C
CAMPAGNE
Résidence de luxe de l'hyperclasse* nomade*, lieu privilégié du cocooning*. Un ample mouvement y ramènera une part de plus en plus importante des populations urbaines. Des villages seront réanimés. Des services nouveaux y surgiront. Une nouvelle organisation du travail*, une nouvelle architecture* s'y inventeront.
Ceux des centres urbains qui auront su le mieux préserver leur proximité avec une zone rurale seront recherchés et resteront, de ce fait, les principaux centres financiers et culturels. Pour conserver leur rang, les autres devront développer des réseaux* de transport* rapide à destination de la campagne, par-delà leurs banlieues.
CANADA
Laboratoire de l'utopie. Son avenir dépendra grandement de celui du Québec. Si celui-ci demande et obtient son indépendance, les Provinces de l'Ouest chercheront à rejoindre les États-Unis et le Canada en tant que tel disparaîtra. Dans l'autre hypothèse, le Canada, formidable terre d'accueil, constituera un des premiers exemples réussis de société multiculturelle et de démocratie* sans frontières où chacun sera simultanément membre de plusieurs collectivités autrefois mutuellement exclusives.
CANCER
Principale cause de mortalité, en particulier dans les pays où l'espérance de vie s'élève. Frappant 250 000 personnes par an en France, il en tuera 150 000. Il fera progressivement figure de maladie chronique. Il deviendra alors possible de traiter ses diverses formes par la combinaison de l'immunothérapie et de la thérapie génique. En particulier, la découverte des processus d'action de la télomérase, enzyme qui assure la protection de la division cellulaire, pourrait ouvrir une voie majeure à la thérapie génique des cancers. Peut-être même un jour à la fabrication d'un vaccin.
CANNIBALISME
Du cannibalisme primitif – l'homme* mange la chair de l'homme -, on s'oriente vers un cannibalisme des objets* où l'homme consommera son image sous la forme d'objets vivants. L'Histoire* aura fonctionné comme une machine à traduire les êtres humains en artefacts à consommer par des hommes devenus eux-mêmes des artefacts. On aura alors plutôt affaire, en définitive, à un cannibalisme d'artefacts.
CAPITAL
Un des grands invariants du siècle prochain, même si d'autres sources de pouvoir* viennent à apparaître. Aujourd'hui, ceux qui contrôlent le capital s'en servent pour contrôler l'information* ; demain, ceux qui contrôleront l'information s'en serviront pour contrôler le capital.
CAPITALISME
En l'absence d'un système économique et social concurrent, le capitalisme pourra continuer d'ignorer ses insuffisances intrinsèques. De plus en plus confondu avec le marché*, il ne prétendra plus servir des valeurs éthiques, mais seulement satisfaire au mieux les préférences individuelles immédiates des agents opérant sur le marché, en particulier assurer la rentabilité du capital. Il s'étendra ouvertement et légalement à toute la planète et à des secteurs aujourd'hui en général publics ou gratuits : santé*, éducation*, justice*, citoyenneté*, sexualité*. Il entrera de plus en plus en contradiction avec les exigences de la démocratie* et avec celles de l'information*.
Les détenteurs du savoir seront de plus en plus en concurrence avec ceux du capital. Ils aspireront à installer une forme différente d'organisation des échanges du jour où l'échange essentiel sera devenu celui de savoir et surtout de sens. Cette exigence pourrait déboucher sur une économie de la Fraternité*.
CARNAVAL
Rituel du déguisement, forme immémoriale de création d'un autre soi, virtuel et consommable, choisi librement pour se tolérer. Il sera de plus en plus réclamé, marchandisé, industrialisé.
Depuis l'aube des siècles, se maquiller, se grimer, se déguiser, s'inventer un physique, un nom, un passé, une histoire, ont été autant de ruses que l'homme a employées pour oublier qu'il était pauvre, malheureux, dominé, et se donner l'illusion d'être un autre.
Dans un premier temps, on pourra se choisir un nom, un visage, une voix, une personnalité pour dialoguer sur le Net en tant que voyageur masqué d'univers virtuels, carnaval des hypermondes*. Puis on s'inventera une image virtuelle en trois dimensions, un clonimage* de soi retouché, rajeuni. Plus tard, reléguant la chirurgie plastique, la génétique permettra de se choisir un double à la fois différent et semblable, ouvrant ainsi la voie aux voyages ou aux dérivés les plus extrêmes. Le clonage* humain sera la forme ultime du carnaval : on pourra être pris pour soi sans l'être tout en l'étant.
CATASTROPHES
Elles seront à la dimension du siècle : monstrueuses. On ne peut exclure qu'elles affectent plusieurs millions, voire plusieurs dizaines de millions d'hommes. La liste est longue des désastres possibles : une guerre* nucléaire, biologique ou chimique ; un tremblement de terre sous une mégalopole ; un accident industriel polluant une agglomération ; un avion* de mille places tombant sur une centrale nucléaire*, etc. D'autres, liées aux mutations du climat* : la disparition des forêts* tropicales ; de violentes tempêtes ravageant l'Inde* ou le sud des États-Unis* ; le désert atteignant le sud de l'Espagne et la Sicile ; la disparition du delta du Nil ; l'engloutissement de l'archipel des Maldives ; le Bangladesh inondé ; la fonte des glaces arctiques, etc. D'autres, aux causes extraterrestres : chute d'une météorite*. D'autres encore...
CERVEAU
Enjeu majeur de la recherche médicale, grand marché pour les technologies de l'information.
Constitué d'un ensemble de mémoires interconnectées dont chaque aspect (langage, compréhension, parole, souvenir, conscience de soi, calcul...) est localisé dans une zone spécifique mais où deux aspects d'une même activité peuvent en revanche être très éloignés. Un « cerveau flou » gère les expériences et les émotions à côté d'un « cerveau câblé » qui gère le rationnel. Cent milliards de cellules, chacune connectée à dix mille autres par des neurones qui, stimulés, engendrent des influx nerveux qui engendrent à leur tour des médiateurs chimiques, lesquels traversent l'espace intercellulaire pour rejoindre d'autres neurones.
On comprendra un jour toute la biologie de l'esprit. On décrira l'intellect comme une réalité virtuelle, une pensée hors les mots. L'entraînement mental pourra avoir un impact sur la force musculaire en activant les circuits moteurs centraux. On pourra « lire dans les pensées », en tout cas savoir si quelqu'un, à un moment donné, a une activité mentale, et sans doute trouver à quel objet de mémoire* il se réfère. Cela ouvrira des perspectives jugées aujourd'hui folles, tel le branchement direct de l'ordinateur* sur le cerveau, et donc, dans la pratique, l'équivalent de la télépathie*. On pourrait même imaginer qu'un jour on comprendra suffisamment les processus de la conscience de soi pour être à même de transférer la mémoire d'un cerveau à un autre et d'accéder ainsi à une véritable éternité de l'esprit.
CHARBON
Première source d'énergie*, dont les réserves sont établies pour près d'un siècle. La plus polluante et la moins chère, parce que subventionnée pour protéger des emplois*. Son usage devrait croître au rythme de 2 % par an, jusqu'à représenter encore un quart de la consommation d'énergie en 2025.
Il faudrait en réduire massivement l'usage, en particulier en Chine*, afin de protéger l'atmosphère, freiner l'« effet de serre » et ne pas aggraver les désordres du climat*.
On ne pourra diminuer cet usage sans développer celui de l'électricité nucléaire*, ce qui semble peu vraisemblable en raison des dangers résultant de ses propres déchets*.
CHAT
Lointain descendant des dinosaures, héritier direct des petits mammifères qui rampaient sous terre pour échapper aux prédateurs géants, il pratique chaque jour la multiappartenance, à la fois sphinx miniature et monstre résigné. Sa vision nocturne, ses griffes rétractiles, ses vibrisses, ses oreilles-radars, ses dix-huit heures quotidiennes de sommeil, sa longue mémoire sont des armes et des protections inutiles contre un agresseur qui n'existe plus. Mais elles retrouveront peut-être un jour leur utilité lorsqu'on en aura repéré les dimensions génétiques et qu'on rêvera de les transmettre à d'autres espèces.
CHIMÈRES
La génétique* permettra de greffer des cellules d'une espèce sur une autre, d'abord végétale, puis animale. Elle permet déjà de faire éjaculer par un mâle, au cours d'une relation sexuelle avec une femelle de même espèce, le sperme d'une autre espèce. Des chercheurs de Philadelphie travaillent sur la production de souris dotées de spermatozoïdes de taureau. Cette technique permet d'imaginer à très long terme des croisements – jusqu'ici jugés a priori impossibles – entre espèces animales différentes, et autorisera peut-être un jour la naissance d'un descendant génétique de l'espèce d'une femelle à partir d'une relation sexuelle avec un mâle d'une autre espèce.
À l'extrême, on verra se dessiner le projet de mêler homme et animal en vies-outils adaptées aux exigences technologiques, capables de travailler dans des milieux particuliers, de ramper, d'évoluer dans le feu ou les radiations, voire dans l'espace. Et on s'en glorifiera : l'homme, dira-t-on, doit se transformer pour rester adapté à l'environnement qu'il transforme. Il sera, expliquera-t-on, moins coûteux pour l'homme de s'adapter à cet environnement que de restaurer un environnement adapté à ce qu'il est encore...
Tout comme il se défend déjà contre la nature, l'homme aura à se défendre contre ses propres chimères quand celles-ci réclameront à leur tour d'avoir une histoire, un passé, d'être quelqu'un, de rêver, se rebeller, créer pour durer, ne pas mourir...
CHINE
Sauf si elle se rompt en morceaux, la Chine deviendra la première économie mondiale à la fin du XXIe siècle. Son PIB, aujourd'hui égal à 40 % de celui des États-Unis*, pourrait le rejoindre en 2015 si le taux de croissance chinois reste de 10 % et si celui des États-Unis ne dépasse pas 2,5 % par an. Mais si la croissance chinoise n'est plus que de 7 % en moyenne, elle ne rattrapera les États-Unis que trente ans plus tard (1 % de croissance représente 0,3 milliard de dollars en Chine, mais 7 milliards aux États-Unis).
Encore ne s'agit-il ici que de richesse produite par tout le pays, non de richesse disponible pour chaque habitant. En 2020, la Chine n'aura pas un revenu par tête supérieur à celui de l'Argentine ou du Portugal ; même au rythme actuel, elle ne rejoindra au plus tôt le niveau américain par tête d'habitant qu'au milieu du XXIIe siècle.
La croissance a déjà permis des progrès sociaux considérables : selon les statistiques officielles, la mortalité infantile est passée de 200 pour mille en 1950 à 42 en 1997. La pauvreté* (au sens chinois du mot : moins de 0,6 dollar par jour) est passée officiellement du tiers de la population en 1978 au dixième en 1997, soit encore un peu plus de cent millions d'individus. L'analphabétisme, qui touchait 80 % de la population en 1950, n'en concernait plus que 20 % en 1980.
Mais les problèmes restent immenses : la mortalité maternelle demeure très élevée (de l'ordre d'un pour mille) ; un tiers de la population rurale ne dispose pas d'eau réellement potable ; seulement 20 % des eaux sont traitées ; 97 % de la population rurale n'a pas de voirie. L'économie reste on ne peut plus fragile. La subsistance est tout juste assurée. Premier producteur de céréales au monde, la Chine en est le deuxième importateur. 47 % des entreprises publiques sont en déficit. Les villes* sont surpeuplées ; à Guangzhou, par exemple, la moyenne est de six personnes par pièce. Les infrastructures sont indigentes : trois fois plus grande que l'Inde*, la Chine exploite moins de lignes de chemin de fer. Le chômage* est considérable et les villes croissent sans contrôle. La part de la population urbaine est passée de 30 % en 1980 à 45 % en 1998. Plus de 150 millions de personnes sont des nomades* à l'intérieur du pays. L'éducation* reste sommaire ; l'analphabétisme* des adultes est remonté de 20 à 27 %. La pollution* a un effet désastreux sur l'environnement, annulant pratiquement les bénéfices de la croissance. En particulier, l'usage d'un charbon* sale, dont 80 % n'est pas lavé, produit 12 % des émissions mondiales de gaz carbonique ; la proportion de poussières de carbone en suspension dans l'air à hauteur d'homme est jusqu'à dix fois supérieure au maximum autorisé par l'OMS ; le quart des décès sont liés à des problèmes respiratoires. Au total, selon les sources officielles, la pollution détruit chaque année l'équivalent de 7 % de la richesse produite, et sans doute plutôt 15 %, soit plus que ce que rapporte la croissance*.
Là comme ailleurs, l'avenir se jouera largement sur la démographie* : la population chinoise, augmentant tous les ans de 15 à 20 millions, atteindra 1,54 milliard en 2025 et pourrait dépasser 1,7 milliard en 2050.
La demande agricole augmentera en conséquence ; il faudra doubler la production de céréales pour nourrir la population en 2030. Et quand les Chinois mangeront autant de poisson* que les Japonais, ils consommeront à eux seuls l'équivalent de la production mondiale actuelle.
La croissance des villes* s'accélérera. Les nomades* urbains seront au moins 300 millions. La banalisation de l'automobile* individuelle – on n'en compte encore qu'une pour cent cinquante habitants –, si elle se concrétise, créera une situation encore plus chaotique en augmentant la pollution* de l'air, en réduisant les superficies cultivées, en accumulant les encombrements.
De plus, pour éviter l'aggravation du chômage, la Chine devra créer 8 millions d'emplois par an, et donc, pour ce faire, maintenir un taux de croissance* de l'économie de 8 %. À cette fin, elle devra construire cent centrales électriques d'ici 2020, triplant sa consommation de charbon, donc les émissions polluantes.
La Chine ne pourra survivre sans maintenir une croissance très forte sur une très longue période. Mais elle finira de la sorte par détruire l'environnement. Les conséquences d'un ralentissement de l'économie pourraient alors être d'une extrême violence. On risque d'assister à des conflits* entre régions*, ou entre la bourgeoisie et l'armée, structure centrale de l'économie chinoise. Des troubles auront lieu au Tibet, au Xinjiang, en Mongolie intérieure. La Chine n'implosera pas comme l'URSS, mais elle pourrait se défaire en quatre immenses régions : Shanghai et Taiwan, le Nord, le Sud, les provinces musulmanes. Elle pourrait aussi se refermer sur elle-même, sous le joug d'une dictature autoritaire et brutale. Elle tenterait alors de déplacer une part de sa population dans les pays voisins moins peuplés. En particulier, elle s'étendrait vers la Sibérie* où les Chinois sont déjà plusieurs millions. Elle s'opposerait ainsi à la Russie* et au Japon*, et une première guerre entre puissances nucléaires pourrait en découler.
Pour éviter ces sombres scenarii, la Chine devra se doter des infrastructures institutionnelles d'une économie de marché* et d'une démocratie* sociale, stabiliser son économie, redistribuer les richesses en faveur des provinces non côtières, organiser un développement équilibré des régions, trouver d'autres sources d'énergie que le charbon, améliorer la production des céréales et du riz, libérer les prix agricoles, redéfinir les propriétés de la terre et des industries rurales, les répartir entre les individus et les groupes, réformer le secteur public industriel et favoriser massivement la création d'entreprises privées.
Pour cela, il lui faudra s'ouvrir à l'étranger et à l'influence des réseaux* des Chinois d'outre-mer. Sa diaspora* lui apportera alors technologie, capitaux, marchés, et la culture d'une modernité qu'elle saura, dans sa trimillénaire sagesse, s'approprier et réinventer.
CHIRURGIE
Disparaîtra peu à peu, remplacée par des actes non traumatiques, par ultrasons ou laser, puis par des greffes bioniques* et des xénogreffes*.
CHÔMAGE
Près d'un milliard d'êtres humains sont aujourd'hui à la recherche d'un travail* ; deux milliards pourraient l'être en 2020.
On ne trouvera pas de solution dans une simple extension ou prolongation des mécanismes actuels : l'économie de marché n'a pas besoin que tous les hommes travaillent, alors qu'elle a besoin que tous les hommes disposent d'un revenu.
Aussi, dans les pays du Nord*, bouleversera-t-on le concept d'activité* pour ouvrir à d'autres emplois* que ceux fournis par le travail. Ne seront plus considérés comme chômeurs que ceux qui seront inemployables. Ceux-là ne bénéficieront que d'un revenu universel*. Les autres trouveront à s'employer dans de nouveaux métiers, ou seront en activité de formation rémunérée comme un travail.
Au Sud* où la mutation de l'activité sera plus tardive, le chômage restera la grande hantise. Il ne s'y atténuera qu'avec un développement socialement plus harmonieux favorisé par le lancement d'immenses travaux à l'échelle de chaque continent ou sous-continent.
CINÉMA
Il restera la principale distraction* technologique, le premier prétexte pour sortir, voyager, rêver, vivre par procuration l'aventure, la beauté, la subversion. Concurrencé par les nouvelles formes du nomadisme* virtuel, il devra fournir des spectacles* de plus en plus démesurés, racontant les histoires, les sensations et les émotions de héros nomades* utilisant des outils nomades pour vivre une aventure nomade.
Deux évolutions technologiques transformeront l'économie du cinéma. D'une part, le marché* de tout film deviendra directement mondial, la traduction automatique pouvant être associée au morphing des visages des acteurs : un film tourné dans une langue* quelconque sera ainsi immédiatement disponible dans toutes les autres. D'autre part, le coût de production sera significativement réduit : on pourra intégrer dans les scènes de foule des acteurs et des figurants virtuels.
Les grands studios, concurrencés par les plus petits producteurs, feront assaut de progrès techniques pour placer le spectateur au milieu de spectacles en trois dimensions. Plus tard, le cinéma deviendra un spectacle donné dans le réel par des personnages virtuels, des hologrammes animés au départ par des acteurs, dotés de la parole, voire même, ultérieurement, du toucher* et de l'odorat* : des clonimages*. Ainsi fusionneront cinéma*, théâtre*, peinture* et carnaval*.
CITOYEN
Quand, à la mort de Louis XI, sa fille Anne de Beaujeu et son mari, le duc de Bourbon, prirent l'initiative de réunir les premiers états généraux du royaume de France, le 15 janvier 1484, Philippe Pot, ancien sénéchal de Bourgogne, devenu, après l'annexion du duché, haut fonctionnaire français et envoyé par le roi administrer une autre province, posa le premier un principe de droit radical : il osa demander l'élection du monarque et revendiquer la souveraineté pour le peuple dont cet immigré d'un genre particulier proposa alors cette superbe définition : J'appelle peuple l'universalité des habitants du royaume.
Cette conception élémentaire de la citoyenneté est la plus audacieuse qui soit. Fondée sur le simple fait de vivre sur un sol – pas même d'y être né, ni d'y résider toujours et à jamais -, elle restera d'avant-garde au XXIe siècle. Là où elle sera admise, on pourra être citoyen de plusieurs pays à la fois : celui où on vivra comme ceux où on aura vécu. Il appartiendra à chaque État* de reconnaître à ceux qu'il désignera comme siens le droit de bénéficier de certains privilèges (une éducation*, des soins, un revenu* minimal, etc.).
Dans les pays qui feront le choix de refuser d'accorder ces avantages aux étrangers, la citoyenneté deviendra un objet de propriété (alors que, pendant des siècles, il fallait être propriétaire pour prétendre au statut de citoyen).
En d'autres encore qui s'en remettront au marché* du soin d'en décider, le titre de citoyen pourra être acheté à un prix fluctuant, déterminé par le marché, l'État vendant ses passeports* aux plus offrants comme aujourd'hui ses devises.
CIVILEGO
La civilisation de l'avenir ne sera pas faite d'un modèle uniforme, fusion de toutes les civilisations* autour du modèle occidental, individuel et laïc, ni de la crispation de chaque civilisation sur elle-même, mais d'un gigantesque bric-à-brac où chacun pourra se choisir un système de valeurs en associant à sa guise et à l'infini, parmi tous ceux qui seront disponibles, des éléments pris dans les philosophies*, les idéologies*, les systèmes politiques, les cultures*, les religions*, les arts* des multiples civilisations existantes. L'Afrique et l'Amérique latine, où se marient déjà les cultures locales et celles des colonisateurs, seront à l'avant-garde du civiLego.
Ce sera la civilisation des civilisations. Le civiLego organisera l'harmonie entre tous les métissages, les rendra tolérables les uns aux autres, les incitera à devenir générateurs de différences nouvelles. L'acceptation du neuf comme bonne nouvelle, de la précarité comme valeur, de l'instabilité comme confort, du métissage comme richesse, renouvellera sans relâche le civiLego, créateur de nouvelles tribus* de nomades* porteurs de solidarités originales.
CIVILISATION
La civilisation – ce qui s'oppose à la barbarie* – restera le principal trésor humain à préserver.
Les civilisations – ensembles spécifiques de valeurs assurant l'identité* culturelle d'une société autour d'une religion*, d'une langue*, d'un mode de vie, d'une histoire, d'institutions, etc. – se dissoudront peu à peu en un gigantesque puzzle de valeurs.
Si l'on s'en tient aux définitions élémentaires, il existerait aujourd'hui de six à neuf grandes civilisations : chinoise, japonaise, indienne, africaine, islamique et occidentale, celle-ci étant subdivisable en européenne, russe, américaine et latino-américaine. En réalité, toutes ces civilisations se recoupent, s'interpénètrent et se métissent au point que d'aucuns croient pouvoir prophétiser une fusion des civilisations existantes en une civilisation de marché* universelle. Mais la globalisation des marchés et des modèles de consommation n'uniformisera ni les cultures, ni les langues, ni les religions. On ne va pas vers une généralisation du modèle occidental, lui-même en perpétuelle évolution, ni même vers une civilisation métisse, mais vers une sorte de bric-à-brac de fragments de civilisations : le civiLego*.
D'autres observateurs prévoient la fin de toutes civilisations dans un chaos général. D'autres enfin parlent de « guerres de civilisations » ; selon eux, celles-ci s'affronteront en des batailles à géométrie variable.
Comme à la fin de l'Empire romain, il est probable qu'on assistera à la lente révolte des régions périphériques contre le Centre, c'est-à-dire de tous les autres contre l'Occident. Mais risquent de s'opposer davantage entre elles les civilisations qui se ressemblent, leurs désirs étant mimétiques.
Les civilisations résisteront d'autant mieux qu'elles sauront accueillir et assimiler des valeurs venues d'ailleurs, qu'elles se révéleront assez mobiles pour ne pas s'abandonner à la déception d'un échec et pour échapper à leurs propres impasses, assez complexes pour garder souvenir de l'horreur et ne jamais renoncer à nourrir un rêve intérieur.
CLAVIER
Disparaîtra progressivement pour être remplacé par les commandes vocale, tactile et oculaire. Ce progrès ouvrira l'accès des technologies de communication à ceux qui ne dominent pas la lecture.
CLIMAT
La température (qui dépend de l'éclairement de la Terre* par le Soleil, mais aussi de la teneur en gaz carbonique de l'atmosphère) continuera probablement d'augmenter, comme elle le fait depuis les débuts de la révolution industrielle, en raison des émanations croissantes de gaz carbonique et de méthane.
Tous les signes d'un tel réchauffement sont là : les Alpes ont perdu la moitié de leur volume depuis 1850 ; les dix années les plus chaudes au cours des cent trente pour lesquelles il existe des statistiques fiables sont comprises dans les décennies quatre-vingt et quatre-vingt-dix, et les trois années les plus chaudes de cette même période figurent dans la dernière de ces deux décennies.
Mais la théorie est incertaine ; le lien entre émissions de gaz carbonique et de méthane dans l'air et réchauffement climatique reste complexe à établir. Nombre de facteurs sont contradictoires : la hausse de la température entraîne la fonte des glaces, laquelle rafraîchit les mers et modifie les courants ; l'absorption du carbone par les océans et l'inertie thermique ralentissent la réponse à l'« effet de serre ». Alors que les premiers modèles, il y a vingt ans, prédisaient que la Terre aurait dû se réchauffer de 0,4° au cours des quinze dernières années du siècle, elle s'est en fait refroidie de 0,15° en raison de l'effet de la hausse de température sur la fonte des glaces et les courants.
Aussi les prévisions sont-elles de plus en plus prudentes. En 1983, on prévoyait qu'en 2100 le changement de climat ferait monter le niveau de la mer de 3 mètres ; on pense aujourd'hui que cette montée ne sera que de 55 centimètres.
Les modèles de 1985 laissaient prévoir pour les quarante premières années du XXIe siècle un réchauffement général de la planète de 1,5 à 5,5 °C, en même temps qu'un doublement de la teneur en gaz carbonique de l'atmosphère. On ne parle plus aujourd'hui que d'une augmentation de 0,8 à 2,3 °C en 2040, et de 3 °C au plus en 2100. Cela entraînera, certes, une accélération de la fonte des glaces et une hausse du niveau des mers ; le contraste entre les climats s'aggravera, la température enregistrée la nuit en hiver augmentera le plus, et la température estivale diurne le moins. Cela suffira à submerger des terres dans une trentaine de pays, à répandre la sécheresse tout autour de la Méditerranée, à rendre cultivables les terres de Sibérie et du Canada, mais aussi à faire fondre la banquise du pôle Nord, donc à refroidir l'océan, à provoquer de violentes tempêtes, à interrompre ou inverser le Gulf Stream et à refroidir en conséquence l'Europe occidentale de plusieurs degrés. Ces phénomènes, s'ils se confirment, contraindront plus de 200 millions de personnes à l'exil. Ils constitueront une catastrophe* majeure aux conséquences géopolitiques considérables.
CLONAGE
Rien ne l'arrêtera. Le premier clone de têtard a été obtenu en 1952. Les premiers clonages de mammifères par transfert de noyaux de cellules embryonnaires ont eu lieu en 1987 (pour un veau), en 1989 (pour un mouton) et en 1990 (pour un lapin). En juillet 1996, on aurait cloné pour la première fois un mammifère adulte (Dolly), par prélèvement d'une cellule dans la glande mammaire d'une vache, cellule qui fut injectée dans un ovocyte implanté ensuite dans une mère porteuse. On aurait fait de même pour un singe, mais rien n'est certain et l'expérience, en tout cas, n'a pu encore être refaite. Toujours en 1996, à côté de Dolly est née Polly, mais selon une technique très différente : non pas à partir de cellules adultes, mais à partir d'un ovule fécondé dans lequel on a inséré un gène humain, ovule implanté ensuite dans la brebis porteuse.
Pour le clonage humain, le processus est moins avancé. Les professeurs américains Jerry Hall et Robert Stillman, de l'université de Georgetown, annoncèrent en juillet 1993 qu'ils venaient de réussir à séparer deux cellules issues de la première duplication d'une cellule humaine fécondée in vitro, puis à les isoler dans des enveloppes artificielles et à les faire se subdiviser à nouveau en se spécialisant, jusqu'à atteindre le nombre de trente-deux, nombre minimal pour qu'un embryon puisse être réimplanté, mais sans aller au-delà. Pour cloner un adulte et le répliquer à l'identique – comme dans le cas de Dolly –, il faudrait injecter des centaines de cellules dans des centaines d'ovocytes pour avoir une chance que l'implantation réussisse. Le clone aurait alors l'âge de l'adulte cloné. On est encore loin de savoir le faire...
Quels seraient les usages fantasmatiques de ces clones ? De permettre aux couples homosexuels d'enfanter ; de créer le double d'un parent atteint d'une maladie incurable ; de constituer des réserves d'organes* de remplacement ; de fabriquer des chimères* adaptées à certains talents ou à certaines résistances ; d'autoriser chacun à se posséder à de multiples exemplaires, à se constituer une collection* de « soi » parmi laquelle il sera difficile de distinguer le propriétaire des objets possédés ; comme on collectionne les animaux rares, on pourrait aussi rassembler des clones* d'hommes célèbres ; on pourrait produire un hybride de soi et d'un autre, et reproduire tout animal ou chimère dont on se serait procuré la carte d'identité génétique.
Naturellement, tout cela sera d'abord infaisable et en tout cas formellement interdit. Le premier instrument contraignant d'interdiction du clonage humain a été adopté par dix-neuf pays européens en 1998. Mais cette interdiction ne tiendra pas et tout deviendra possible. En effet, le clonage humain ne marque pas un « saut » qualitatif, ce n'est qu'un pas de plus dans l'artificialisation de la vie. Il est déjà naturel pour les végétaux et les animaux*. Pour l'homme, il vient exactement au moment où celui-ci n'a plus de réponses à sa quête d'éternité*.
D'abord, le clonage s'inscrira dans la ligne d'évolution de la sexualité* : l'homme, produit pour lui-même par le jeu de l'amour et du hasard, puis possédé comme objet de spectacle* et de travail*, peut déjà être produit artificiellement par la fécondation in vitro ou par le recours à des mères porteuses. La naissance* sans parents ne constituera donc pas vraiment une rupture.
Ensuite, on admettra qu'un clone est plus différent de l'être originel que deux jumeaux le sont l'un de l'autre, puisqu'il n'a même pas partagé le même environnement cytoplasmique que son original. On reconnaîtra par là que l'homme ne se réduit pas à sa dimension génétique.
Enfin, l'interdiction se révélera inapplicable. Bien des pays ne la respecteront pas et la pression du marché* et de la science* sera trop forte pour pouvoir y résister.
Les clones seront longtemps mal vus, comme le furent les bâtards. Ils seront d'abord esclaves, cyborgs, puis, à terme plus éloigné, êtres autonomes et reconnus avec des droits* bientôt égaux à ceux des hommes.
Naturellement, si c'est encore possible, une frontière devra être tracée pour interdire de produire une chimère*, qui nie le propre de l'homme. À condition de n'en être pas réduit à croire que le « propre de l'homme », c'est le hasard.
CLONIMAGE
Double virtuel* que chacun pourra lancer dans les espaces du Net* pour le faire vivre, travailler, consommer par procuration avec les doubles virtuels créés par d'autres.
Il deviendra ensuite hologramme doué du toucher*, de la parole et d'une certaine forme d'intelligence, capable d'intervenir dans la vie quotidienne. Compagnon de jeux* pour les enfants, il pourra servir à simuler en grandeur réelle le comportement d'un ouvrier face à une machine, d'un client dans un magasin, ou d'une foule dans un stade. Acteur ou chanteur, le clonimage pourra aussi, plus tard, participer à un spectacle* vivant. Il constituera le plus énorme changement et causera le plus grand ébranlement mental dans l'environnement quotidien des hommes.
COCOONING
En même temps que le nomadisme et en contradiction avec lui, se renforcera la tendance ancestrale des hommes et surtout des femmes à chercher refuge dans une niche, à s'y protéger, s'y calfeutrer et à n'en plus vouloir sortir, sédentaires assiégés. Les technologies de l'information permettront de remplir l'essentiel des exigences sociales sans avoir à quitter son domicile ; dans un grand nombre de métiers*, les télécommunications* rendront possible le travail* à domicile ; les réseaux* multimédia, d'acheter à peu près n'importe quoi depuis chez soi, et d'effectuer toutes opérations bancaires sans avoir à se rendre dans une agence. Il deviendra aussi possible d'apprendre hors de l'école, de recevoir un diagnostic sans aller chez le médecin, de disposer chez soi de toutes les formes de cuisine et de distraction*, de sport* et de voyage* (évidemment virtuel). En définitive, on pourra mener une vie à peu près complète, de la naissance* à la mort*, sans avoir à mettre le nez dehors.
La réalité virtuelle viendra transformer le mouvement en sédentarité virtuelle et le cocooning en nomadisme imaginaire...
COLLECTION
La passion de collectionner sera personnelle plus que collective ; les musées vivront de moins en moins de donations et auront de plus en plus le statut de fondations.
Au lieu de réinvestir leur épargne dans l'économie productive, les classes riches l'enfouiront dans des objets* non producteurs de valeur, pour laisser une trace, par peur de la mort*, par réaction contre la précarité de l'économie de marché*, aussi par volonté de donner du sens à la fragmentation du monde, de trier*, classer, mettre de l'ordre, harmoniser.
Collectionner, privilège jusque-là réservé aux sédentaires qui disposent de lieux où stocker leurs trésors, deviendra aussi accessible aux nouveaux nomades*. Tout comme il existera des animaux* domestiques virtuels qu'il faudra nourrir, soigner, cajoler, consoler, accompagner jusqu'à la mort, il existera des collections d'objets virtuels qu'il ne sera plus nécessaire d'entasser sur des étagères ou dans des placards. Il sera possible d'acheter sur le Net des objets de collection et de les stocker dans un coffre loué par le même moyen. On pourra aussi acheter virtuellement des objets eux-mêmes virtuels : des armes virtuellement anciennes, des timbres, des livres, des sabliers virtuels, beaucoup plus spectaculaires, divers et insolites que les vrais. On tolérera même des collections virtuelles d'objets réels dont le commerce serait illégal ou criminel dans le monde réel. Ainsi de collections d'objets qu'on ira voler virtuellement dans les sites les plus beaux ou les plus riches musées du monde.
Mais aussi collections de femmes, d'hommes, d'enfants, de meurtres... Le serial killer deviendra un collectionneur honorable et fréquentable, du moins virtuellement.
Enfin, peut-être la génétique permettra-t-elle de constituer des collections de clones, copies de soi ou d'autres, réserves d'organes, moyens de préservation dans l'éternité.
COMMERCE
La plus vieille activité humaine, qui aura traversé les siècles sous toutes les formes, du vendeur ambulant au commerce électronique. La tendance naturelle ira vers le développement mondial des grandes surfaces selon le modèle américain du mall (rassemblement de boutiques individuelles) ou celui, européen, du centre commercial (qui agrège diverses enseignes autour d'une grande surface). Ces deux modèles se concurrenceront dans les périphéries des grandes villes* du Nord* et du Sud*. Dans de nombreux pays, des lois* viendront limiter leur croissance pour préserver le petit commerce de proximité. Là où la violence sera plus que jamais présente, les exigences de sécurité inciteront à entourer les grandes surfaces d'une protection policière particulière.
Dans certains pays, la force du commerce sera telle qu'elle détruira le principal actif des entreprises*, leur marque*, en poussant le consommateur à acheter des produits moins chers et sans marque, ou avec une marque de distributeur. Or, à terme, le pouvoir ira là où se trouvera la marque. Si les entreprises de biens de consommation veulent éviter de devenir de simples sous-traitants du grand commerce, elles devront devenir leurs propres distributeurs exclusifs. Et, pour cela, racheter leurs distributeurs.
Le commerce électronique viendra ajouter une dimension nouvelle au commerce par correspondance. On pourra acheter à peu près tout sur Internet* et dans l'hypermonde*. Au cours des premières années, le chiffre d'affaires de ce type de commerce décuplera tous les ans. Mais la rentabilité ne sera atteinte qu'avec des chiffres d'affaires considérables en raison du coût très élevé de la distribution.
COMMUNAUTARISME
Des organisations nouvelles apparaîtront, ni étatiques, ni privées, d'intérêt général ou profitables, visant à produire des biens ou des services pour leurs seuls membres sur le principe très ancien des mutuelles; associations volontaires, regroupements d'individus en tribus* ou diasporas* hors des systèmes existants. Elles regrouperont en particulier les habitants de certains quartiers* des grandes métropoles, nomades* urbains en quête d'identités. Elles géreront tout ce que les États* et le privé ne sauront plus garantir : la santé*, bien sûr, mais aussi l'éducation*, le tourisme*. Plus tard, la police*, la justice* et nombre d'autres attributs de la souveraineté* deviendront communautaires. D'abord illégales – parce que refusant l'application de la loi commune -, puis alégales*, c'est-à-dire tolérées, les institutions* du communautarisme occuperont bientôt une part importante de la vie des sociétés avancées. Leurs bénéficiaires en seront les propriétaires exigeants et les contrôleurs tatillons. Ils mettront peu à peu en place, pour des tribus nouvelles regroupant citoyens* aussi bien qu'étrangers sur des territoires et dans des domaines fluctuants, les institutions de la Fraternité*.
COMMUNISME
Utopie souterraine vivace. Sous lui auront été perpétrés les plus grands crimes de masse de l'histoire humaine. Il reviendra à la surface si le scandale des inégalités* est ressenti comme intolérable. Il pourra prendre alors la forme de la quête de Fraternité*.
COMPÉTITIVITÉ
Concept vital pour les entreprises*, mais vide de sens pour les nations*. À la différence des entreprises, les nations vendent d'abord leurs produits à leurs propres travailleurs. Aussi la baisse de leurs charges est-elle d'abord une baisse de leur demande. La compétitivité des entreprises est, en revanche, essentielle à leur survie ; elle ne se joue pas seulement sur les coûts, mais avant tout sur l'innovation. Il en découle que les nations les plus fortes, à l'avenir, ne seront pas celles où les salaires seront les plus bas, mais celles où les conditions de vie favoriseront le plus la création* et son intégration dans l'économie.
COMPLEXITÉ
Selon la loi de Moore, la complexité d'une puce* électronique augmente de moitié tous les dix-huit mois. Selon la loi de Metcalfe, la valeur d'un réseau* augmente avec le carré du nombre de ceux qui l'utilisent. Selon la loi de Kao, la créativité d'un groupe augmente exponentiellement avec la diversité et la divergence de ceux qui le composent. La complexité augmentera donc avec la technologie, la connexion* et la diversité. Elle sera facteur de création, culminant dans le civiLego*.
CONFIANCE
Pilier de toute civilisation. Mesure de son déclin : il n'y a pas d'Église sans confiance des fidèles, d'empire* sans confiance des sujets, de démocratie* sans confiance des citoyens*, d'entreprise* sans confiance de ceux qui la constituent, de marché* sans confiance de ceux qui y échangent, de famille* sans confiance des conjoints. Or la confiance sera de plus en plus difficile à maintenir entre capitalistes, travailleurs, consommateurs, citoyens, conjoints. Car la précarité croissante des relations humaines, la réversibilité des choix, aussi bien sur le marché qu'en démocratie* et dans la sphère privée, rendront moins nécessaire de respecter durablement un contrat. Et donc moins indispensable la confiance mutuelle des signataires. La culture du marché dévalorisera l'éthique de la confiance, laquelle sera progressivement remplacée par le Droit et l'appareil de justice.
CONFLIT
Les hommes se battront pour des valeurs chaque fois qu'ils les partageront.
CONNEXION
L'obsession du nomade* sera de rester connecté pour survivre. Connecté à ses tribus*, à ses données, à ses métiers*, à ses fournisseurs, à ses distractions*. Il utilisera pour cela des objets nomades* (téléphone*, Internet*, fax, orditévé*), d'abord d'usage de plus en plus facile, banalisés et discrets, puis intégrés aux vêtements*, aux lunettes, à la montre*, enfin au corps* (greffes bioniques*).
CONNEXITÉ
Interdépendance croissante de domaines aux relations a priori improbables : l'énergie* et l'information*, le climat* et les taux d'intérêt, l'emploi* et la distraction*, la géopolitique* et la génétique*, l'agriculture* et l'espace*, le social et l'imaginaire, etc.
La connexité généralise le voisinage et efface l'espace*. On sera très proche d'un point quelconque dont on sera en même temps très éloigné : comme dans un labyrinthe*.
CONSOMMATEUR
Inséparable du producteur. Il coproduira les produits et les expériences qu'il consommera. Là où le marché* l'emportera, tous les comportements s'aligneront sur celui du consommateur, préoccupé de son seul intérêt. Le citoyen* riche n'acceptera plus de se plier à la décision d'une majorité pauvre. Le malade riche n'acceptera plus de sacrifier aux exigences de la solidarité. L'amoureux n'acceptera plus de suivre les chemins de la séduction. Le monde entier deviendra pour le consommateur solvable un supermarché* ouvert à tous ses caprices.
Un jour, beaucoup plus tard, le consommateur, libéré de l'emprise du marché, pourra redevenir un citoyen malade ou amoureux jubilant de ses contradictions enfin recouvrées et revendiquées.
CONTEMPLATION
Attitude de distance au monde du nomade* civilisé. Marque distinctive du comportement de l'hyperclasse*.
CORPS
Dernier lieu d'expérience vécue au milieu des océans de la virtualité. De plus en plus interdépendant et inséparable de l'esprit.
Pendant un certain temps, on continuera de remplacer des activités remplies par le corps par des activités remplies par des machines. Il se modifiera en conséquence. Seule la sexualité*, le sport* et la danse* perpétueront des expériences liées au corps.
Puis on explorera les potentialités du corps, siège de l'esprit, qu'on découvrira infiniment plus vastes que celles qu'on utilise aujourd'hui. Une gymnastique du corps stimulera celle de l'esprit.
CRÉATION
Première activité, de plus en plus valorisée dans tous les domaines : art*, entreprise*, éducation*, etc. Jusqu'à ce que chacun devienne créateur de sa propre vie et puisse apporter quelque chose de neuf au monde.
CRIMINALITÉ
En affaiblissant les États* sans les remplacer par des institutions de police et de justice planétaires, la mondialisation laissera le champ libre à une infinité de marchés illégaux. Des régions entières passeront sous le contrôle du crime organisé qui y établira les grands trafics. On préférera autoriser des activités qu'on ne sera pas capable d'interdire afin d'éviter qu'une prohibition inefficace ne favorise le profit criminel. On autorisera ainsi la drogue*, le jeu*, la prostitution, le commerce de passeports*, de sang, d'organes, d'air* même. Le crime disparaîtra dans la généralisation d'un marché* alégal et amoral. Jusqu'à ce que surgissent sur le plan planétaire des institutions* capables de faire appliquer les décisions qu'elles prendraient.
CRISE
Comme depuis toujours, période de transition entre deux phases de transition.
CROISSANCE
Elle continuera pour un temps à servir de mesure du sens de l'Histoire. Croissance des richesses, des populations, des villes ; pendant encore une cinquantaine d'années, elle témoignera de la dynamique du monde. Puis on devra apprendre à vivre avec des limites* ; penser à valoriser sans croître.
Déjà, en économie, le concept devient vide de sens avec la montée dans la production de la part de l'information et les effets de la production sur l'environnement naturel et social. En effet, une croissance forte aggrave les inégalités*, crée des déchets* et de la pollution*. Déjà, la Chine*, avec un revenu par tête inférieur de moitié à celui du Brésil*, a une espérance de vie moyenne de quatre ans plus élevée ; mais le coût de la pollution y est supérieur aux gains de la croissance.
On inventera de nouvelles façons de mesurer le développement*.
CRYPTAGE
Moyen d'assurer le caractère privé des relations humaines, mais aussi le développement, les échanges marchands, l'usage commercial d'Internet*, le caractère confidentiel de l'information*, etc.
Pouvoir crypter deviendra un droit* de l'homme. Son exercice conduira à la prolifération d'activités alégales* et illégales, par exemple au détournement de matières fissiles et à diverses activités criminelles. Cette faculté accélérera la généralisation du marché* et la croissance de l'hypermonde* au détriment du monde réel. Les États* y perdront une part notable de leur souveraineté, ce qui, sous un certain angle, réduira le monde à une juxtaposition de coffres-forts, propriété de commerçants autistes.
Un jour viendra où, en réaction, on voudra accorder aux institutions policières et judiciaires nationales et internationales le droit de pénétrer les réseaux* cryptés, sous le contrôle d'un juge, pour vérifier ce qui s'y passe et ce qui y passe. Il sera sans doute trop tard. L'économie alégale sera devenue maîtresse des marchés.
CULTURE
Premier gisement de création de richesses, dernier obstacle à l'équivalence générale des marchandises.
On n'ira plus, après un temps d'errance, vers la généralisation de la culture américaine, mais, au contraire, vers une juxtaposition de cultures différenciées, puis vers un entrechoquement et une fusion d'éléments prélevés sur la mosaïque de cultures que recèle le monde, où chacun pourra puiser à sa guise et forger sa « culture Lego* ».
CYBERBIA
Utopie* d'un hypermonde* maîtrisé par des polices de réseaux*.
CYBERESPACE
Vieux mot pour désigner l'hypermonde*.
CYBERKELEY
Utopie* d'un hypermonde* permettant l'accès généralisé à la connaissance, la liberté de recherche et de création.