J
JAPON
Le grand perdant du premier tiers du XXIe siècle. Une évolution démographique catastrophique, une mobilité difficile, une innovation rare, une industrie et une recherche presque absentes de l'informatique*, des biotechnologies*, de l'aéronautique : il ne pourra éviter le déclin qu'en s'ouvrant très largement à l'extérieur.
Rarement les futurologues se sont autant trompés qu'à son propos : en 1975, une projection des tendances de l'époque montrait que le revenu par tête du Japonais dépasserait celui des États-Unis* en 1985. Aujourd'hui, il n'est que de 83 % et, au rythme actuel, il ne l'atteindra au plus tôt qu'en 2005, voire jamais.
Si les Japonais ont aujourd'hui l'espérance de vie la plus élevée du monde (77 ans pour les hommes, 83 pour les femmes), la fécondité y est la plus faible (1,5), le taux de natalité le plus bas (10 pour 1 000 habitants) ; le pays ne peut que vieillir, se rabougrir. La population ne sera plus que de 125 millions d'habitants en 2025. Elle décroîtra ensuite si la fécondité ne se redresse pas. En 2025, il n'y aura plus que deux cotisants pour un bénéficiaire de la retraite*, contre quatre aujourd'hui. Le financement des retraites deviendra très difficile. En 2020, les plus de 65 ans représenteront 25 % de la population et les dépenses de santé* dépasseront 30 % du revenu national. Pour maintenir le niveau actuel de santé et de retraite, les prélèvements obligatoires devront passer de 37 % du revenu national à plus de 50 %. Pour éviter une telle extrémité, il faudrait accepter l'entrée massive des femmes ou d'étrangers sur le marché du travail.
Enfin, le Japon ne pourra durablement faire financer par les États-Unis son excédent avec le reste du monde.
Démocratie* encore sommaire et largement contrôlée par des clans corrompus, le Japon ne pourra éviter le déclin qu'en s'ouvrant aux idées, aux cultures et aux entreprises* des autres.
Il n'est cependant pas sans atouts. Il contrôle quelques-unes des premières technologies d'après-demain, des minidisques* aux nanotechnologies*. Il dispose de réserves financières considérables. Sa population est bien formée et pourrait infléchir en quelques décennies la donne démographique.
Quoi qu'il en soit, une crise est devant le Japon, qui ne pourra compter sur aucun allié en Asie pour l'aider à l'affronter. Solitude du samouraï... Il devra alors forcer des portes. Si les États-Unis le défendent encore, il cherchera à s'en sortir avec et grâce à eux. Si les États-Unis se dérobent, il cherchera à disposer de l'arme nucléaire. Alors un conflit avec la Chine risque de devenir inévitable.
Au-delà, la Chine deviendra son meilleur allié si les deux pays parviennent à transcender leur haine ancestrale ainsi que l'ont fait durant la seconde moitié du XXe siècle la France et l'Allemagne. Ensemble, ils pourraient alors organiser l'Asie en un continent auquel, pour un temps, plus rien ne résisterait.
JÉRUSALEM
Naissance et rencontre d'au moins trois civilisations* ; paroxysme des contradictions religieuses, politiques, nationales, culturelles, géopolitiques et économiques du siècle prochain. Il faudra y inventer une façon de faire vivre ensemble des gens aux droits légitimes et contradictoires. Pour cela, y inventer une multicitoyenneté qui fera de cette ville* la capitale simultanée de plusieurs États*, en même temps qu'une ville internationale à l'avant-garde de la multiallégeance, de la « démocratie* sans frontières* ».
JEU
Pour chasser l'effort du travail*, pour soutenir l'intérêt de l'apprentissage, le jeu deviendra le masque de toute activité* : consommation, formation*, distraction*, séduction, sexualité*... Jeu de hasard ou de compétition, de combat ou d'intelligence, surtout de simulation, à deux ou plusieurs.
Déjà, il a assuré l'entrée des ordinateurs* dans la maison. Demain, il interviendra dans l'éducation*, le tourisme*. On a appris à jouer ; on jouera pour apprendre. Il sera une incitation à consommer, à participer, à voter même. Il assurera, par le gain, un simulacre* de mobilité sociale.
Il sera bientôt possible de pénétrer par l'imaginaire et par les sens dans des espaces de jeux vidéo devenus à trois dimensions, de jouer aux échecs* avec un champion virtuellement assis en face de soi, en manipulant les pièces sur un échiquier virtuel, de s'affronter à des clonimages* au tennis, au bridge, au football*. Un peu plus tard se créeront des parcs d'attractions virtuelles où le visiteur pourra s'entraîner au ski, au tennis contre des clonimages de champions, jouer au golf sur les plus beaux parcours du monde, descendre les rapides les plus spectaculaires, chasser des animaux* sauvages, visiter des villes mortes, des planètes, remonter le cours du temps pour participer à une course de chars à Rome ou à la bataille de Gettysburg. Et, surtout, simuler toutes les situations avant de les vivre : répéter une scène de séduction ou de rupture et observer les réactions d'autrui. Jeu de l'amour sans plus de hasard...
JEUNESSE
Pendant la première partie du siècle, celle du Nord* sera la grande perdante sur le plan économique et politique. Seuls ceux qui réussiront à se glisser dans l'hyperclasse* s'en tireront. Les autres souffriront de l'absence de travail* et de perspectives. Puis ils se révolteront et, bien que de moins en moins nombreux, porteront le projet de la Fraternité*.
Pendant ce temps, celle du Sud*, qui dominera démographiquement, rêvera de vivre au Nord. Et y viendra. Associée à la révolte des jeunes du Nord, elle s'en retournera pour une large part chez elle et y deviendra le principal moteur du renouveau. Avant de vieillir à son tour...
JOUETS
Pas d'enfance sans jouets. Les premiers d'entre eux : le sein d'une mère, le pouce d'un père, le reliquat de nourriture une fois l'appétit comblé, les emballages... Les objets-jouets, eux, seront toujours des simulacres*, mimes des dieux ou des objets* appartenant aux adultes. Des katchinas hopies aux automobiles miniatures, ils font découvrir aux enfants ce que, adultes, ils auront à adorer. Instruments de domestication, ils seront de plus en plus des jeux de simulation du travail* sur ordinateur*, d'apprentissage de la consommation sur l'orditévé*, clonimages* domestiques d'abord accessibles sur l'écran, puis à trois dimensions pour combler les vides de la solitude, compagnons virtuels, animaux ou humains, remplaçant les frères, les sœurs, la famille. Pour échapper à cette canalisation de l'imaginaire vers l'univers marchand, il faudra se livrer à d'infinies variations autour du Lego* : apprentissage de l'ego, de la liberté* et de l'autre.
JUDAÏSME
Avant-garde du monothéisme, première diaspora*. Rompu en plusieurs tribus* dispersées, il pourrait s'écarteler davantage encore en diasporas contradictoires, les unes attachées à la Terre, d'autres au Livre, d'autres encore au Monde. Là où il se nourrira du choc avec la Raison, son message restera celui de l'émancipation de l'homme et participera de l'invention permanente des valeurs du nomadisme* dont il est issu.
JUSTICE
Devenue le premier pouvoir, avec l'aide de la presse. Fascinant les opinions, elle imposera une nouvelle norme éthique plus sévère contre les crimes des puissants, moins rigoureuse pour les délits des plus faibles. Elle organisera ainsi l'élimination systématique des anciennes élites, leur mise en examen et leur condamnation à la déchéance civique équivalant à une guillotine sans terreur.
Puis le marché* l'emportera sur la démocratie* et conduira d'une société pyramidale (où la justice est nécessaire pour faire appliquer la Loi*), à une société en réseaux* (où le contrat remplace la Loi). La Loi se fait respecter devant un juge ; le contrat se conteste devant un arbitre communément agréé et financé par les parties. Le juge se découvrira l'accoucheur d'une société où il n'aura presque plus de place.