D
DALAÏ-LAMA
De génération en génération, il sera de plus en plus écouté, comme tous les maîtres en religion*, guides des égarés, phares dans les ténèbres du monde, recours contre la souffrance*, garants des espérances d'éternité*, consolateurs contre la précarité*, refuges contre l'amnésie...
Venu de la nuit des temps pour nier l'urgence du désir* et incarner un peuple martyr, son discours apparaîtra en résonance avec les principales angoisses du siècle. Bien des hommes esclaves de leurs besoins ou bâillonnés par des puissants finiront par se reconnaître dans cette réincarnation perpétuellement recommencée du plus énigmatique des dieux déchus.
DANSE
Jubilation du corps*, communication avec soi-même, ultime victoire de la réalité sur le spectacle*, de l'expérience sur la virtualité*. Métaphore de la vie sociale : aujourd'hui, jouissance solitaire dans l'anonymat de la foule, simulation du monde dans la fête*, elle tendra demain à devenir jouissance collective d'identités* solitaires, expérience de la fête dans le monde, retrouvailles avec les transes de rituels immémoriaux dont les derniers avatars se manifestent çà et là dans les cérémonies cultuelles, les rites funèbres ou d'initiation, les carnavals*, etc. Mais aussi thérapie et sagesse* nécessaires pour conserver le contact avec sa propre réalité dans l'envahissement de la virtualité*.
DÉCHETS
L'amoncellement des sous-produits directs ou indirects de l'activité humaine conduira à bouleverser le mode de production et de consommation des objets*.
Certains de ces déchets s'évacuent dans l'air* et provoquent l'« effet de serre » qui affecte le climat*. D'autres disparaissent dans les eaux* usées. D'autres encore s'accumulent sous forme de détritus.
Chaque année, la Terre avale 2,5 millions de tonnes de pesticides et l'air reçoit 7 milliards de tonnes de gaz carbonique. Ces tendances vont croître de manière exponentielle. En l'état actuel des technologies, il serait impossible, financièrement et matériellement parlant, de collecter, stocker et éliminer les déchets produits par 7 milliards d'individus ayant le niveau et le mode de vie des Occidentaux d'aujourd'hui.
Pour éliminer les déchets les plus dangereux, il ne suffira pas de les stocker. D'abord parce que cette solution ne serait jamais assez sûre. Ensuite parce que le coût en serait prohibitif. Il faudra donc changer de mode de production ou organiser un recyclage systématique des matières premières qui les constituent. On aura dès lors à choisir entre deux solutions :
 soit les consommateurs et les producteurs paieront eux-mêmes les coûts de la récupération des déchets en sus du prix des produits. Ils trouveront alors de l'intérêt à changer de source d'énergie* ou à utiliser des composants plus durables, à instaurer une économie moins précaire. Par exemple, les industries alimentaires, payant puis faisant payer le recyclage des emballages perdus, provoqueront un retour aux emballages en verre consignés. L'industrie automobile*, si elle avait à supporter le coût de la gestion des épaves – de leur collecte jusqu'à l'élimination des déchets non recyclés – ou de la lutte contre la pollution* urbaine liée à la circulation, serait incitée à développer des matériaux biodégradables et des moteurs moins polluants. Les déchets récupérés seraient utilisés pour fabriquer tantôt du ciment, tantôt de l'énergie, etc. La biotechnologie* serait incitée à valoriser les déchets agroalimentaires et à créer des microbes transgéniques destinés à éliminer les déchets toxiques ;
 soit les contribuables, qui ont intérêt à éliminer ces déchets, en prendront la responsabilité et financeront leur collecte, leur stockage et leur recyclage. Ce sera le cas pour les déchets les plus toxiques, qui ne sauraient relever durablement d'une logique de marché*, en particulier les déchets nucléaires*. L'exemple américain le démontre a contrario ; en confiant leur gestion au marché, on a abouti à une situation sans issue : trois mille tonnes de combustible irradié emplissent à ras bord des piscines dépendant de centrales électriques nucléaires privées, et leurs propriétaires n'ont pas les moyens d'en construire de nouvelles...
Pour parvenir à éliminer ce type de déchets, la puissance publique devra, d'une façon ou d'une autre, financer l'une des deux solutions envisageables : ou la vitrification des combustibles irradiés, ou leur séparation en trois éléments dont deux sont réutilisables à titre de combustible nucléaire (uranium enrichi et plutonium* mélangé à de l'uranium sous le nom de MOX), le troisième, constitué de déchets à proprement parler, étant vitrifié.
Dans ces deux solutions, les déchets seraient noyés dans du verre, puis entreposés dans des sites nationaux ou internationaux, en surface ou à plusieurs milliers de mètres de profondeur. Une convention internationale fixerait des normes d'emballage, de transport, de localisation, de configuration des sites, de stockage, de sécurité, de comptabilité, de transparence et de surveillance internationale. Les propriétaires des stocks perdraient le droit de les revendre et ne pourraient les sortir des sites qu'avec l'accord d'une autorité internationale, l'Agence internationale de l'énergie atomique, et seulement pour un autre lieu de stockage ou pour un usage civil si une nouvelle technologie vient à permettre un jour un tel réemploi de ces déchets. Le nombre de ces sites ne devrait pas être trop limité (pour ne pas générer de trop longs transports et conduire à une monopolisation des déchets par un ou deux pays d'accueil), ni trop élevé (pour ne pas compliquer le système de surveillance international). Trois ou quatre serait un nombre optimal. Les sites seraient financés par une taxe mondiale sur la production d'électricité nucléaire et placés sous l'autorité de l'AIEA.
Après la première moitié du XXIe siècle, on peut espérer découvrir une solution définitive permettant de réutiliser le plutonium comme source d'énergie, ou de neutraliser la radioactivité des combustibles irradiés par transmutation.
DÉCOUVERTES
Leurs prochains horizons : explorer la matière vivante, investir l'inconscient, coloniser le système solaire, voyager dans l'infinité des univers virtuels qu'il appartient au cerveau humain de créer.
Peut-être aussi apprendre enfin à mieux vivre ensemble.
DÉMOCRATIE
S'annonce pour le siècle à venir la victoire de la démocratie, son extension indéfinie à tous les domaines dont elle est encore exclue. Elle a en effet remporté toutes les batailles contre tous ses adversaires et se répand dans des pays où on la pensait impossible. Le marché* la consolide en renforçant l'individualisme*, la compétition, la transparence, l'exigence d'esprit critique. Les peuples qui l'ont conquise semblent prêts à tout pour la préserver.
Elle sera renforcée par l'apparition de nouvelles formes de participation des citoyens*, notamment la multiplication des associations* exprimant des exigences nouvelles. Enfin, les nouvelles technologies de communication permettront d'inventer de nouvelles formes d'exercice de la citoyenneté : forums permanents, choix directs, téléréférendums, etc. Rien ne semble donc pouvoir arrêter les progrès de la démocratie.
Pourtant, en réalité, son avenir n'est pas si radieux.
D'abord, personne ne souhaitera vraiment l'étendre à la gestion de la communauté mondiale. Jamais, par exemple, les États-Unis* n'accepteront que les décisions les plus importantes aux Nations Unies* échappent à l'oligarchie des cinq puissances nucléaires pour échoir à l'Assemblée générale en son entier. De même, ils n'accepteront pas que les institutions* financières internationales échappent à leur contrôle. Même en Europe*, la démocratie progressera avec peine au sein des institutions communautaires empêtrées dans leur gestion bureaucratique. De la même façon, dans les entreprises*, les détenteurs du capital n'accepteront pas de gaieté de cœur de partager leur droit de vote avec les salariés.
Par ailleurs, si elles sont censées favoriser de nouvelles formes de démocratie, les nouvelles technologies de communication feront surtout basculer les sociétés dans des réseaux* où le pouvoir ne sera plus localisable, où le territoire ne sera plus un espace de souveraineté, où les partis* seront discrédités, où toutes formes de solidarité deviendront presque impossibles à mettre en oeuvre.
De plus, la complexité croissante des décisions à prendre conduira à multiplier les comités d'éthique au détriment des instances démocratiques et à laisser les groupes de pression régler concrètement leurs problèmes avec la bureaucratie.
Enfin et surtout, la démocratie sera affaiblie et même balayée par le marché*, pourtant supposé la renforcer. En exacerbant la libre circulation des biens, des capitaux, des idées et des personnes, le marché rompra en effet les frontières* dont la démocratie a besoin pour définir le territoire où s'exerce le droit de vote et où s'institue la République*. L'essentiel des décisions sera pris par les entreprises* dotées des moyens de financer les mille et un intermédiaires qui feront valoir leurs intérêts. Le droit international lui-même, sous la pression des entreprises, forcera les États à uniformiser leur droit fiscal et social au plus bas niveau possible, créant un monde adapté aux nomades* alors que la démocratie telle que définie jusqu'alors était conçue pour s'appliquer à des sédentaires.
Le marché aggravera les inégalités* entre les acteurs économiques, empêchant beaucoup d'entre eux d'exercer leurs droits politiques*. Il transformera les citoyens* altruistes en consommateurs* capricieux et égoïstes. Ceux-ci n'accepteront plus de se soumettre à une décision prise par une majorité dont ils ne font pas partie, surtout lorsque celle-ci voudra imposer à une minorité* riche de contribuer par ses impôts au bien-être d'une classe moyenne plus nombreuse. Les plus riches partiront, les plus pauvres s'abstiendront, les autres se réfugieront dans la distraction*.
Une conception exacerbée de la démocratie peut même en arriver à détruire les nations en poussant chaque groupe, chaque région, chaque tribu* à cultiver son identité, d'abord sous la forme de partis*, puis en réclamant ou prenant leur indépendance.
Le financement de la vie politique sera de plus en plus ouvertement le fait du marché, la corruption deviendra légale, la justice* sera transformée en arbitrage privé, des communautés* organiseront leurs services publics pour leur usage ; on vendra même des passeports*.
La modernisation et la croissance ne protégeront pas davantage la démocratie : il y faudrait des institutions et une vision sociale communes.
Toutes ces évolutions ne peuvent conduire au mieux qu'à un formidable désintérêt à l'égard de la politique, au pire à des crispations autoritaires, voire à des dictatures*. Des partis s'immisceront dans la démocratie pour la détruire. Des totalitarismes prendront démocratiquement le pouvoir pour ne plus le rendre. L'exercice de la démocratie se révélera liberticide.
La démocratie pourrait donc disparaître, même en Occident. Elle ne restera le meilleur des systèmes de gouvernement qu'à condition d'être sans cesse renforcée et consolidée :
 dans les nouveaux pays devront naître institutions, partis, associations sans lesquels la démocratie se caricature en simple exercice d'un droit de vote ; elle exige aussi des bases économiques et sociales, un État*, une classe moyenne ;
 dans les pays où la démocratie a un long passé, il faudra recréer le sentiment de l'utilité du politique en le chargeant de promouvoir la fraternité* entre les citoyens. Car l'utopie* redeviendra nécessaire à la vitalité de la démocratie ;
 enfin, il faudra concevoir une démocratie qui, comme le marché, ne soit pas limitée par un territoire, une démocratie sans frontières* dans l'espace et le temps*.
Dans l'espace : chacun de ceux qui ont habité ou qui vont habiter un territoire pourra exprimer son point de vue sur une décision le concernant : le devoir* d'ingérence* fera partie de l'exigence démocratique.
Dans le temps : pour protéger le patrimoine et éviter les dégâts causés à l'environnement, il faudra reconnaître métaphoriquement le droit de vote aux générations passées et futures concernées par l'action des vivants, autrement dit réintroduire la notion d'irréversible en politique.
Cela passera d'abord par la construction de démocraties sur des espaces plus vastes, par regroupement de nations, avant d'en venir à une démocratie réellement sans frontières, c'est-à-dire planétaire. En ce sens, la construction européenne constitue un enjeu capital, puisque c'est la première mise en commun volontaire de la souveraineté de plusieurs nations*. Si elle ne dégénère pas en simple marché libre, si elle parvient à construire les instruments d'une unité fédérale démocratique, elle constituera le premier laboratoire de la démocratie de l'avenir – probablement sa dernière chance de l'emporter sur la tyrannie du marché.
DÉMOGRAPHIE
La population de la planète augmentera de moitié au moins ; puis elle vieillira d'abord au Nord*, ensuite au Sud*.
Il a fallu des milliers d'années pour que la planète atteigne le premier milliard d'habitants ; il lui aura fallu cent vingt-trois ans pour atteindre le deuxième, onze seulement pour le sixième. Le septième sera plus long à atteindre, car le taux d'accroissement annuel, inférieur à 0,2 % jusqu'en 1800, a augmenté jusqu'à atteindre en 1965 son maximum, 2,1 %, mais depuis lors, il baisse et n'atteint plus que 1,4 %. Selon des hypothèses aujourd'hui dominantes, il devrait continuer de baisser.
L'évolution de la population dépendra du taux de fécondité (nombre d'enfants par femme, 2,1 étant nécessaires au simple renouvellement des générations). Il semble baisser partout pour rejoindre le taux européen, qui assure tout juste le renouvellement de la population : il est passé au Sud de 4,8 en 1945 à 3,7 et se situe au Nord autour de 2. La moyenne mondiale est de 3,3. Mais les prévisions restent fort incertaines et les évolutions varient considérablement d'un continent à l'autre. Le taux de fécondité est encore particulièrement élevé en Afrique* (7 enfants par femme en Côte-d'Ivoire et en Éthiopie, plus de 8 à Gaza) mais déjà proche du taux européen en Chine* (2,3). Il est supérieur à 2,1 aux États-Unis*, égal à 1,8 en France*, et descend jusqu'à 1,3 en Italie*, en Allemagne*, en Espagne et au Portugal. La population de certains pays du Moyen-Orient* et celle d'Afrique* continue d'augmenter au rythme de 4 %, voire même 5 %. Celle des États-Unis* croît de 0,8 % par an et celle de l'Europe de 0,5 %, alors que celles de l'Allemagne, de la Hongrie et de la Bulgarie décroissent.
Si le monde entier conservait durablement le taux de fécondité qu'avait atteint une partie de l'Occident* en 1980 (1,4), l'espèce humaine disparaîtrait en 2400. L'hypothèse la plus vraisemblable est que la fécondité continuera de baisser au Sud pour atteindre 2,1 au milieu du siècle prochain, et que les taux de croissance des populations du Nord et du Sud convergeront vers zéro à la fin du même siècle.
Les raisons de cette baisse sont à chercher dans la réduction de la mortalité infantile, le contrôle des naissances*, les progrès de l'éducation* féminine, la croissance économique et le développement de l'individualisme*.
À ce rythme, la population mondiale atteindra 8,4 milliards en 2030, puis elle se stabilisera autour de 10 milliards. En 2050, il y aura alors 3,8 milliards d'habitants en Asie du Sud (Indonésie*, Inde*, Moyen-Orient*), 2,9 milliards en Asie de l'Est (Chine*, Japon*, Australie), 1,3 milliard en Amérique latine* (contre 400 millions en 1980), 2,4 milliards en Afrique* (contre 550 millions aujourd'hui).
Si la fécondité baissait plus vite que prévu, la population mondiale culminerait en 2030 à 7,5 milliards. L'âge moyen de cette population se stabiliserait alors à un niveau plus élevé. Mais si, à l'inverse, la fécondité restait ou redevenait élevée, la croissance démographique pourrait s'accélérer.
Si la société mondiale évolue vers un modèle anglo-saxon, individualiste et libéral, la fécondité baissera pour s'aligner sur le strict minimum. Mais si elle s'oriente plutôt vers un métissage des valeurs, si le civiLego* devient la règle, alors la Fraternité* deviendra l'utopie*, le désir d'enfants reviendra, l'humanité y trouvera une nouvelle jeunesse.
DÉPRESSION
La première maladie* chronique, aux conséquences économiques et sociales considérables : 300 millions d'individus au moins en sont de nos jours atteints. La génomique* devrait permettre d'énormes progrès dans sa compréhension et son traitement en faisant reculer la psychothérapie au profit du recours à la pharmacopée.
DÉSIR
Instrument du dépassement et du malheur*, de la découverte* et de la souffrance*. Là où il sera combattu triomphera l'ignorance ; là où il sera glorifié, s'épanouira la frustration. Pour sortir de ces dilemmes, on proposera de safisfaire des désirs virtuels, d'expérimenter des délires, de perdre conscience de soi en vivant l'inconscient d'autrui dans une sorte de carnaval* des appétits et des fantasmes.
DETTE
Les jeunes s'endettent, les vieux épargnent. Plus la population d'un pays sera jeune, plus les débiteurs y seront au pouvoir. Depuis que le Nord* vieillit, les créanciers y ont obtenu la valorisation de leurs actifs par la fin de l'inflation*. Là où, comme aux États-Unis*, la demande est soutenue par l'endettement explosif des consommateurs et de l'État*, il faut s'attendre à une crise qui rééquilibrera les pouvoirs, acculant les débiteurs à payer.
Le Nord* vieillissant tend aussi à exiger du Sud*, jeune, le remboursement d'une dette devenue considérable. D'où le transfert net du Sud vers le Nord de 35 milliards de dollars par an pendant les trente prochaines années. Ce flux ne pourra durer. Une vague d'inflation* mondiale viendra effacer ces dettes pour favoriser un nouvel endettement des jeunes qui auront pris le pouvoir au Sud et dont la consommation sera convoitée par le Nord.
DÉVELOPPEMENT
Indicateur de richesses de plus en plus indépendant de celui de la croissance économique, intégrant ces mille et une dimensions que sont la qualité de la vie, l'espérance de vie, la justice sociale, l'équité fiscale, en passant par l'alphabétisation, le système de soins, la protection de l'environnement, etc.
Pour le mesurer, une nouvelle comptabilité mondiale apparaîtra, multidimensionnelle ou multisectorielle.
DEVOIR
Les siècles précédents ont défini et fait prévaloir des droits* de l'homme ; le XXIe siècle revendiquera des devoirs à l'égard des générations présentes, passées et futures :
 devoir d'ingérence*, d'assistance, de fraternité*, de maternité* et de paternité* vis-à-vis des générations présentes ;
 devoir de conserver et entretenir le patrimoine légué par les générations précédentes, de préserver la diversité ;
 devoir à l'égard des générations futures de sauvegarder la planète, de protéger l'homme contre lui-même, de s'interdire de créer un homme qui n'aurait plus les moyens de créer, etc.
On introduira ces devoirs dans la législation. On punira non plus seulement ceux qui outrepassent leurs droits, mais ceux qui ne remplissent pas leurs devoirs.
DIASPORAS
Communautés vivant hors de leurs territoires d'origine, conscientes de leur identité plurielle, élites aventureuses, aux aguets, participant de plusieurs cultures, parfois membres de l'hyperclasse* et grandes utilisatrices des nouvelles technologies de communication.
Leur nombre et leur importance augmenteront avec l'accélération des mouvements de populations. Il y aura des diasporas du Sud* au Nord*, et du Nord au Sud. Elles se constitueront en entités autonomes avec des droits* reconnus. Les nations* seront de plus en plus des juxtapositions de diasporas. Les communications entre leurs membres à travers le monde seront facilitées par Internet*. Dans certains pays, plusieurs s'opposeront entre elles et avec les autorités locales, revendiquant la multiappartenance et la multiallégeance*.
La force d'une nation* dépendra de l'importance de ses diasporas et de la qualité des liens qu'elle aura su entretenir avec elles.
Les diasporas chinoise, russe, française et italienne seront particulièrement dynamiques. La puissance de la diaspora chinoise sera même, pendant la première moitié du siècle, supérieure à celle de la Chine* elle-même. Déjà, en Indonésie*, les Chinois possèdent 70 % du capital et dix-sept des vingt-cinq premières affaires. Ils comptent pour 10 % de la population de la Thaïlande, y possèdent neuf des dix plus grands groupes et représentent 50 % du PIB thaïlandais.
La méfiance des sédentaires à leur égard ne cessera de grandir. Les prochains massacres seront provoqués par des sédentaires qui tenteront de chasser des nomades*, plutôt que par des nomades cherchant à déloger des sédentaires.
DICTATURE
Bien des pays connaîtront encore la dictature. Pas ceux auxquels on s'attend, pas celle que l'on connaît.
L'impuissance du politique* face aux forces du marché*, l'absence de travail* pour tous, l'incapacité à donner un sens au long terme ouvriront, même dans les démocraties les plus affermies, c'est-à-dire même en Europe* de l'Ouest et aux États-Unis*, un vaste espace aux tentations totalitaires. Sous couvert d'intégrité, de pureté, d'ordre, elles refuseront la mobilité et la précarité*, la réversibilité* ; les diasporas* et le nomadisme* seront leurs boucs émissaires. Elles caricatureront la Fraternité* pour se l'approprier.
Puis s'exprimera une demande confuse de dictature planétaire qui ne pourra pas se matérialiser, faute d'un lieu de pouvoir et de moyens de l'exercer.
DISSUASION
Confrontation virtuelle de nations* définissant rationnellement leurs stratégies, elle sera déstabilisée par la multiplication des acteurs disposant d'armes de destruction massive.
Vers 2020, trente pays au moins seront à quelques mois de disposer de l'arme nucléaire* et pourront la posséder dès qu'ils en décideront. Plusieurs détiendront de surcroît d'autres armes de destruction massive (radioactives, chimiques, bactériologiques, à laser*). Certains de ces pays seront dirigés par des personnages incertains aux motivations irrationnelles.
Comme la probabilité de telles situations augmentera avec le nombre d'armes et de pays, l'équilibre de la terreur sera de moins en moins efficace. L'usage de ces armes cessera alors d'être une hypothèse théorique. Le réel reprendra le pas sur le virtuel. Sauf à imaginer une police internationale suffisamment efficace pour enrayer puis réduire une telle prolifération*.
DISTINCTION
Distinguer, trier*, classer revient à donner du sens.
Du fait du marché*, toutes les valeurs tendront à devenir monétairement équivalentes. Les médias homogénéiseront les informations et les idées, présentées en vrac : faits divers avant géopolitique*, spectacle* avant découverte*, etc. La démocratie* elle-même poussera tous les partis* à émettre des programmes ressemblants pour attirer les mêmes électeurs.
Toute civilisation, au contraire, exige de distinguer l'essentiel de l'accessoire, le long terme de l'immédiat, le droit* du devoir*. Pour cela, elle a besoin de codifier et différencier des valeurs, d'inventer des moyens de les hiérarchiser. La distinction sera une forme supérieure de la civilisation.
DISTRACTION
Tout voyage* sera distraction, toute distraction sera voyage. On n'acceptera plus de fournir un effort sans être récompensé, d'apprendre sans jouer, de consommer sans être séduit. Le cinéma*, le théâtre*, le sport*, le tourisme*, toutes les activités qui détournent l'attention de la précarité* de la condition humaine seront d'autant plus recherchées que l'individualisme* se nourrit du précaire, fine enveloppe de la fragilité.
DOLLAR
Restera une des monnaies de réserve et de transaction dans le monde entier, même si son rôle diminuera au bénéfice d'abord de l'euro*, puis du yuan* et d'autres monnaies d'Asie*. Avec son sort se joueront la place et le rôle des États-Unis* dans la géopolitique*. Si le dollar conserve sa prééminence, les États-Unis pourront maintenir leur hégémonie. Ils feront d'ailleurs tout pour conserver ce rôle qui leur permet de ne jamais rembourser une dette de plus en plus lourde. Car le sort du dollar dépend de la toute-puissance américaine au moins autant que l'inverse. En revanche, si le dollar cesse d'être une valeur refuge, les États-Unis perdront une de leurs meilleures armes géopolitiques.
Le déclin relatif du dollar a commencé en 1971 : il représentait alors 76 % des réserves des banques centrales et 60 % des échanges internationaux. Il ne compte plus aujourd'hui que pour 63 % des réserves et seulement 45 % des échanges.
Si les États-Unis se révèlent capables de maîtriser leur dette extérieure (un trillion de dollars, croissant de 15 à 20 % par an), ce qui est l'hypothèse la plus vraisemblable, le dollar restera une monnaie de réserve, même si sa part dans l'économie mondiale vient à baisser jusqu'à ne plus représenter que le tiers des réserves, et une part encore moindre des échanges. Si, au contraire, leur dette n'est pas maîtrisée – soit parce que le déficit américain vis-à-vis de l'Asie reste considérable, soit parce que les taux d'intérêt s'élèvent - et si, simultanément, s'installe un euro* stable, le dollar s'effondrera. Après une grave crise, il pourra même cesser totalement de servir d'instrument de réserve, comme cela est arrivé naguère au florin, puis à la livre sterling.
Si l'euro* ne se matérialise pas (ou s'il n'est pas rapidement conforté par la mise en place en Europe* d'institutions politiques fédérales), le dollar, quel que soit l'état de la dette américaine, réinstallera sa prééminence pendant tout le siècle, faute de devises concurrentes.
DROGUE
Forme particulière de distraction* et de voyage*, elle deviendra une ressource essentielle des pays producteurs, puis des pays consommateurs. Pour éviter le développement continu de l'économie criminelle, on abolira progressivement les interdits. À terme, la frontière* entre drogues légales et illégales disparaîtra ; rien ne pourra plus être prohibé, pas même les drogues à effets irréversibles sur le cerveau*. Leur consommation sera une des formes extrêmes de l'exercice de la liberté* en économie de marché*. Elles ne seront contrôlées que comme le sont aujourd'hui l'alcool et le tabac*. Elles recouvriront un spectre très vaste de produits psychotropes. Quand on connaîtra les mécanismes génétiques de leur action, on pourra tenter de bloquer les risques* d'accoutumance et d'irréversibilité.
On voyagera ensuite virtuellement dans des univers suscités par de pseudo-drogues, passant des voyages réels en drogues réelles à des voyages réels en drogues virtuelles, voire à des voyages virtuels en drogues virtuelles. Jusqu'à l'émergence de prothèses* bioniques* branchées directement sur le cerveau, qui aideront à voyager, à fantasmer, à produire sur commande des images mentales.
DROIT
Organisation des rapports privés entre les individus, il s'imposera contre la Loi* qui organise les rapports des individus en société. Il réduira ainsi le rôle de l'État* et assurera un semblant d'ordre international par un enchevêtrement de conventions liant les États* les uns aux autres.
Par ailleurs, une bataille opposera les diverses formes de Droit, en particulier entre les deux versants de la civilisation* occidentale. La conception américaine, qui présuppose l'autonomie illimitée de l'individu, s'opposera de plus en plus à la conception européenne, pour qui les droits de l'individu sont limités par ses responsabilités* à l'égard d'autrui et de la communauté.
La nature des nouvelles technologies et les exigences du marché* imposeront au monde la conception américaine.
Dans la mesure où qui que ce soit pourra recevoir tout message venu d'où que ce soit envoyé par qui que ce soit, il sera encore possible de protéger un secret*, mais pas d'interdire l'accès aux informations émises volontairement sur tout un réseau* par un tiers. Seule l'émergence d'un droit d'ingérence* et d'une démocratie* sans frontières* pourrait permettre la mise en place d'une police des réseaux capable de limiter le droit de polluer les autres en leur délivrant des informations non souhaitées.