A
ACTIVITÉ
Peu à peu, les sociétés les plus avancées reconnaîtront que le travail* n'est pas la seule forme d'occupation digne de mériter rémunération. À la revendication « Toute peine mérite salaire » se substituera le principe « Toute activité mérite rémunération » dès l'instant où elle a une utilité collective, et même si elle ne crée pas de valeur marchande. C'est déjà le cas pour plusieurs d'entre elles : enseigner, soigner, chercher, découvrir, distraire. Cela le deviendra pour d'autres telles que consoler, soutenir, apprendre.
D'abord se développeront des activités autres que le travail productif (métiers de services de proximité, de tutorat éducatif pour les jeunes en difficulté scolaire, d'assistance aux personnes âgées, de soins à domicile, de solidarité sociale, d'amélioration écologique). Certaines s'exerceront sous forme de salariat, d'autres de partenariat* ; d'autres encore, au sein d'associations* ou d'ONG*, ne seront pas toujours rémunérées. Dans une même organisation voisineront ainsi des gens rémunérés et d'autres pas qui exerceront pourtant la même activité. On reconnaîtra ensuite que se former constitue une activité socialement utile, que toute formation* augmente la valeur du capital humain de la collectivité et doit donc être considérée comme utile à ceux qui la dispensent comme à ceux qui la reçoivent. Toute formation méritera revenu. L'année sabbatique sera obligatoire dans de nombreuses professions, en particulier en médecine*. Et tout chômeur* en formation recevra une rémunération décente en contrepartie d'un contrat d'activité, avec réelle obligation de présence et de travail.
On objectera que le vrai travail est à l'usine ou au bureau. Que l'activité de formation continue n'est qu'un palliatif qui ne saurait être que passager, parce qu'elle n'est pas productrice de richesses. Vision anachronique : le travail est de plus en plus changeant, mobile, nomade*, il exige des compétences sans cesse remises à jour. Se former deviendra donc une nécessité pour tout actif. Il devra s'y employer tous les quatre ou cinq ans, quel qu'ait été son métier initialement choisi, et chacun sera un jour couvert par une assurance formation.
ADOLÉCRAN
Jeune nomade* passant l'essentiel de son temps*, libre aussi bien que scolaire, devant les écrans de la télévision, des jeux* vidéo, de l'ordinateur*, du cinéma*. Nourri d'une culture* de l'image, du zapping, du ludique, il sera plus formé à la navigation* qu'à la logique, à l'intuition qu'à la rationalité, à l'orientation qu'à la démonstration. Qualités et défauts du nomade.
AFRIQUE
Le continent de la misère et du désespoir. Peut-être celui d'immenses génocides, des plus grands charniers de tous les temps. Mais aussi celui de toutes les promesses.
L'Afrique n'a pas encore réussi son décollage. Le legs de la colonisation, la situation climatique, les complexités politiques locales, la juxtaposition de dictatures*, le gaspillage de l'argent public, l'ampleur des dépenses militaires – les plus élevées au monde, à 3,5 % du PIB -, l'exploitation inique des ressources en matières premières, la corruption des élites, l'absence d'institutions démocratiques et de marché*, expliquent le retard accumulé. Depuis quarante ans, la croissance* est souvent nulle, parfois même négative, en tout cas très inférieure en moyenne à celle de l'Asie. Dans de nombreux pays, la population a triplé sans que le PIB augmente. Les services sociaux sont dans un état désastreux. 32 % de la population subsaharienne ne peut espérer atteindre l'âge de 40 ans. Le paludisme tue un million de personnes par an et a un effet débilitant sur plusieurs dizaines de millions d'autres. Sur les 50 nations* les moins développées du monde, 35 sont situées en Afrique. On y trouve la plus forte proportion au monde de pauvres, d'analphabètes, de gens manquant d'eau*, de travail* et de nourriture; c'est là aussi que les mouvements de population sont les plus amples, où la mortalité infantile est la plus élevée, où le statut de la femme* est le plus précaire. En l'état actuel, l'économie*, hormis celle de l'Afrique du Sud et de quelques autres, ne laisse pas de grands espoirs : l'agriculture* reste tournée vers les produits d'exportation ; il n'y a ni industrie* diversifiée, ni réseau bancaire autonome. Seulement 5 % du million de villages africains sont dotés du téléphone*. La valeur boursière de l'ensemble de l'Afrique n'est que le cinq centième de celle des États-Unis*, pour une population double. Le remboursement de la dette* extérieure ponctionne 20 % du PIB, voire 30 % pour certains pays.
De surcroît, pour l'avenir, l'évolution démographique fait craindre le pire. D'ici 2050, la population pourrait tripler, pour atteindre 1,4 milliard. Déjà, en 2025, on dénombrera 250 millions de Nigérians, 150 millions d'Éthiopiens, 120 millions d'Égyptiens, autant de Congolais et davantage encore de Maghrébins. Bien que la mortalité infantile doive rester très élevée, la population sera la plus jeune du monde. Pour pouvoir la nourrir, il faudrait que les rendements agricoles soient multipliés par quatre. Or l'effet conjugué de la sécheresse* et de l'urbanisation, l'absence d'institutions démocratiques et de marché*, l'incapacité de stocker et de transporter la nourriture rendent l'autosuffisance impossible à court et moyen termes. De toute façon, pour y atteindre, il faudrait passer par un exode rural massif multipliant la taille des villes* et le nombre des nomades* urbains.
On peut donc s'attendre, dans plusieurs régions du continent, à une aggravation des conflits ethniques, à une désarticulation des nations* et des États*, incapables de collecter l'impôt*, à de vastes mouvements de population destinés à s'éloigner des zones tropicales et à se rapprocher des villes* côtières. À cela s'ajouteront d'autres fléaux : la déforestation et la pénurie d'eau potable, aggravées par le réchauffement du climat* dû à l'effet de serre. Puis les épidémies*, en particulier celle du sida* qui pourrait, si des ressources importantes ne sont pas consacrées à l'enrayer, contaminer la moitié de la population de certains pays trop pauvres pour se soigner – la dépense par malade serait de l'ordre de 2 000 dollars par an – et où tous les contaminés mourront avant qu'un hypothétique vaccin* ne soit disponible.
Pourtant, l'avenir de l'Afrique n'est pas uniformément désespéré. Dans une large partie du continent, les systèmes dictatoriaux s'affaiblissent, la démocratie* et l'économie de marché* gagnent du terrain, des entreprises* locales et internationales commencent à exploiter honnêtement les formidables ressources naturelles. L'agriculture, l'industrie légère, le tourisme*, le secteur financier connaissent leurs premiers succès. L'inflation* commence à se stabiliser à un niveau bas, ce qui permet de lancer des investissements. La croissance* moyenne est d'ailleurs passée de 1 % au début des années quatre-vingt-dix à 5 % en 1997. Plus de 30 pays sur 47 ont un taux de croissance supérieur à 3 %. La croissance moyenne par habitant augmente même dans 40 pays. On pourrait imaginer que la « dynamique du décollage », qui a déjà fait son œuvre sur les quatre autres continents, se mette ici en branle ; que l'Afrique mette alors en place, à sa façon et selon ses traditions, les institutions de la démocratie* et du marché modernes, réoriente son agriculture vers la demande locale, lutte contre la corruption, réduise ses dépenses militaires, organise ses transports* intérieurs et instaure des systèmes éducatif et sanitaire dignes de ce nom. La culture africaine portera alors un modèle propre de développement et de démocratie fondé sur la participation de tous à la vie de la cité, la transparence des affaires publiques, le sens du destin commun. Ces progrès doivent être faits dans l'impartialité, la transparence, la prévisibilité des décisions publiques, la stabilité des institutions et du droit de propriété. Un rôle essentiel sera dévolu dans cet avenir aux organisations syndicales, aux associations* et aux partis politiques.
Dans un premier temps, le développement se fera dans deux régions : au nord autour de la Tunisie, du Maroc et de la Côte-d'Ivoire ; au sud autour d'une Union douanière sud-africaine (Afrique du Sud, Botswana, Lesotho, Namibie, Swaziland) et d'un Marché commun d'Afrique de l'Est (avec vingt pays dont la Tanzanie, la Zambie et le Zimbabwe).
Dans un second temps, si le Nigeria* et le Congo réussissent à éviter leur démembrement, la stabilisation de l'Afrique centrale permettra le développement autonome du continent. Même si cela semble encore hors de portée pour plusieurs générations, on pourrait imaginer que le Marché commun d'Afrique de l'Est s'étende un jour de proche en proche à tout le continent, jusqu'à rejoindre celui qui pourrait être créé au Maghreb*.
AGRICULTURE
Les besoins alimentaires de la planète augmenteront tant en quantité qu'en qualité ; mais ils ne pourront être satisfaits, à technologie égale, que par l'exode vers les villes* de deux milliards de ruraux. Le choix semble donc être entre l'insuffisance de la production agricole et l'explosion du chômage urbain.
Pour sortir de ce dilemme, il faudrait pouvoir consacrer des sommes considérables au maintien sur place des paysans sous-employés. Tout comme on l'a eu naguère au Nord*, on aura donc le choix, au Sud*, entre une croissance du chômage* urbain et celle des prix des produits agricoles. Le marché* choisira la première solution, sauf si une nouvelle « révolution verte », passant surtout par la biotechnologie*, lève cette contrainte.
L'agriculture a les moyens de nourrir la population de la planète. Depuis très longtemps, la production agricole mondiale augmente plus vite que la population mondiale. Elle pourrait augmenter plus vite encore si une demande solvable l'exigeait. Les progrès techniques ont permis, par exemple, de multiplier par 2,6 en trente ans la production de céréales (avec un rendement moyen de 25 quintaux à l'hectare) et d'offrir en moyenne à chaque habitant de la planète 340 kg de céréales par an. En un siècle, les progrès de la productivité ont été tels que le prix réel du blé à la production a été divisé par quatre. La production de viande, qui en découle, a augmenté (certes moins vite, car 1 kg de porc, par exemple, exige un demi-quintal de céréales) au rythme de la croissance démographique; la production de viande par habitant est restée stable, à 32 kg par an. Au total, jusqu'ici, ce sont les pessimistes qui ont eu tort : la production agricole par tête a augmenté de 27 % depuis 1963 ; le prix des produits agricoles a baissé au cours de la même période de 50 % (malgré un « pic » en 1975 et une remontée sensible depuis 1994).
La productivité agricole semble néanmoins atteindre maintenant un palier en raison des limites écologiques, politiques et sociales à l'agriculture intensive. La surface agricole par habitant de la planète décroît depuis 1950 ; elle n'est plus que de 0,13 hectare. Cinq millions d'hectares, sur les trois milliards aujourd'hui cultivables de par le monde, disparaissent chaque année du fait de la sécheresse, de la pollution, de l'urbanisation ou de l'emprise du réseau routier. De plus, comme toute eau* naturelle contient du sel, un champ mal irrigué devient vite incultivable. (En Inde, par exemple, la productivité a diminué massivement sur 20 millions d'hectares – soit le tiers de toutes les terres irriguées – et 7 autres millions ont dû être abandonnés). La production mondiale de céréales est aujourd'hui à peine égale à celle d'il y a dix ans ; la production de céréales secondaires (orge, mil) suffit à peine à nourrir le bétail pour qui l'on doit désormais utiliser des aliments concentrés tels que la farine de soja. En somme, l'offre agricole mondiale risque de stagner. En Europe, le coût de production des céréales est en outre très supérieur au revenu à en escompter, et les céréales n'y sont produites que grâce à des subventions qui devront un jour ou l'autre disparaître.
À l'inverse, en raison de la croissance démographique et de la hausse du niveau de vie moyen, la demande agricole augmentera de plus en plus vite. En particulier, la demande de céréales croîtra dans des proportions considérables au Sud* à cause de l'augmentation de la demande de viande et de l'uniformisation des goûts incitant à consommer des produits originaires de la zone tempérée (blé, maïs, coton). Pour seulement maintenir au cours du prochain siècle la consommation moyenne de céréales par habitant, il faudrait pouvoir en doubler la production (alors qu'il a fallu dix mille ans pour atteindre son niveau actuel de 3 milliards de tonnes). Pour le dire autrement, il faudrait produire dans les quarante prochaines années plus de calories que l'agriculture n'en a produit depuis ses débuts, il y a dix mille ans. Pour y parvenir - si la surface cultivée restait la même -, il faudrait réussir à porter le rendement à l'hectare à 46 quintaux ; ou seulement à 32 quintaux si on parvenait à augmenter la surface cultivée de 30 %.
Quelques désordres naturels joueront paradoxalement un rôle positif : le surcroît de carbone dans l'air, la hausse des précipitations et de la température ont déjà contribué à augmenter de 20 % le rendement des récoltes australiennes ; les terres agricoles seront élargies par la mutation du climat en Sibérie et au Canada. En outre, de grands progrès sont concevables grâce à l'amélioration des moyens de transport*, de conservation et de stockage des récoltes.
À l'inverse, la production restera limitée par l'urbanisation, la rareté de l'eau, la baisse de la fertilité des sols, la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes, la baisse d'efficacité des engrais et des produits phytosanitaires. Par exemple, l'aggravation de la pollution* de l'eau* pourrait réduire la fertilité des terres agricoles de 5 % par an à partir de 2010, et de 10 % à partir de 2040.
En l'état actuel de la technologie, ni la libération des échanges, ni la réutilisation des terres mises en jachère aux États-Unis* (8 millions d'hectares) et en Europe* (3 millions d'hectares) ne modifieraient significativement les surfaces disponibles et le niveau de la production. L'Europe et l'Amérique réussiront à satisfaire leurs propres besoins à coups de subventions, et même à dégager des surplus exportables. Mais l'Afrique* subsaharienne et le sous-continent indien* auront beaucoup plus de mal à y parvenir. La Chine* et le Japon* deviendront à leur tour des importateurs massifs de produits agricoles, à la merci de mauvaises récoltes.
Cette tension entre l'offre et la demande se fait déjà sentir : les réserves mondiales de céréales sont de l'ordre de cinquante jours et atteignent là leur plus bas niveau historique. Celles de maïs sont de quarante-huit jours, niveau le plus bas depuis trente-cinq ans. On peut donc s'attendre à une hausse provisoire des prix relatifs des produits de l'agriculture, incitant à la concentration des terres, à la poursuite de l'exode rural, à des investissements massifs dans les instruments de production, les équipements de stockage, de transport* et la recherche agronomique.
Une nouvelle « révolution verte » est donc à la fois nécessaire et plausible, car elle est technologiquement possible et serait économiquement rentable. D'énormes mutations et des innovations majeures auront lieu dans les modes de production : robotisation des cultures extensives, satellites* observant les récoltes et identifiant au mètre près les zones ayant besoin d'irrigation ou d'engrais, automatisation des moyens de conservation, etc. Enfin et surtout, la bioagriculture* conduira à un changement total d'échelle du progrès technique et de l'organisation sociale de l'agriculture.
Il conviendra d'y ajouter des réformes radicales du mode de financement afin que les progrès de la production ne s'accompagnent pas de migrations rurales socialement catastrophiques. Les mécanismes de la politique agricole commune européenne, qui subventionneront à l'avenir les revenus davantage que les produits, fournissent un bon modèle pour d'autres continents soucieux de nourrir sans détruire, de produire sans piller, de faire de leurs paysans des conservateurs de la nature.
AIDE
L'aide du Nord* au Sud* sera perçue comme un des plus grands scandales du XXe siècle. Non seulement les trois quarts des sommes ont servi à financer des entreprises du Nord, mais encore le Sud a été tenu de les rembourser pour l'essentiel. Ainsi, contrairement aux apparences, le flux net de capitaux a été orienté du Sud vers le Nord !
Là où, au Sud, les dirigeants cesseront d'y voir une source de profit, l'aide du Nord sera refusée. Le développement dépendra alors avant tout de la prise en charge de la pauvreté* par les pauvres.
AIR
Ressource vitale gravement menacée par la pollution industrielle et urbaine, il deviendra rare et cher.
L'atmosphère reçoit chaque année deux milliards de tonnes de produits azotés, déchets* de l'industrie du froid et de la circulation routière. Elle reçoit aussi sept milliards de tonnes de carbone : deux sont issus de la déforestation, cinq de la combustion des hydrocarbures. De nombreux aspects de ces phénomènes sont encore mal connus : par exemple, sur les sept milliards de tonnes de carbone, il semble que l'océan en absorbe trois, mais nul ne sait pourquoi ni comment. Quoi qu'il en soit, la quantité de gaz carbonique dans l'atmosphère a augmenté d'un tiers en un siècle. Un cinquième seulement des citadins du monde respirent un air acceptable. Évidemment, l'air du Sud* est moins pur que celui du Nord : Pékin* est 35 fois moins respirable que Londres*, et 16 fois moins que Tokyo*. Pourtant, le Nord utilise 70 % des véhicules existant dans le monde et produit 60 % des rejets de carbone et d'oxyde d'azote.
La tendance actuelle conduit à pronostiquer le doublement de la proportion actuelle de gaz carbonique dans l'air d'ici 2030. Si tel est le cas, de nombreuses villes* deviendront irrespirables, la circulation automobile* urbaine sera interrompue, la croissance* économique menacée. Les effets de ces pollutions* seront aussi catastrophiques pour la santé humaine que pour le climat*. Elles accroîtront les risques d'affections des voies respiratoires et de troubles cardiaques; en Indonésie*, par exemple, 15 % des décès d'enfants de moins de cinq ans sont dus à la pollution atmosphérique. Ces rejets semblent aussi responsables de l'« effet de serre » qui, modifiant le climat*, provoque sécheresse* et inondations. Enfin, elles s'attaquent à la forêt*, en particulier dans les zones intertropicales dont les écosystèmes semblent particulièrement vulnérables.
Tôt ou tard, l'air aura donc un coût. Chacun devra acquitter une taxe pour avoir le droit de respirer de l'air pur.
Pour éviter un certain nombre de catastrophes*, il faudrait pouvoir réduire d'au moins un quart, d'ici 2010, la consommation de charbon* et de pétrole*, augmenter d'autant celle de gaz* naturel (qui produit par calorie 40 % de gaz carbonique en moins que le charbon), et diminuer enfin l'usage de l'automobile, en particulier en ville. Les décisions du Sommet de Kyoto, en 1997, visant à réduire de 5 à 8 % les émissions de gaz carbonique d'ici 2010, pourraient constituer un premier pas dans la bonne direction, mais elles ne pourront être appliquées que si l'Amérique* parvient à réduire ses propres pollutions de 35 % par rapport à leur niveau tendanciel.
Pour accomplir de telles mutations, il faudrait promouvoir des mesures difficilement applicables : par exemple, supprimer les subventions au charbon alors qu'il crée beaucoup d'emplois, et fixer des « droits* à polluer » par pays; chaque pays pourrait les échanger contre des moyens de financer la réduction de ses propres pollutions. Cela supposerait la mise en place d'une autorité internationale ayant le pouvoir de calculer les droits d'émission de la planète, de les répartir entre les pays et de sanctionner leur non-respect.
Si l'adoption de telles réformes se révélait impossible, il resterait à espérer que le progrès technique les rende plus tard moins onéreuses. C'est probablement le chemin qui sera pris : celui de tous les dangers.
ALÉGALITÉ
Situation d'individus ou d'entités dont l'action se situe, sans être nécessairement illégale ou criminelle, hors de la légalité, parce que s'appuyant sur de nouvelles technologies dans des champs non encore couverts par la loi : par exemple sur Internet* ou en matière de clonage, ou encore dans le domaine des mœurs et de l'évolution de la famille. L'économie alégale occupera une place considérable ; elle sera la pointe avancée de l'économie et contribuera à la destruction des États et des institutions, sauf si ceux-ci sont capables de mettre en place des cadres juridiques suffisamment vastes pour couvrir, sans les brider, les potentialités de la science.
ALIMENTATION
Manger ne sera jamais un acte innocent. Sauf chez les plus pauvres, la nourriture ne sert pas qu'à calmer la faim. Outre le plaisir du goût*, un produit alimentaire sert aussi à signifier à celui qui le consomme son appropriation d'une force vitale et son appartenance à un groupe. D'autant plus que partout où la consommation sera solvable, l'alimentation envahira de plus en plus le temps* ; on s'alimentera sans cesse, hors des repas, dans les transports*, au bureau, au spectacle, sur des plateaux, sans assiette, avec ses doigts, etc. La nature des produits consommés dépendra des quatre fonctions qu'ils seront censés remplir :
• soigner : la nourriture se rapprochera de la thérapeutique. On voudra, en mangeant, se laver de tout ce que le monde véhicule d'impuretés réelles ou imaginaires. Certains ne voudront que des produits purs : exempts de toute graisse, de tout colorant ou additif, de toute mutation génétique artificielle. On mangera de moins en moins de viande, peut-être même plus du tout. Le poisson naturel sera un luxe. On consommera essentiellement des produits végétaux ou lactés, des aliments liés à un idéal de plénitude ou permettant de se prémunir contre une maladie. On y mêlera des médicaments, génériques ou couverts par un brevet, pour soigner (nutracétique*). Grâce à la génétique*, on comprendra mieux à quoi sert la nourriture et comment elle est affectée par les spécificités de chaque individu. On se dirigera ainsi vers une alimentation sur mesure. On cherchera enfin à se prémunir, chez les riches, contre les risques de surcharge pondérale (en 2050, au rythme actuel, tous les Américains seront obèses) ;
• se distraire : la nourriture sera prétexte à voyager, à découvrir une forme originale de nomadisme* virtuel. On mangera de plus en plus de plats originaires de civilisations* de plus en plus lointaines, sous forme de menus mixtes, de mélanges inédits, voyages métis composés sur mesure. Tel sera l'axe de la gastronomie*. L'alimentation sera prétexte à jeux* et à spectacles*. Parfois aussi à des jeux interdits, à des transgressions;
• appartenir : manger sera l'ultime lien entre individus solitaires, nostalgiques d'une certaine vie collective, des repas de fête*. Les aliments devront permettre au solitaire de croire qu'il mène encore, à sa manière, une vie familiale équilibrée. On appartiendra à des clubs regroupant ceux qui consomment un même produit et en portent l'emblème distinctif; on imaginera des produits spécifiques à chaque signe astral; ou conçus et emballés pour être consommés à plusieurs (un pack de yaourts différents marqués « Elle » et « Lui » ; des plats cuisinés pour grands-parents et petits-enfants; des chocolats de taille différente pour frères et sœurs, etc.) ;
• faire : une autre tendance forte consistera dans le retour, par le biais du simulacre*, à la cuisine faite à la main, sur mesure. Comme en musique* – où le karaoké donne l'illusion d'en faire et d'être ainsi une étoile* -, on aimera se faire chef cuisinier. Pour cela, on achètera des composants alimentaires et on les assemblera à sa guise – « cuisine Lego* » - tout en continuant à mêler gastronomie*, tourisme* et thérapeutique*.
ALLEMAGNE
Un État parmi d'autres d'une Europe* composée de vingt-cinq pays ayant mis en commun assez de compétences pour qu'aucun n'ait plus lieu d'avoir de politiques* économique, sociale ou étrangère autonomes.
L'Allemagne n'aura plus alors ni identité* ni projet* collectif, ni même, au bout du compte, de réalité politique. Chaque région y jouera son destin indépendamment des autres. On reviendra d'une autre façon à la situation d'avant l'unification allemande au XIXe siècle.
Cette évolution, la plus probable, est néanmoins loin d'être certaine. D'abord parce que la société allemande pourrait refuser une telle dissolution de son identité*. Ensuite parce que, quoi qu'il arrive, elle sera confrontée, dans les premières décennies du siècle, à des problèmes spécifiques si considérables qu'ils pourraient faire exploser la construction européenne et remettre en question tout l'équilibre géopolitique* de l'après-guerre.
D'abord le problème du chômage*. Avec 4 – demain 5 – millions de chômeurs, l'Allemagne se trouvera dans une situation intolérable qui pourrait l'amener à remettre en cause sa participation à la construction européenne, en particulier à renoncer à l'euro* pour chercher une voie nationale de développement*.
Ensuite, le problème démographique : si on ne compte pas les étrangers (qui n'ont, en l'état actuel de la législation allemande, aucune chance de devenir citoyens), et malgré les 200 000 germanophones naturalisés chaque année (l'article 116 de la Constitution désigne comme allemand quiconque descend d'un habitant du Reich dans ses frontières de 1937), l'Allemagne vieillira plus qu'aucun autre pays du continent. Elle sera même le pays le plus vieux du monde, avec le Danemark et la Suède. Selon les données actuelles, l'espérance de vie* y passera de 72,5 ans à 85 ans en 2030 pour les hommes*, et à 91 ans pour les femmes*. Dans le même temps, la natalité* continuera de s'y effondrer : elle est déjà de 10 pour mille, contre 26 en moyenne mondiale. La fécondité n'y est que de 1,3 enfant par femme, alors que le simple renouvellement exigerait 2,1. La population décroît puis reviendra, selon les tendances actuelles, à 73 millions d'habitants en 2025, avec une part sensiblement accrue des personnes âgées. Déjà, il y a autant d'Allemands de plus de 65 ans que de moins de 15 ans; il y en aura un tiers de plus en 2025...
Ces tendances auront de nombreuses conséquences négatives sur la société allemande.
Pour maintenir en 2030 le niveau actuel des retraites*, les cotisations des actifs devraient atteindre 30 % de leurs revenus ! Il faudra créer 120 000 places de plus dans les maisons de retraite, alors qu'à l'inverse, les trois quarts des crèches et des jardins d'enfants deviendront inutiles. Quant au chômage*, il se réduira de la pire des façons : faute de gens en âge de travailler.
Par ailleurs, en partie en raison de ce vieillissement, l'industrie* de l'Allemagne n'est plus sérieusement présente dans quelques-uns des principaux secteurs d'avenir : ni dans l'information, ni dans la génétique*, ni dans les nouvelles sources d'énergie*. Et même dans ses secteurs traditionnels comme la machine-outil, elle est gravement concurrencée, en prix et en qualité, par l'Europe du Sud et l'Asie de l'Est.
Enfin, elle n'est pas non plus une nation de services*, ni un pays de tourisme, et sa présence à l'étranger reste relativement modeste ; le niveau de l'enseignement supérieur et de la recherche s'y affaiblit.
Deux avenirs s'ouvrent ainsi pour elle :
• soit elle continue de vieillir à l'intérieur de l'Union européenne, en assumant un déclin financé par ses partenaires plus dynamiques. Les Lânder les plus riches (c'est-à-dire les plus jeunes) seront alors tentés de se désolidariser des plus pauvres (c'est-à-dire des plus vieux). La Bavière, par exemple, refusera de payer les retraites* de la Prusse, ce qui conduira à l'éclatement de la nation* ;
• soit elle se met en quête d'une population pour ses territoires – et non plus, comme il y a un demi-siècle, en quête de territoires pour sa population. Là encore, de deux choses l'une :
- ou elle s'ouvre à l'immigration et accorde un passeport* allemand aux étrangers qui viennent travailler. Cela supposerait un changement radical des attitudes culturelles. Pour compenser le déficit démographique actuel, il faudrait en effet que la part de la population étrangère naturalisée atteigne un tiers de la population globale, et la moitié de celle des villes*. Rien ne laisse penser que la culture allemande puisse s'y prêter ni qu'elle s'y prépare ;
- ou elle refuse à la fois son avenir européen et l'immigration, et tente de redevenir une puissance autonome en Europe centrale en récupérant les territoires où résident ceux qu'elle considère encore comme allemands. Dans ce scénario, les Polonais ayant pris un passeport allemand (en application de l'article 116 de la Constitution) pourront un jour, si la situation économique en Pologne le justifiait, voter de manière parfaitement démocratique le rattachement de leur région à l'Allemagne. Des Russes – d'origine allemande ou pas - pourront faire de même. Dans ces cas de figure, l'Allemagne approuverait le vote démocratique de telle ou telle région de l'Est demandant son rattachement. Une très forte instabilité politique en résulterait en Europe. Pour se préparer à défendre ces annexions « démocratiques », l'Allemagne renforcerait son armée et revendiquerait même le droit à l'arme nucléaire*.
Pour l'heure, aucune des grandes forces politiques allemandes ne caresse un tel projet, au moins explicitement. Mais, s'il devait surgir un jour, ni l'Alliance atlantique, ni l'Union européenne ne s'opposerait à ce qui paraîtrait alors aussi naturel que la décolonisation ou la disparition de l'Union soviétique. Seule la Russie* tenterait d'y mettre son veto. La guerre* en Europe redeviendrait alors possible : la vieille guerre, celle qui, depuis trois siècles, oppose les ambitions allemandes à l'alliance des ambitions franco-russes.
ALPHABÉTISATION
Le plus grand défi, le premier droit, le plus coûteux des investissements. Il restera impossible d'apprendre à lire à la totalité des habitants de la planète. Encore plus qu'aujourd'hui, ceux qui demeureront privés de ce savoir élémentaire seront exclus de la société, moins capables de s'y mouvoir, d'y trouver du travail*, de connaître et faire valoir leurs droits*.
Pourtant, l'alphabétisation du monde semble un des principaux succès de ces trente dernières années : de 1970 à 1995, la proportion d'analphabètes chez les adultes a baissé globalement de 57 % à 30 %, avec des succès particuliers en Asie* de l'Est, en Amérique latine* et dans le monde arabe.
Beaucoup reste à faire : d'abord parce que tous ces chiffres sont faux, gonflés par les gouvernements pourvoyeurs ou bénéficiaires de statistiques. (Les analphabètes sont au moins un milliard et demi aujourd'hui, et pour les deux tiers des femmes*.) Ensuite parce que leur nombre ne cessera d'augmenter. Il risque de doubler, dans les trente ans à venir, en Asie du Sud où la moitié des adultes ne savent pas lire, où le quart n'est jamais allé à l'école et où les trois autres quarts n'ont pas fini leurs études primaires. En outre, l'analphabétisme n'est propre ni au Sud, ni à ceux qui n'ont jamais fait d'études : 40 % des adultes américains censés avoir fait douze ans d'études sont incapables de lire un article du New York Times ou de déchiffrer et comprendre un itinéraire d'autobus.
L'alphabétisation est davantage encore un enjeu majeur pour l'avenir : la lecture sera la condition sine qua non de la lutte contre la criminalité*, le fanatisme et la surpopulation. Elle deviendra aussi la condition de l'emploi*, y compris même pour les métiers* les plus simples. Sans lecture, il ne pourra y avoir de participation à la vie sociale, économique, associative, ni à la vie démocratique*, ni même, de plus en plus, à la distraction* : car la société de l'image* sera aussi celle de l'écrit*.
Or, l'apprentissage de la lecture ne saurait être automatisé; en l'état prévisible des technologies, apprendre à lire et à utiliser la lecture occupera toujours plusieurs années de l'enfance*. Aussi l'alphabétisation consommera-t-elle une part croissante des ressources de la planète : d'après un calcul sommaire, pour seulement maintenir le niveau actuel d'alphabétisation, il faudrait enseigner la lecture à 20 milliards d'individus d'ici l'an 2050 ; et, pour ce faire, soit tripler le nombre des enseignants et les dépenses d'alphabétisation (de 0,5 à 1,5 trillion de dollars), soit révolutionner la place des femmes* dans les sociétés les plus pauvres pour leur confier cette responsabilité sans rémunération. Aucun grand pays du Sud*, aucune institution internationale* ne s'est encore sérieusement préparée à assumer l'ampleur de cette tâche. Le succès ou l'échec en ce domaine déterminera pourtant très largement le caractère pacifique ou violent des prochaines décennies.
AMBITION
Être heureux, riche, aimé, reconnu, puissant, amoureux, utile, laisser une trace, ne pas souffrir : telles resteront les ambitions de la plupart. On inventera en revanche de nouvelles façons de les satisfaire - dans le virtuel, au moins.
AMÉRIQUE LATINE
Un continent en fort développement, organisé en un marché commun puissant, le Mercosur*, tentera, comme l'Europe*, de se doter d'une monnaie* commune et de construire son autonomie politique vis-à-vis des États-Unis*. Si les hypothèses les plus optimistes se confirment, le revenu moyen par habitant y doublera dans les quarante prochaines années, comme la population.
Plus nord-américaine économiquement, plus européenne culturellement, l'Amérique latine renforcera en priorité ses liens avec l'Asie*. Le Brésil*, avec plus de 200 millions d'habitants, sera la nation dominante.
D'immenses réformes seront encore nécessaires pour stabiliser les institutions de la démocratie* et du marché*. Si l'on n'y remédie pas, l'absence de réseau* routier freinera le décollage du marché intérieur, l'inégalité* pourra provoquer de nouvelles révoltes* et remettre en cause des démocraties fragiles. C'est en effet la seule région du monde, avec l'Afrique* subsaharienne, où la pauvreté* a augmenté depuis vingt ans. Dans quarante ans, sauf mutation politique radicale, le tiers de la population vivra encore au-dessous du seuil de pauvreté.
La drogue* restera un facteur économique et politique majeur, qui pourra corrompre toutes les institutions, à moins qu'aux États-Unis la prohibition ne soit levée.
Si le Mercosur ne réussit pas, on reverra des militaires au pouvoir et des migrations accélérées ramèneront les populations vers les côtes et vers le Nord*.
AMOUR
Premier sujet de conversation; dernier objet de consommation*. Première folie de l'homme ; ultime garde-fou de l'humanité.
ANGLAIS
Jusqu'au premier tiers du siècle, la première langue du commerce, de la culture, de la diplomatie, du Net et des médias ; la deuxième langue parlée ; la quatrième langue maternelle. Il se diversifiera en idiomes autonomes selon les continents où il est utilisé. Plus tard, les diverses formes du chinois tendront à le concurrencer comme langue du commerce. Un peu plus tard encore, les translateurs*, machines à traduire automatiques, réduiront son rôle dans les médias et la culture.
ANIMAL
Trois tendances contradictoires seront à l'œuvre : selon l'une, l'animal est un compagnon de l'homme, un être vivant à respecter ; selon l'autre, il est nourriture; selon la troisième, il est cause ou véhicule des plus graves maladies* du siècle (sida*, Creutzfeld-Jakob, Ebola, grippe). Il disparaîtra de l'alimentation et on se souviendra de sa consommation comme de la manifestation barbare d'une civilisation* primitive.
ANTARCTIQUE
Le septième continent deviendra lieu de tourisme*, espace protégé, réserve d'eau* potable.
APPRENDRE
On apprendra du savoir-apprendre, des méthodes pour créer, éprouver, pressentir. Par l'expérience* plus que par la théorie, par la mémoire* et l'intuition* plus que par la logique. Plus tard, sous hypnose. Plus tard encore, en branchant directement sources de connaissances et banques de données sur le cerveau* dès lors qu'on connaîtra beaucoup mieux son fonctionnement.
APTIQUE
Sensation virtuelle du toucher*, essentielle à l'usage du virtuel* en chirurgie*, dans le design, les jeux*. À long terme, condition de la création de personnages virtuels en trois dimensions, doués de la parole et du toucher, d'une certaine intelligence et d'une incontestable élégance, présents dans le quotidien de la seconde partie du siècle et qui en changeront la nature intime – les clonimages*.
ARABIE SAOUDITE
Contrôle le dixième des réserves de pétrole du monde, peut-être moins si les chiffres officiels (258 milliards de barils) sont surestimés. Sa part relative dans la production mondiale va d'abord augmenter, puis décroître. Pour des raisons purement politiques, elle pourrait en effet décider un jour de réduire la quantité du pétrole qu'elle livre afin d'augmenter ses prix, entraînant une hausse que les compagnies pétrolières américaines et européennes entérineraient.
ARCHITECTURE
L'art de construire sera profondément modifié par la possibilité de visualiser, voire de visiter virtuellement les bâtiments avant de les réaliser. Chacun pourra choisir sa maison ou son appartement par la visite, l'assemblage, la modification de modèles virtuels. On ira vers une architecture sur mesure, une architecture « Lego* ». Après la déconstruction des styles, on assistera à leur reconstruction en assemblages infiniment renouvelés de fragments issus de diverses esthétiques, de multiples écoles. Le style sera art du mélange. Pour rendre vivables les grandes métropoles de dix à vingt millions d'habitants, il faudra créer de nouveaux bâtiments de haute taille, à coût très bas, en partie en sous-sol. De nouveaux matériaux rendront possible une architecture recyclable. La technologie des ascenseurs sera déterminante. On ne concevra plus l'architecture sans l'urbanisme* : plus un immeuble sans lieux de vie et de loisirs.
ARMÉES
Elles devront affronter les nouvelles formes de conflits*, assurer des missions de propagande, d'alerte humanitaire, de médiation, de surveillance d'accords de désarmement et de non-prolifération, de contre-terrorisme, d'espionnage, de dissuasion, de simulation*, de piratage*, de guerre* éclair. Elles seront professionnelles, capables d'actions dites chirurgicales, et disposeront de réseaux* d'information* impliquant jusqu'au simple soldat. Le principe hiérarchique qui les fonde depuis l'origine sera remis en cause par leur transformation en réseaux. Elles devront recruter des journalistes, des spécialistes du Net*, des généticiens, des psychanalystes, etc. Elles seront donc à la fois de plus en plus civiles par leurs techniques, et moins intégrées à la nation* par leur professionnalisme. Pour écarter les risques de constitution d'une armée prétorienne, certains pays parmi les plus riches reviendront au service militaire obligatoire pour tous les citoyens*.
Des entités non étatiques - entreprises*, ONG*, organisations criminelles - se doteront d'armées privées pour se protéger ou pour agir, en particulier dans les zones où il n'existera plus d'Etat de droit.
ARMEMENT
L'industrie de l'armement utilisera les mêmes matériaux* et les mêmes technologies que l'industrie civile. En particulier, les systèmes de guidage par satellite* et les matériaux nouveaux bouleverseront les performances et la précision des armes. On développera des robots* guerriers télécommandés, des lasers aveuglants, des vecteurs furtifs, des réseaux* d'observation.
La part des dépenses d'armement tombera à une moyenne de 2 % du PIB, niveau qu'elle atteignait au XIXe siècle et jusqu'en 1940. Ainsi se refermera la parenthèse de la guerre froide. Les États-Unis*, qui contrôlent la moitié du marché mondial des ventes d'armes, se concentreront sur trois entreprises : Boeing, Lockheed, Raythom, qui auront du mal à maintenir leurs parts sur un marché mondial en récession. Beaucoup plus de pays qu'aujourd'hui seront capables de produire avions, hélicoptères ou missiles tactiques.
Les armes nucléaires* deviendront plus précises, mobiles, miniaturisées. Elles resteront l'arme absolue aux mains des cinq grandes puissances. Leurs sous-marins nucléaires seront dotés d'une autonomie de plongée de plusieurs années. Mais des dizaines d'autres pays, s'ils se décidaient, pourraient en disposer aussi en quelques mois. Les Cinq ne perdront de leur puissance dissuasive que si les progrès accomplis en acoustique et en océanographie permettent de détecter les sous-marins et s'il devient possible d'installer dans l'espace des batteries de missiles antimissiles ou de lasers assez performantes pour éliminer l'intégralité d'une salve de plusieurs milliers d'ogives nucléaires convergeant sur une ville*. Ce qui ne pourra être réalisé au plus tôt avant plusieurs décennies.
Les armements chimiques, radiologiques, biologiques et bactériologiques, officiellement interdits, seront disponibles. Les techniques nécessaires pour les obtenir, proches des techniques civiles, seront impossibles à prohiber ou à détecter. De nombreux pays, là encore, se rendront capables d'en disposer en l'espace de quelques jours, tout en s'interdisant de les fabriquer vraiment, sauf si quelque voisin vient à violer l'interdit universel. Dès que l'un en aura, tous en auront.
D'autres armes, d'un type radicalement nouveau, verront le jour par détournement de progrès scientifiques. Par exemple, une meilleure connaissance des lois du climat* permettra de modifier celui de l'ennemi ; les progrès de la génétique* permettront de greffer le virus du choléra ou du sida* sur celui de la grippe pour le disséminer de façon subreptice.
ART
Il restera subversion individuelle et imprévisible, regard solitaire porté sur le monde. L'artiste restera un nomade*, un exilé de l'intérieur. Il empruntera des routes inconnues, utilisera des technologies neuves, mais toujours aux mêmes fins : émouvoir, élever, donner à voir, à entendre, à toucher, à sentir, à goûter le monde autrement que d'autres l'ont fait avant lui.
Les formes classiques d'expression (peinture*, sculpture*, musique*, littérature*, théâtre*, cinéma*) mêleront cultures* et techniques en des rencontres jusqu'ici improbables : métissage de bruits, enchevêtrement de couleurs, percolation de matériaux*, etc. L'art « sur mesure », artisanat de matériaux choisis et de compositions personnalisées, sera recherché; l'art du portrait connaîtra une nouvelle demande.
A côté d'eux, un huitième art surgira et se développera, celui de la virtualité* qui ouvrira à des sensations radicalement neuves : il sera non seulement possible d'inventer un nouveau regard sur le monde, mais de créer des mondes où le spectateur deviendra voyageur à l'intérieur de l'univers de l'artiste.
Au-delà même de la virtualité, d'utopie* rêvée, l'art deviendra utopie vécue. Une nouvelle esthétique* apparaîtra : faire de sa propre vie une œuvre d'art. Le droit* à l'art de se créer deviendra un droit de l'homme. On ne rêvera plus seulement d'immortalité* par l'illusoire accumulation d'oeuvres d'art émanant d'autrui, mais certains, de plus en plus nombreux, affronteront la mort* par le façonnage artistique de leur vie, la création continue d'eux-mêmes.
ASEAN
Possible institution d'un rassemblement supranational des pays de l'Asie de l'Est, loin dans le siècle, quand leurs rivalités millénaires se seront dissoutes, après bien des guerres et des armistices, des tentations impériales et des ruines.
ASIE
Représentera plus de la moitié de la population et de la production de la planète. On y trouvera les plus grandes villes*, les premiers centres financiers, les premières puissances économiques. Trois monnaies* au moins – le yen, le yuan et la roupie – figureront parmi les premières du monde. Ce sera un lieu d'innovations technologiques majeures, d'invention de nombreux produits de haute technologie. Les cultures asiatiques, qu'on apprendra enfin en Occident* à distinguer les unes des autres, exerceront une influence croissante sur le reste du monde : leurs pharmacopées seront sources de médicaments* ; leurs arts*, leurs cuisines, leurs musiques* seront intégrés à la panoplie des éléments culturels mis à la disposition des peuples du monde entier. Leurs médias*, leurs esthétiques*, leurs goûts*, leurs modes, leurs produits et leurs marques* influenceront désormais la planète.
À côté de ces atouts et de ces succès, l'Asie souffrira, dans certaines régions, de maux difficiles à surmonter : le vieillissement, la corruption, la bureaucratie, le népotisme, le gaspillage, la pollution*. De surcroît, le continent restera longtemps encore divisé politiquement. Aucune nation* n'acceptera qu'une autre en arbitre les disputes. Les rivalités se creuseront entre la Chine*, le Japon*, la Corée, l'Indonésie*, la Malaisie, les Philippines et le Viêt-nam, puis avec l'Inde*, la Thaïlande, le Pakistan, la Russie* et l'Asie centrale*, enjeu stratégique majeur. Les contentieux territoriaux se multiplieront, comme le montrent déjà les disputes sur la propriété des îles Spratly, sur le Cachemire ou les réserves pétrolières de la Caspienne. Ils entraîneront des conflits militaires sérieux, à l'image de ceux que l'Europe* a connus au xxe siècle, et pour des raisons analogues. À cela s'ajouteront les problèmes démographiques de la Chine*, du Bangladesh et de l'Indonésie*, qui se traduiront par d'amples migrations humaines et par des affrontements sanglants. Peut-être même par des guerres si la Chine vient à envahir la Sibérie*.
L'Asie sera donc très largement occupée, au cours de ce siècle, à gérer ses problèmes internes. De ce fait, les prévisions annonçant sa prochaine domination sur le monde et son alliance avec l'Islam* contre l'Occident* sont aussi sérieuses que celles qui, en 1965 encore, annonçaient l'imminente victoire économique de l'Union soviétique sur l'Occident* et l'arrivée de ses chars place de la Concorde.
L'Asie ne pourra surmonter ses difficultés par la seule force de l'économie. Il faudra que chaque pays du continent se dote d'institutions démocratiques et financières ouvertes, universalistes, fondées sur le contrat et la transparence. On peut alors imaginer une évolution idéale où les clans laisseraient place aux partis en politique* et aux actionnaires en finance; où les médias cesseraient d'être aux mains de quelques familles; où une protection sociale moderne serait mise en œuvre ; où une réglementation protectrice de l'environnement serait appliquée ; où la pauvreté* serait réduite; où l'on instituerait un mécanisme de stabilisation des taux de change entre les principales monnaies – ou, mieux, où l'on créerait une monnaie commune; où serait créé un mécanisme de concertation politique (à l'image du Conseil européen) et où une institution, comme l'OSCE en Europe, réglerait les disputes territoriales avant qu'elles ne dégénèrent militairement.
Quoi qu'il arrive, la part de l'Asie dans la population mondiale, passée de 50 % en 1950 à 60 % en 1990, atteindra 70 % en 2050, soit exactement le pourcentage qu'elle atteignait en 1650... quand commença la croissance de l'Europe* et de l'Amérique du Nord.
Si elle parvient à vaincre ses propres difficultés, l'Asie représentera, en 2025, 60 % du PIB mondial. À la toute fin du XXIe siècle, elle sera redevenue la superpuissance qu'elle était au XVIIe siècle. Si sa puissance est ainsi restaurée, elle ne constituera pas pour autant une menace pour le reste du monde : ni l'économie ni la géopolitique ne sont des jeux à somme nulle. Le développement de l'Asie entraînera celui des pays qui sauront produire pour les consommateurs d'Asie, ouvrir leurs marchés et leurs cultures aux idées, aux valeurs et aux arts venus d'Orient.
ASSOCIATION
On verra se développer, hors des partis et des syndicats, des groupes de défense d'intérêts catégoriels, précaires et provisoires, autour d'une cause passagère, dont le pouvoir sera assez fort pour contraindre les politiques à la négociation, avant de disparaître. On ira ainsi vers une démocratie* en mouvement où les associations seront analogues à des troupes de théâtre* constituées pour donner une pièce pendant un certain nombre de représentations, puis se dispersant. Associations de consommateurs, de malades, de travailleurs*, de citoyens*, elles incarneront des stratégies collectives de défense d'intérêts individuels, canalisant les décisions politiques vers l'amélioration du bien-être de ceux qui auront été capables de se grouper et de se défendre, c'est-à-dire pour l'essentiel les classes aisées du Nord. Elles favoriseront donc la recherche d'un traitement du sida plutôt que celle du vaccin*, les greffes plutôt qu'une généralisation de la Sécurité sociale, l'enseignement supérieur plutôt que la lutte pour l'alphabétisation*, la pureté des aliments plutôt que celle de l'air, etc.
ASSURANCE
Il n'existera pas assez de ressources financières pour se prémunir contre toutes les menaces. Il faudra donc choisir les risques* contre lesquels s'assurer en priorité. D'abord parce qu'il n'y aura aucun moyen d'empêcher certains dommages inévitables, irréversibles ou imprévisibles. Ensuite parce que, l'économie se concentrant de plus en plus, le coût de certaines catastrophes* sera de plus en plus élevé. Enfin parce qu'il n'existera pas assez de ressources pour indemniser toutes les victimes : en évaluant l'ensemble des vies humaines à la valeur moyenne qu'accordent les assurances à celle des habitants du Nord*, le capital industriel et humain de la planète représente déjà au moins 200 trillions de dollars, soit vingt fois le montant des ressources disponibles pour couvrir tous les risques. Autrement dit, 5 % au plus de la valeur de la planète sont assurés. Avec le progrès des technologies et des compétences, et du fait de la rareté croissante de certaines ressources, la valeur de ce capital planétaire augmentera beaucoup plus rapidement que ne croîtra la masse des ressources disponibles pour le couvrir. Aussi les États*, les entreprises* et les particuliers seront-ils à proprement parler de plus en plus à découvert...
On peut imaginer deux façons de gérer cette situation :
• dans les civilisations* qui privilégieront l'efficacité et les droits individuels (au premier rang, la société américaine), la responsabilité privée restera le fondement des relations sociales. Les risques seront supportés en priorité par les individus qui pourront s'assurer contre chacun de ces risques à un prix que fixera le marché*. Par exemple, chaque malade couvrira, s'il en a le désir et les moyens, les primes d'assurance pour ses soins de santé* ; chacun assurera sa propre retraite* ; chaque travailleur paiera une assurance chômage et une assurance formation (qui lui garantira une formation en l'absence de travail) ; chaque fumeur se couvrira contre les risques du tabac* ; chaque piéton financera celui de traverser la rue ; chaque consommateur fera de même avec les risques inhérents aux produits qu'il consommera ; chaque passager d'un avion choisira entre courir le risque de l'accident sans couvrir sa famille contre le risque de son décès, ou payer plus cher son trajet; chacun décidera de s'assurer ou non contre le risque d'être victime d'un accident nucléaire, d'une pollution* de l'air*, de mettre au monde un enfant victime d'une malformation génétique, etc. À la limite, chacun décidera, dans la mesure de ses moyens financiers et de son aversion pour le risque, de s'assurer ou non contre les conséquences de toute décision émanant de soi-même ou d'autrui et de tout fait du hasard. L'assurance ne sera alors plus qu'un bien individuel, un élément du patrimoine privé réservé à ceux qui disposeront de capacités d'épargne et décideront librement d'en faire cet usage. Dans certains cas rares, l'État* pourra obliger les citoyens à s'assurer, par exemple contre le chômage* ou la maladie* ;
• à l'inverse, les civilisations qui privilégieront la solidarité sur l'efficacité, la survie collective sur la survie individuelle (telles les sociétés asiatiques et européennes), resteront soucieuses de se protéger collectivement contre tous les risques, même les moins probables. On sera tenu de partager entre tous les citoyens* le coût d'une assurance contre toutes les maladies possibles, fût-ce au prix d'une hausse massive des prélèvements obligatoires. Pour réduire les coûts, on mettra en place des normes préventives collectives. On préviendra les accidents du travail* ; on interdira le tabac* et l'alcool; on limitera les mouvements des pétroliers près des côtes; on ne mettra pas un avion en service sans être sûr qu'il est exempt de toute fragilité, même la moins probable; on n'ouvrira pas une autoroute, même au soleil, sans placer des chasse-neige à bonne distance; on ne laissera pas une entreprise produire des déchets*, même très indirectement, sans s'assurer qu'elle pourra prendre à sa charge le coût total de leur élimination. Naturellement, il existera des voies moyennes; certaines assurances seront collectives et obligatoires, et d'autres, individuelles et facultatives. Une civilisation individualiste laissera se creuser les inégalités* au nom de la liberté; une civilisation solidaire alourdira les impôts au nom de la solidarité. Dans les deux cas, la croissance du coût des risques conduira à l'obligation de s'assurer pour éviter la faillite individuelle ou collective, et donc à y consacrer des ressources privées ou publiques de plus en plus considérables.
Pendant les premières décennies du XXIe siècle, la loi du marché* l'emportera sur celle de l'assurance collective. Cela ne sera pas sans de très lourdes conséquences pour les assurés aussi bien que pour les assureurs : le contrat individuel l'emportera sur le contrat collectif, l'assurance sur la protection sociale, le contrat sur la Loi*. Comme les travailleurs nomades*, rattachés à aucune entreprise, les salariés devront de plus en plus couvrir eux-mêmes leurs risques. Le contentieux revêtira d'énormes proportions : quiconque courra un risque dans le contexte d'une activité marchande se retournera contre celui qui pourra être tenu pour responsable de l'occurrence de ce risque. Par exemple, une entreprise automobile* qui devra s'assurer contre le risque que représente le coût de gestion des futures épaves que deviendront ses produits reportera la responsabilité de ces dommages sur la personne ou l'entreprise qui aura pris la responsabilité de produire tel composant non biodégradable, si elle peut être identifiée. Chef d'entreprise, cadre, ingénieur, contremaître, maire, haut fonctionnaire, avocat, journaliste, publicitaire, médecin, éditeur..., bref, toute personne en situation de décider ou de faire connaître sera tenue pour responsable des actes accomplis dans le cadre du travail collectif qu'elle aura dirigé. Responsable même si elle n'est pas coupable, elle devra alors s'assurer contre les conséquences éventuelles de ses actes sur ses subordonnés ou ses clients (et, inversement, contre les conséquences pour elle des actes de ses supérieurs ou de ses fournisseurs). Et pas seulement contre les conséquences de décisions économiques ou technologiques : toute action, même subjective, liée, même de façon très lointaine, à l'acte de produire, sera mise à la charge de l'entreprise et de ses acteurs, qui devront s'assurer. Par exemple, chacun dans l'entreprise devra s'assurer contre le risque d'être victime de harcèlement sexuel, mais aussi contre le risque d'en être considéré comme l'auteur responsable.
L'essentiel des cash flow des grandes sociétés, comme des revenus des individus, se gagnera ou se perdra en fonction de leur aptitude à se couvrir, au mieux et à moindre coût, contre ces risques multiples et complexes. La sophistication de ces marchés fera de l'assurance le premier lieu du profit. Les fonds de pension, mieux à même que les banques* de connaître et d'évaluer la valeur humaine, financière, sociale et technologique des entreprises, de suivre les carrières des individus de la façon la plus intime, et d'analyser la qualité des investissements, deviendront les acteurs essentiels de la stratégie industrielle, ainsi que des lieux de pouvoir exceptionnels. Gestionnaires de ressources très supérieures à celles que contrôlent les banques, ils deviendront les banquiers d'affaires de demain.
Mais les mécanismes du marché* ne seront pas durablement suffisants pour assurer l'essentiel des risques. La planète aura tôt fait de courir trop de risques collectifs – risques de s'asphyxier, de faire faillite, etc. - pour que l'individualisme* suffise à gérer le futur. Le coût du risque deviendra en tout cas trop élevé pour les individus. Dans un univers économiquement et politiquement de plus en plus interdépendant, connecté, globalisé, le moindre incident survenu en un lieu quelconque aura des conséquences aux multiples ramifications. La mondialisation* de l'économie entraînera celle des risques. Et donc celle des primes. Il faudra alors concevoir de nouvelles solidarités*, créer de nouvelles institutions publiques de réassurance, répartir les ressources rares, inventer de nouvelles sources de financement, mettre en place de nouvelles taxes mondiales pour couvrir de tels besoins. De cette collectivisation des risques à l'échelle des continents, puis du monde, naîtra peut-être une prise de conscience de l'unité de l'humanité.
ASTROLOGIE
Cette antique forme de prévision restera très prisée, d'autant plus qu'elle aura été transformée par les technologies de l'information*. On voyagera virtuellement dans la carte du Ciel, on mêlera les multiples formes et traditions de la divination en des pratiques et des procédures métisses qui deviendront omniprésentes dans la vie quotidienne grâce à la simulation* qui permettra de vivre virtuellement à l'avance des situations pour en mesurer les risques. On combinera l'astrologie avec la médecine et surtout avec la génétique, l'une et l'autre étant mémoires d'avenir.
ATP
Adénosine triphosphate. Unité élémentaire d'énergie* de la biologie, équivalent généralisé du vivant, bioétalon absolu.
AUTOGESTION
Forme d'organisation d'entreprise possédée par des travailleurs louant un capital. De plus en plus développée dans l'hyperclasse* par le partenariat*, et chez les plus pauvres par le microcrédit*. Seule la classe moyenne continuera de croire, un temps, que son salut réside encore dans un salariat en voie de disparition.
AUTOMOBILE
Elle restera, pendant au moins le premier demi-siècle, le principal moyen de transport individuel. Jusqu'à être progressivement transformée de fond en comble, ou, si cette transformation échoue, interdite en ville.
Les besoins mondiaux en moyens de transport individuels augmenteront avec l'urbanisation et la croissance du niveau de vie. La production actuelle de véhicules, de l'ordre de trente millions par an, pourrait rapidement doubler. Il y aura alors plus d'un milliard de véhicules en service, contre six cent cinquante millions à la fin de ce siècle. Les principaux marchés se situeront en Asie*, en particulier en Chine* où l'on pourrait même compter un jour jusqu'à un demi-milliard de véhicules si l'usage en devenait aussi fréquent qu'aux États-Unis*.
En l'état actuel des technologies, une telle croissance aurait des effets désastreux sur la qualité de l'air, réduirait les terres agricoles disponibles et provoquerait des chaos urbains.
Si l'on ne parvient pas à réduire l'encombrement* et la pollution*, la plupart des grands pays d'Europe*, d'Amérique* et d'Asie se verront contraints d'interdire l'usage en ville des véhicules.
Pour atteindre le premier objectif, les véhicules intégreront des systèmes d'aide à la navigation*. Chaque véhicule, guidé par satellite*, équipé de radar anticollision et de détecteurs d'erreurs pour s'adapter aux facultés propres à chaque conducteur, connaîtra en permanence les embouteillages à éviter, les itinéraires à suivre. La vitesse sera strictement limitée, selon la nature du trafic, à des niveaux beaucoup plus bas qu'aujourd'hui. Pour limiter le nombre de véhicules, on vendra les plaques minéralogiques aux enchères (comme à Singapour), on installera des péages* virtuels à l'entrée des villes, une puce électronique enregistrant les trajets et débitant un compte bancaire. Des véhicules urbains seront la propriété collective des habitants qui les laisseront à d'autres après usage.
Pour réduire la pollution*, il faudra diminuer au moins de moitié les émissions de gaz carbonique. Pour cela, il sera indispensable de modifier ou remplacer les moteurs existants. L'électronique permettra de réduire significativement les émissions des moteurs à explosion. Les moteurs électriques, en revanche, seront beaucoup plus difficiles à mettre au point. Peut-être même ne le seront-ils jamais. Vers 2030 apparaîtront les premiers véhicules à pile à hydrogène sous haute pression. Ils seront généralisés si l'on parvient à organiser le stockage de l'hydrogène gazeux dans des nanofibres, en suffisance pour donner cinq cents kilomètres d'autonomie. On utilisera aussi des moteurs hybrides, produisant de l'hydrogène en continu dans le véhicule par électrolyse à partir du pétrole. Par ailleurs, les véhicules seront faits de matériaux* plus légers, moins consommateurs d'énergie et biodégradables.
Les firmes automobiles ne seront plus que des gestionnaires de marques*, confiant à des assembleurs le soin de réunir des modules fabriqués par des sous-traitants spécialisés (l'avant, les portes, le moteur, le tableau de bord, etc.).
Ces progrès devraient favoriser un redémarrage de l'industrie. S'ils n'étaient pas au rendez-vous, force serait d'interdire à terme la circulation des automobiles dans toutes les agglomérations du monde. Une telle décision bouleverserait tous les rapports à la ville* et au transport*, favorisant le développement du travail* à distance et de l'économie de l'information*.
AVIATION
La demande se développera malgré l'encombrement* du ciel et des aéroports. Il faudra construire des avions plus grands - jusqu'à mille places - afin d'augmenter le nombre de voyageurs sans encombrer davantage le ciel. Le premier accident d'un tel appareil géant aura un impact psychologique considérable mais ne changera rien à la demande de ce type d'aéronefs nécessaires au développement du tourisme*. Le kérosène restera l'énergie utilisée. Tout voyageur aura accès aux distractions*, au commerce* virtuel, à la télévision* en direct. Les compagnies aériennes ne seront plus liées à un drapeau, mais purement privées ; de plus en plus concentrées, elles rachèteront des aéroports et des sociétés de services dans les aéroports, et multiplieront les connexions avec le système ferroviaire. D'autres constructeurs que Boeing et Airbus viendront élargir l'offre, au moins pour les avions de capacité moyenne.