le reste de la salle et à ne pas tourner le dos à la porte.
— Je croyais sincèrement que vous alliez m’appeler, dit-il.
La remarque de Trammel faisait allusion à des événements qui remontaient à quelques années. Un trafic d’armes qui passait par la réserve d’Akwesasne. Après la conclusion de l’affaire, il avait proposé à Théberge de travailler pour lui. Ce dernier n’avait jamais donné suite à cette offre.
— On ne peut pas empêcher un cœur d’espérer, répondit Théberge.
Margot, qui arrivait, déposa un café espresso devant Trammel, glissa l’addition sous sa tasse, le couvrit d’un regard soupçonneux et retourna à la cuisine sans dire un mot.
Trammel interrogea Théberge du regard.
— Je lui ai expliqué que vous ne voudriez probablement pas prolonger indûment votre visite, expliqua Théberge.
— Je suppose que je dois vous remercier…
— Autrement, vous auriez eu droit à un interrogatoire.
— C’est peut-être elle que je devrais recruter !
Il prit une gorgée d’espresso et parut agréablement impressionné.
— Même votre environnement est plein de surprises, reprit Trammel.
— Avoir su que votre visite avait un but anthropologique…
Le visage de Trammel prit un air soucieux.
— Pas vraiment… Dans quelques minutes, Davis va rencontrer votre chef, le directeur Magella Crépeau.
— C’est lui qu’il aurait fallu prévenir !
Le sourire de Trammel s’accentua légèrement. Il comprenait la réaction de Théberge. Les deux hommes partageaient la même opinion quant à l’agent de la GRC : Davis était une brute arrogante et agressive ; il pouvait s’avérer d’autant plus dangereux qu’il n’était pas sans intelligence et qu’il avait un acharnement de pitbull.
— J’ai estimé utile d’avoir un canal de communication, reprit Trammel. Un canal de communication privé.
— Et je suis l’heureux élu qui va enrichir votre vie privée ?
— Davis jappe beaucoup, mais il n’est pas vraiment une menace… Pas tant que je le contrôle.
— Est-ce que c’est une menace ?
Trammel prit un moment avant de répondre, comme s’il hésitait sur le comportement à adopter.
— Pas exactement…
Il fit une nouvelle pause. Théberge attendit patiemment qu’il poursuive.
— Mon contrôle sur Davis dépend de mon efficacité, reprit finalement Trammel. Et pour ça, je vais avoir besoin de vous.
— Il n’est pas question que je travaille pour le SCRS.
Trammel sourit.
— Je ne suis pas une brute, je ne vais pas vous demander de vous exiler à Ottawa… Non, ce qui m’intéresse, c’est ce qui se passe à Montréal.
— Vous parlez de l’attentat de l’Oratoire ?
— De ça… du groupe terroriste dont les exécutants ont été éliminés… des attentats contre les musulmans qui ont suivi…
— Et qu’est-ce qui vous fait croire que je peux vous aider ?
— J’ai étudié votre carrière… Vous avez un talent particulier pour vous trouver au milieu d’affaires qui ont une dimension internationale… Et chaque fois, vous avez réussi à tirer votre épingle du jeu.
— Vous n’allez quand même pas me reprocher d’avoir eu un certain succès.
— Ce n’est pas votre succès qui m’intrigue… Ce sont les conditions de votre succès.
— Vous faites un tantinet dans l’imprécision confondante.
— Je veux dire que, dans certains cas, vous paraissez avoir accès à des informations que même nous, nous n’avons pas.
— La flatterie ne vous mènera nulle part, dit Théberge.
— Soyons clair…
— Quand quelqu’un dit ça, c’est le moment de commencer à s’inquiéter.
Une certaine impatience se glissa dans la voix de Trammel.
— Je me fous de l’identité de vos sources, dit-il. La seule chose qui m’intéresse, c’est d’avoir accès aux informations qu’elles vous transmettent.
— Autrement dit, vous voulez que je sois votre informateur.
— Collaborateur.
Théberge regarda un moment sa tasse de café, la vida, puis releva les yeux vers Trammel.
— Je n’ai aucune idée des sources auxquelles vous faites allusion. Pour ce qui est de collaborer, il faudrait d’abord que je sache à quoi.
— Au démantèlement des groupes terroristes qui ont décidé de prendre Montréal comme terrain de jeu.
— « Des » groupes terroristes…
— Ce qui s’est passé à Montréal au cours des dernières années excède tous les paramètres applicables aux villes de cette taille. Comme les choses ont l’air de vouloir recommencer…
— Et vous jugez que le SPVM a besoin de votre aide ?
— La GRC y voit un prétexte pour jouer des muscles. Ça veut dire, éventuellement, la mise en tutelle de la SQ et du SPVM. Une forme réduite et adaptée des mesures d’urgence… Je pense qu’il est dans notre intérêt respectif de calmer l’enthousiasme de Davis.
Trammel prit une dernière gorgée de café. Se leva. Fouilla dans sa poche. En sortit une carte professionnelle qu’il mit sur la table.
— Je ne veux pas abuser de votre temps. De toute façon, si j’ai besoin de vous, je sais maintenant où vous trouver.
Il sourit avant d’ajouter :
— Merci pour le café.
Il tourna les talons, se dirigea vers la porte, salua le mari de Margot derrière le comptoir et sortit.
Après quelques secondes, Théberge retourna la carte que Trammel avait laissée sur la table. Il n’y avait qu’une série de chiffres correspondant à un numéro de téléphone.
 
HEX-Radio, 10h34
News Pimp en était à son troisième café de distributrice et il était de mauvais poil. Bastard Bob l’avait fait poireauter vingt-cinq minutes avant de le recevoir à l’antenne et il avait « flushé » son sujet. Exit, la facture que payait la ville pour entretenir les itinérants. Le seul sujet qui restait, c’était le scoop de Bastard Bob.
Pendant toute l’émission, le rôle de News Pimp se limiterait à lui donner la réplique pour le mettre en valeur. Les questions qu’il devait soulever étaient inscrites sur les huit cartons que le réalisateur lui avait donnés. Bien sûr, il avait la liberté de formuler des remarques et de poser d’autres questions. Le show devait avoir l’air naturel. Mais les questions sur les cartons étaient prioritaires.
— Tu es sûr qu’il va y avoir d’autres attaques ? demanda-t-il en se forçant pour paraître intéressé.
Il jeta le premier carton dans la poubelle.
— Jusqu’à présent, ma source s’est jamais trompée.
— Et les terroristes seraient déjà à Montréal ?
Deuxième carton dans la poubelle.
— C’est ce qu’elle affirme.
— Tant qu’à faire, elle aurait pu te donner leur adresse ?
— Pour ça, va falloir attendre l’enquête de la police.
— Autrement dit, on a juste à attendre le prochain attentat…
— Et là, ils vont encore les descendre avant d’avoir appris quoi que ce soit.
— Peut-être que les flics aiment mieux rien savoir…
— Tu savais ça, toi, que les terroristes ont menacé la femme du nécrophile ?
— Quoi ?
Cette fois, News Pimp n’avait pas eu besoin de se forcer pour paraître surpris.
— Ils auraient menacé de l’éliminer si Théberge les arrête, reprit Bastard Bob.
— T’es sûr de ça ?
— C’est ce que j’ai entendu… Si c’est vrai, c’est assez pour ralentir les ardeurs de quelqu’un.
— Tu penses que c’est pour ça que les trois terroristes musulmans que les flics ont arrêtés sont morts ? Ils les auraient descendus pour les empêcher de parler ?
— Je suis sûr de rien. Je spécule… Mais avoue que c’est curieux : tous ceux qu’ils arrêtent meurent avant de pouvoir parler.
News Pimp jeta un regard en direction des fiches étalées devant lui.
— Moi, il y a une chose que je comprends pas. S’ils menacent Théberge pour pas qu’il les arrête et que, lui, il en descend trois… les terroristes, ils vont pas être contents-contents.
— Ça dépend de qui il descend. Pour ceux qui organisent les attentats, deux ou trois martyrs de plus, ça leur fait pas un pli. Ce qui compte, pour eux, c’est que ceux qui sont arrêtés ne parlent pas. Que les flics puissent pas s’en servir pour remonter jusqu’à ceux qui donnent les ordres.
— Si tu veux mon avis, dans les semaines qui viennent, ça va être du sport d’être musulman.
— Bien d’accord, mon Pimp ! Bien d’accord !
Bastard Bob jeta un regard à l’horloge : encore deux minutes avant la pause.
— Remarque, moi, je suis contre ça, la vengeance. Après tout, c’est pas la faute de tous les musulmans s’ils ont des débiles dans leur gang… Mais nous autres aussi, on en a, des débiles. Et c’est pas dit qu’on va être capables de les contrôler encore longtemps.
— T’as peur de ça, toi aussi, qu’il y ait des musulmans qui se fassent ramasser ?
— En tout cas, je voudrais pas être dans leur peau. Les adresses des plus radicaux sont déjà sur Internet.
— Sérieux ?
— Sur le site lesvraiesinfos.ru. Parano Kid a repris l’information sur son blogue.
 
Paris, 16h47
Hurt s’éveilla de sa sieste en sursaut. À l’intérieur, la situation s’était envenimée. Buzz était en crise.
Depuis longtemps, il se contentait de murmurer doucement de temps à autre. Aucun des alters ne lui prêtait attention. Ses murmures répétitifs faisaient partie de leur paysage sonore. Mais là, il avait soudainement élevé la voix. La crise avait duré quarante-trois minutes. À la fin, c’était Nitro qui menaçait d’exploser.
Deux heures plus tard, Buzz recommençait. Steel prit alors le contrôle. Il sortit de l’appartement et téléphona à Chamane.
Une urgence, se contenta-t-il de dire. J’arrive.
 
Montréal, SPVM, 13h28
Crépeau était assis derrière son bureau. Théberge, dans un fauteuil, en face de lui. Les deux avaient l’air découragés.
— Pour l’instant, fit Crépeau, il veut juste être mis au courant de tout ce qui a trait au terrorisme.
Il parlait de Davis, de la GRC.
— Pour l’instant…
— Si la situation ne s’améliore pas, il va nous aider.
— J’imagine !
Théberge se concentra un moment sur sa pipe éteinte, puis la rangea dans son étui. Crépeau se mit à enlever des grains de poussière imaginaires sur la surface de son bureau. Ce fut lui qui brisa le silence.
— Trammel, tu penses qu’il peut vraiment contrôler Davis ?
— Probablement. Le problème, c’est ce qu’il va vouloir en échange.
Une nouvelle pause suivit.
— Ton client du crématorium, comment ça se passe ? demanda Crépeau.
— Je n’arrive pas à établir le contact… C’est peut-être parce que je ne lui ai pas trouvé un nom qui lui convient.
— Tu l’as appelé comment ?
— Fry…
Théberge était mal à l’aise de parler à un cadavre sans connaître son nom. Il trouvait que ça lui enlevait tout caractère humain. C’est pourquoi il lui avait attribué ce nom. En lui expliquant que c’était temporaire. Qu’il ferait tout en son pouvoir pour découvrir son identité et s’assurer que justice soit faite.
Crépeau se contenta de regarder Théberge avec un sourire et de soulever les sourcils.
— Je n’arrive pas à le voir autrement, se défendit Théberge en écartant les bras en signe d’impuissance… Mais tu as raison, ajouta-t-il après un moment. Ce n’est pas terrible. Il faut que je lui trouve un meilleur nom… Gontran, peut-être…
— Ton animateur est arrivé depuis combien de temps ?
— Cinq minutes… Ça ne peut pas lui faire de tort de mijoter un peu.
— Tu penses apprendre quelque chose ?
— Pas vraiment. Mais je ne peux pas laisser passer ça.
Il se leva.
— Essaie quand même de faire attention à ce que tu dis, fit Crépeau.
— Sûr… Il est avec son avocat.
Théberge se dirigea vers la porte puis se retourna.
— Finalement, pour Davis, qu’est-ce que tu vas faire ?
— Lui donner les informations qu’il demande. Qu’est-ce que je peux faire d’autre ?… Toi ? Tu vas appeler Trammel ?
Théberge haussa les épaules comme s’il se trouvait devant une question pour laquelle il n’y avait pas de bonne réponse.
 
Longueuil, 11h32
Skinner avait sonné à quatre reprises avant que Victor Prose se décide à ouvrir la porte.
— Oui ? fit Prose, dont l’entrebâillement de la porte ne laissait voir qu’une tranche du visage découpée en oblique.
— Jeremy Dubois, fit Skinner en lui tendant la main à travers l’ouverture. Je peux entrer ?
L’homme avait des cheveux blonds à la Andy Warhol, des petites lunettes rondes cerclées de fil de métal, le visage glabre, le teint pâle et des sourcils blonds qui se faisaient oublier.
— D’accord, répondit Prose, intrigué par le nom.
Aussitôt que Prose eut refermé la porte, l’homme le prit par les épaules et lui dit :
— Je suis un agent littéraire. Je vais faire de vous un auteur connu.
Embarrassé qu’on le touche, Prose ne put que bredouiller :
— Pour quelle raison… vous vous intéressez à moi ?
— À cause de votre essai, Les Taupes frénétiques.
— Vous l’avez lu ?
— Parcouru. Mon patron, lui, l’a lu.
— Il l’a aimé ?
— Il voudrait vous aider à écrire la suite. Il vous manque le dernier chapitre… À votre avis, sur quoi débouche cette montée aux extrêmes que vous décrivez ?
— Il y a plusieurs possibilités. Ça dépend de la réaction des gouvernements… de la dynamique des bidonvilles que sont en train de devenir…
— Excellent ! Une touche de préoccupations humanitaires, c’est vendeur !
Prose se sentait mal à l’aise. La simple présence de Dubois l’agressait.
— Pour quelle raison désirez-vous que je sois connu ?
— Aujourd’hui, on n’est pas connu parce qu’on écrit des livres ; on écrit des livres parce qu’on est connu. Alors, comme mon patron tient à ce que vous publiiez votre prochain livre… mon travail à moi, c’est de vous faire connaître.
— Je ne tiens pas à être connu. La seule chose que je veux vraiment, c’est de pouvoir écrire en paix.
— On dit ça, on dit ça…
— Je vous jure. C’est très gentil de votre part, mais je ne suis pas intéressé.
Dubois le regarda avec un mélange d’amusement et de déception.
— Dommage… Quelque chose me dit que vous allez le regretter.
 
Montréal, SPVM, 14h48
— C’est full luxe, votre bureau, fit Parano Kid lorsque Théberge entra. Des fauteuils en cuir, une cafetière espresso que j’aurai jamais les moyens d’acheter, un purificateur d’air…
— C’est mon côté écolo, grogna Théberge. Mes tasses sont en macramé.
— Est-ce que c’est nos taxes qui paient ça ?
Théberge ignora la provocation. Il s’assit derrière son bureau et regarda les deux hommes.
— Vous êtes… ? demanda-t-il à l’homme assis à la droite de l’animateur.
— Maître Roland Thétreault. Thétreault e-a-u-l-t. Je suis ici pour défendre les intérêts de monsieur…
Il regarda l’animateur, l’air d’attendre qu’il lui rappelle son nom.
— Monsieur Parano, compléta Théberge, pince-sans-rire.
— Lantec, rectifia l’avocat, comme si le nom lui revenait tout à coup. Monsieur Lantec.
Théberge ouvrit la chemise cartonnée rouge qui était devant lui sur le bureau, regarda un instant le contenu et la referma. Puis il s’adressa à l’animateur.
— Donc, vous êtes Ubaldo Lantec, vous êtes animateur à HEX-Radio sous le nom de Parano Kid et vous animez une émission qui s’appelle Parano.com.
— Je vois que vous êtes un de mes fidèles auditeurs, répondit Lantec avec un sourire ironique.
— Vous êtes fils de mère italienne et de père français, poursuivit Théberge, imperturbable. Vous êtes né au Canada il y a vingt-sept ans et vous avez eu des ennuis mineurs avec la justice : trouble de l’ordre public, tapage nocturne, insulte à un représentant de l’ordre… Depuis trois ans, aucune plainte : vous êtes devenu un ange.
— Exact ! confirma Lantec.
Au ton de Lantec, on aurait pu croire que Théberge venait de fournir une bonne réponse à une question de quiz télévisé.
— Dans une de vos dernières émissions, vous avez annoncé qu’il y aurait d’autres attentats terroristes. J’aimerais savoir d’où vous tenez cette information.
— Mon client n’a pas à répondre à cette question, s’empressa d’objecter l’avocat. Les sources d’un journaliste sont confidentielles.
Théberge continua de s’adresser à Lantec sans s’occuper de l’avocat.
— C’est vrai, vous n’êtes pas seulement animateur, vous êtes aussi journaliste.
— J’ai toutes les qualités !
— Vous avez publié les adresses des musulmans résidant à Montréal qui sont censés être les plus radicaux… Vous voulez quoi ? Inciter les gens à les prendre pour cibles ?
— Vous n’êtes pas d’accord que les gens sachent où demeurent les terroristes ? Si on le fait avec les délinquants sexuels, je ne vois pas pourquoi…
— S’il arrive quoi que ce soit…
Théberge n’eut pas le temps de compléter sa menace.
— Mon client n’a incité personne à la violence, fit l’avocat. Il n’a même pas donné les adresses de ces individus. Il a simplement mentionné qu’on pouvait les trouver sur un site Internet.
— « www.lesvraiesinfos.ru », ajouta Parano Kid.
Théberge continuait de fixer Lantec.
— Le site est enregistré en Roumanie ! poursuivit l’avocat comme si cela excluait toute possibilité d’implication de son client.
Théberge décida de ne pas relever l’absurdité de la remarque de l’avocat.
— C’est un site auquel vous faites souvent référence pendant votre émission, dit-il en s’adressant à l’animateur. Il y a une raison ?
— Je fais aussi référence au site du Vatican et à celui de la CIA.
— C’est sur le site du Vatican que vous avez déniché l’idée que des terroristes ont menacé mon épouse ?
— Ça, c’est pas moi. C’est Bastard Bob qui a sorti la nouvelle.
— Est-ce que vous la confirmez ?
Parano Kid regardait Théberge avec un sourire narquois. Celui-ci réussit à se contrôler. Il prit une respiration, se leva, se dirigea vers la fenêtre de son bureau.
— S’il arrive quoi que ce soit aux gens dont vous parlez… ou qui sont mentionnés sur le site « lesvraies infos »…
— Vous allez faire quoi ? répliqua Parano Kid sur un ton carrément baveux.
Une fois de plus, l’avocat s’empressa d’intervenir.
— Mon client ne peut en aucune façon être tenu pour responsable du contenu d’un site Internet avec lequel il n’a aucun rapport.
Théberge se retourna lentement et regarda Parano Kid.
— Vraiment aucun rapport ?
Un instant, Parano Kid sentit un flottement au creux de son estomac. Puis il se dit que le policier bluffait. Il n’avait aucun moyen de remonter jusqu’à lui. Son mystérieux mécène le lui avait assuré.
— Vous êtes prévenu, reprit Théberge. Vous pouvez disposer.
Puis il se tourna vers la fenêtre sans même les regarder sortir de la pièce.
Comment la situation en était-elle arrivée là ? Pourquoi cet acharnement soudain des médias contre les policiers ? Et, surtout, pourquoi cet acharnement contre lui ?
La seule chose qu’il avait remarquée, c’était que les attaques verbales à la radio avaient commencé peu après le rachat de HEX-Médias par le groupe australien Levitt Media.
Tous les médias avaient conservé leur nom et la plus grande partie de leur personnel. Mais la programmation, tant celle de la télé que celle de la radio, avait pris une tonalité plus agressive. Et quand HEX-Médias avait acheté un journal, la même ligne éditoriale agressive s’était imposée.
Pour ne pas être en reste, ses concurrents avaient emboîté le pas. Résultat : il se passait maintenant peu de jours sans qu’on le critique dans les médias…
Sauf que cette guerre des cotes d’écoute n’expliquait pas tout. Le changement de ton ? Ça, oui. Il y avait une escalade très nette dans l’agressivité de l’ensemble des médias. On traquait de moins en moins la nouvelle et de plus en plus ceux qui la faisaient. C’était sans doute inévitable, dans un univers où l’on vivait et où l’on mourait par les BBM.
Mais pourquoi s’en prenait-on à lui ? Spécifiquement à lui ? Ça, ce n’était pas seulement une question de cotes d’écoute. Était-ce un hasard ? Faisait-il simplement partie des dommages collatéraux de la guerre de tranchées que se livraient les médias ?… Comme tout policier, Théberge ne croyait pas beaucoup au hasard ni aux coïncidences.
 
Paris, 21h18
Chamane et Hurt étaient assis de part et d’autre d’une table sur laquelle il y avait une enregistreuse.
— Ça dure depuis combien de temps ? demanda Chamane en vérifiant les réglages de l’appareil.
La voix froide de Steel lui répondit.
La première crise a duré environ trois quarts d’heure. La deuxième vient de se terminer. Elle a été un peu plus longue.
— Est-ce qu’il s’est passé quelque chose de particulier ?
Pas à ma connaissance. Hurt regardait la télévision.
Pendant plusieurs secondes, Hurt parut absorbé dans ses pensées.
J’ai consulté Tancrède, reprit la voix de Steel. Il regardait les informations. L’annonceur parlait de l’attentat à la cathédrale Notre-Dame de Paris.
— Tu penses qu’il y a un rapport ?
Hurt parut de nouveau absorbé dans ses pensées. Un peu plus longtemps, cette fois.
La deuxième fois, c’est en achetant un journal.
— Est-ce qu’il y avait quelque chose sur Notre-Dame ?
C’est ce que j’ai demandé à Tancrède. La une du journal parlait des possibilités de pénurie de céréales en Inde.
Tancrède était une des personnalités les plus surprenantes de Hurt. Les autres le surnommaient l’archiviste. Il avait une mémoire quasi totale de tout ce qui se passait à l’intérieur de Hurt et de tout ce dont Hurt était témoin dans le monde extérieur.
Chamane l’avait déjà utilisé, avec l’aide de Steel, pour avoir accès au bavardage apparemment incohérent de Buzz. Ils avaient alors découvert des informations cruciales sur le Consortium. Le problème, c’était que Buzz ne se manifestait jamais à l’extérieur. Il fallait avoir recours à la mémoire de Tancrède, qui était capable de répéter fidèlement les longues tirades en apparence répétitives de Buzz.
— Tu lui as demandé s’il voulait participer à l’expérience ? demanda Chamane.
Il est d’accord.
Chamane appuya sur le bouton de l’enregistreuse.
Quelques secondes plus tard, Hurt fermait les yeux comme pour se recueillir. La reproduction monocorde du discours de Buzz commença à se faire entendre.
 
Londres, 21h11
Concentrer le pouvoir, décentraliser l’exécution. Telle était la base de la philosophie de gestion de Lord Hadrian Killmore. Exprimé dans ces mots, ça pouvait paraître très théorique. Mais, sur les plans, cela se traduisait d’une manière très concrète : chacun des lieux était structuré de la même façon, il y avait un système de relève entièrement automatisé en cas de défaillance des exécutants et le tout était géré par un système informatique unifié – un système dont il était le seul utilisateur de premier niveau.
Quand Maggie McGuinty entra dans la pièce, il attendit une vingtaine de secondes avant de lever les yeux vers elle, comme s’il était plus important de terminer sa lecture des plans que de prendre acte de son arrivée.
— Madame McGuinty ! dit-il finalement, l’air de découvrir tout à coup avec plaisir son existence. Je vous remercie de vous être déplacée aussi rapidement sans préavis.
— Je me suis dit que ça devait être important.
— Tout à fait… J’ai décidé d’apporter des modifications à votre emploi du temps.
La femme s’efforça de ne pas paraître inquiète. Elle connaissait le caractère imprévisible de Killmore : il pouvait tout aussi bien s’agir d’une promotion que d’un avis de congédiement. Et quand on savait ce qu’un congédiement signifiait, dans l’organisation…
— Avant de vous annoncer vos nouvelles fonctions, j’aimerais que vous répondiez à quelques questions, histoire de m’assurer que vous êtes la bonne candidate.
Killmore prenait plaisir à parler lentement et à entrecouper ses phrases de silences de plusieurs secondes.
— À quoi a servi, croyez-vous, le cadavre qui a été trouvé dans un salon funéraire, à Montréal ?
— Celui qui a été noyé, brûlé…
— Exactement.
— J’imagine que c’était une sorte d’acte symbolique.
Killmore parut méditer la réponse pendant un moment.
— Et quel est le rôle de la murale dans la salle des Initiés ?
— Le même ?
McGuinty se demandait de plus en plus où cette discussion allait l’entraîner.
— Vous n’avez pas complètement tort, répondit Killmore après un nouveau silence. Mais vous me permettrez d’être plus précis.
Même si elle ne savait pas où Killmore voulait en venir, Maggie McGuinty sentait que c’était le moment de prêter une attention extrême à ce qu’il disait.
— J’ai pour principe de toujours annoncer publiquement ce que je vais faire, reprit Killmore. Et de toujours faire ce que j’ai dit… Vous me suivez ?
— Je crois, oui.
— Évidemment, on peut annoncer les choses platement. De façon prosaïque. Mais on peut aussi procéder de façon plus subtile, plus créative… On peut utiliser des métaphores.
— Comme dans la poésie ? demanda McGuinty, incertaine que ce soit la bonne réponse.
— Comme dans la poésie des actes. Comme dans celle des événements et des corps.
Après une nouvelle pause, Killmore adopta brusquement un ton plus froid, plus technique.
— En plus de votre travail à la direction des trois laboratoires, vous allez me servir d’intermédiaire pour l’opération Diet Care… et pour les autres opérations qui suivront.
— Je pensais que vos intermédiaires étaient les quatre cavaliers…
Killmore la regarda en souriant. Il aurait pu lui expliquer qu’il doublait la plupart des systèmes. Par prudence. Que dans le cas des cavaliers, il l’avait même quadruplé : s’il survenait le moindre problème, n’importe lequel des quatre pouvait prendre la relève d’un des trois autres. Qu’ils étaient des sortes de clones fonctionnels.
Il aurait également pu ajouter que, par principe, il ne se fiait jamais à une seule personne ou à un seul système pour remplir une fonction.
— Il y a certaines tâches pour lesquelles je veux pouvoir compter sur une personne particulière, se contenta-t-il de dire.
— Quel genre de tâche ?
— Des messages à communiquer à des gens, par exemple… Quoique, dans votre cas, l’essentiel de vos tâches sera d’ordre pédagogique.
Killmore sourit de voir la perplexité de la femme.
— Tout à l’heure, reprit-il, je vous ai dit que j’avais comme principe de toujours annoncer publiquement ce que je vais faire… Vous allez être le maître d’œuvre de mon principal message à la population de la Terre.
Maggie McGuinty semblait de plus en plus déconcertée.
— Je vais diriger vos communications ?
Killmore éclata de rire.
— On peut le dire comme ça, fit-il. Vous allez coordonner mon message pour l’ensemble de la planète… Vous avez déjà commencé, d’ailleurs. Sauf que vous ne saviez pas encore que vous étiez déjà intégrée à ce projet.
— Je vais faire quoi, au juste ?
— Vous allez diriger un club de dégustation.
Killmore ne cachait même pas le plaisir qu’il avait à lui fournir des réponses qui ne faisaient que la déconcerter davantage.
— Quel club ?
— Les Dégustateurs d’agonies.
 
WCBS Newsradio, 20h02
Chers concitoyens américains,
Au cours des derniers jours, notre pays, nos valeurs, notre civilisation ont fait l’objet d’une nouvelle attaque. Heureusement, grâce à la vigilance et au travail exemplaire de nos services de renseignements…
 
Fort Meade, 20h03
Tate avait reporté le moment de retourner chez lui. Il voulait être sûr de regarder le message présidentiel en direct, dans son bureau. Il ne voulait pas courir le risque de rester pris dans la circulation et de devoir se contenter de l’entendre à la radio. La lecture du non-verbal était indispensable pour comprendre quoi que ce soit aux discours des politiciens. Et puis, s’il avait besoin de réagir, il serait sur place pour le faire.
… le pire a été évité. Je veux souligner le travail remarquable des hommes et des femmes du Department of Homeland Security.
Tate étouffa un juron et se leva de son fauteuil. Il se dirigea vers le cabinet à boisson, se servit un Cragganmore douze ans et en avala la moitié d’un trait.
… Je veux aussi souligner celui de la CIA, du FBI, de la NSA et des autres grandes agences. Sans leur détermination, sans leur courage, sans leur efficacité, un groupe de terroristes islamistes aurait ensanglanté plusieurs villes américaines. Ces terroristes avaient comme projet de s’en prendre à des églises dans quatre des plus grandes villes de notre pays. Dieu merci, un seul attentat a été mené à terme…
Tate était resté debout derrière son fauteuil, son verre à la main. Il regardait la télé d’un air perplexe. Pour le moment, le nouveau Président semblait vouloir éviter de prendre position dans la lutte entre le DHS et les autres agences de renseignements.
Ça confirmait les rumeurs. On disait que c’était par souci de ne pas créer de remous qu’il avait épargné Paige et les autres directeurs d’agences. Que c’était un geste d’ouverture envers les républicains. Il était prêt à collaborer avec ceux qu’ils avaient nommés. Son énergie, il entendait d’abord la concentrer sur la relance de l’économie… À moins que quelqu’un fasse des vagues, il respecterait les nominations antérieures.
 
Venise, 2h05
Blunt était resté éveillé pour écouter en direct le discours à la nation du Président américain. Kathy l’avait rejoint devant la télé. Elle avait apporté deux verres de barolo Bava 97 remplis au tiers.
— C’est tout ce qui restait dans la bouteille, dit-elle en s’assoyant à côté de lui.
… il n’y a eu que des blessés. Je me plais à penser que ce sont toutes les prières récitées par des Américains ordinaires, au cours des ans, entre les murs de la cathédrale Saint-Patrick, qui ont permis qu’il n’y ait aucun mort…
— Penses-tu qu’on pourrait utiliser le même genre d’explication pour le nombre de victimes des attentats du 11 septembre ? fit Kathy.
Blunt se contenta de sourire.
 
Drummondville, 20h06
F avait rejoint Dominique dans son bureau. Elle était curieuse de voir l’analyse que son adjointe ferait du discours du Président.
Tous les terroristes ont été éradiqués. La plupart de leurs opérations ont avorté. Et pas seulement sur le sol américain : dans tous les pays d’Europe où ils avaient entrepris des opérations similaires.
— Éradiqués ! fit Dominique. On croirait entendre Bush !
— Il n’a pas le choix de faire des concessions sur le vocabulaire. Autrement, il donnerait des armes aux républicains.
Ce qui se voulait une opération destinée à frapper l’Occident de stupeur s’est retourné contre ses auteurs. L’internationale terroriste a reçu un coup dévastateur.
À l’écran, le Président fit une pause pour regarder son texte pendant une nouvelle vague d’applaudissements.
— L’internationale terroriste, fit Dominique. Depuis quand ça existe ?
— Probablement un rédacteur qui a pensé que l’expression provoquerait une bonne réaction dans le public…
— Ils ont éliminé uniquement des hommes de main. Comme coup dévastateur, on a déjà vu mieux !
— Il faut que ça ait l’air d’une victoire. Son travail, c’est de gérer l’espoir des gens.
Les applaudissements calmés, le Président reprit son discours.
Dans cette victoire, nous et nos alliés européens avons pu bénéficier…
F esquissa un mince sourire. « Nous et nos alliés européens »… Elle lança un regard à Dominique. Les deux femmes se comprirent sans avoir besoin de parler : pour le nouveau Président, tous les prétextes étaient bons pour se démarquer de l’unilatéralisme de la période précédente.
… de l’aide sans équivoque de la population musulmane de nos pays respectifs. Toutes ces populations ont rapidement condamné les attentats. À plusieurs endroits, y compris dans notre pays, leur aide a été déterminante pour démasquer et neutraliser les terroristes. Contrairement à ce que voudraient nous faire croire les extrémistes, ce n’est pas une guerre entre des civilisations qui nous menace : c’est une guerre entre l’ensemble des civilisations et la barbarie. Une barbarie dans laquelle un petit groupe de terroristes voudrait nous plonger. Au nom de la nation, je veux remercier ces musulmans dont le patriotisme a permis de sauver un grand nombre de vies américaines. Il faut que cessent les incidents déplorables dont ils ont été victimes.
— Ça ne va pas emballer les fondamentalistes chrétiens ! fit Dominique. Ni les républicains.
— Il n’a pas le choix. Il faut à tout prix qu’il évite une guerre civile. Si les représailles contre les musulmans continuent…
— Ils en sont où ?
— Onze incidents, aux dernières nouvelles. Surtout des cocktails Molotov contre les mosquées. Trois cas d’agression dans la rue : des femmes qui portaient le voile…
Cette victoire contre les terroristes est la preuve qu’il est possible de gagner contre eux si nous nous en donnons les moyens. Bien sûr, nous savons que notre sécurité ne sera jamais définitivement acquise. Qu’elle est vouée à demeurer une tâche de tous les instants… On peut toujours faire mieux. On peut toujours faire davantage pour protéger une vie de plus. Pour laisser à nos enfants un monde où leur sécurité sera mieux assurée. Et on peut le faire sans sacrifier les valeurs fondamentales qui nous définissent.
— Ça, c’est pour les démocrates, dit Dominique.
— Mais c’est suffisamment neutre pour permettre aux républicains de ne pas se sentir visés.
C’est pourquoi j’annonce que je soumettrai bientôt au Congrès un budget supplémentaire pour renforcer notre lutte contre le terrorisme…
— Et ça, c’est pour les républicains, reprit Dominique.
— Un coup d’encensoir pour faire plaisir aux musulmans, un budget supplémentaire pour la sécurité qui va faire plaisir à la droite… C’est un bon exercice d’équilibre.
— Je vais essayer de trouver quelles sont les compagnies qui vont en profiter.
— Tu penses qu’il joue le même jeu que Bush et Cheney ?
— On n’est jamais trop prudent.
 
Brossard, 20h11
L’inspecteur-chef Théberge avait convaincu sa femme de renoncer à son téléroman préféré pour écouter le discours du Président américain. Elle avait accepté pour faire plaisir à son mari. Et aussi parce que celui-là n’avait pas l’air d’un faux jeton.
La guerre à la terreur est une guerre qu’on ne peut pas se permettre de perdre. Ce qui est en jeu, ce sont nos valeurs. C’est notre civilisation. C’est la vie même de notre population. Tant que je serai président, les terroristes ne réussiront pas à détruire cette civilisation que nos ancêtres ont mis des millénaires à construire.
— Tu savais ça, toi, que le peuple américain avait des millénaires d’histoire ? demanda Théberge.
— Il doit parler au nom de l’Occident, répondit sa femme sans lever les yeux de sa revue.
— C’est vrai qu’avoir à choisir entre lui et notre primate-en-chef comme porte-parole…
 
Drummondville, 20h13
Aujourd’hui, nous pouvons nous dire que nous avons porté un coup dévastateur aux terroristes d’al-Qaida. Près d’une centaine de leurs opérateurs sont morts.
Des applaudissements empêchèrent le Président de poursuivre.
— Il n’y a aucune preuve que ce soit relié à al-Qaida, fit Dominique.
— Il n’a pas le choix. S’il ne dit pas que c’est relié, ça revient presque à accuser explicitement la politique de Bush d’avoir provoqué la naissance de nouveaux groupes terroristes. Tout le monde le sait, mais ce n’est pas le temps de lancer ce genre de débat et de faire monter les républicains aux barricades.
— Ils ne leur ont pas porté un coup mortel ! Ce sont les terroristes qui ont éliminé les exécutants pour couper les pistes !
— Je sais. Mais il est obligé de dire que les choses vont s’arranger. Déjà que la crise économique traîne en longueur…
 
WCBS Newsradio, 20h21
… Que les terroristes se le tiennent pour dit. Tous ceux qui s’élèveront contre la démocratie, contre la liberté et contre les valeurs d’humanité que nous défendons seront impitoyablement traqués, arrêtés et punis. Aucun terrorisme ne pourra prévaloir contre la détermination que nous donne la volonté de défendre les valeurs pour lesquelles tant de nos ancêtres ont sacrifié leur vie. Dieu vous bénisse et qu’il protège l’Amérique.
 
Paris, 2h34
… la maladie et le froid. Le Consortium est à l’avant-scène. Le Cénacle est derrière, à l’abri de saint Sébastien. L’Apocalypse est en marche.
 
— Voilà, dit Chamane. C’est le mieux que je peux faire.
Il avait fait jouer l’enregistrement à différentes vitesses. Il avait ensuite éliminé des séquences constituées de groupes de syllabes sans signification qui s’inséraient entre les mots. Le résultat était un texte relativement court qui jouait en boucle.
L’Apocalypse, fit Steel… Ça me rappelle le texte de Fogg.
— Il parlait de gérer l’apocalypse… Tu penses que c’est quelque chose que Hurt a lu ?
— On ne dirait pas quelque chose d’écrit. On dirait des bouts d’information collés les uns à la suite des autres.
— C’était peut-être un message codé. Une sorte d’aide-mémoire.
Le visage de Hurt se ferma. Il demeura plus d’une minute silencieux.
J’ai fait le tour, déclara la voix de Steel quand Hurt ouvrit les yeux. Ça ne dit rien à personne.
— Le Cénacle, tu as une idée de ce que ça peut être ?
À première vue, je dirais que c’est une organisation. Mais je n’en ai jamais entendu parler.
— Il y a sûrement un rapport avec les attentats terroristes. Ça s’est déclenché quand tu as vu l’information sur l’attentat à Notre-Dame de Paris.
Possible. Mais quel rapport avec le problème des céréales en Inde ?
— Ça…
Chamane s’activa sur le clavier pendant quelques secondes.
— J’ai fait une copie de l’original et de ce que j’ai déchiffré, dit-il.
Pour l’Institut ? demanda Sharp avec une pointe d’agressivité.
— Je n’ai pas le choix. Il faut que j’envoie ça à Dominique.
Je suis d’accord, fit la voix froide de Steel. Il faut avertir l’Institut.
Chamane fit redémarrer l’enregistrement.
 
… La religion sert de prétexte. La terre, l’eau, l’air et le feu. Le désert, le déluge, la maladie et le froid. Le Consortium est à l’avant-scène. Le Cénacle est derrière, à l’abri de saint Sébastien. L’Apocalypse est en marche…