P
PAIX
Le XXIe siècle devrait en principe être plus pacifique que le XXe. Parce que la mondialisation* rendra la guerre* suicidaire en vidant les frontières* de leur sens. Parce que les armes* seront d'une efficacité telle qu'elles risqueraient de détruire la planète à la première salve.
Pour autant, les causes de guerre – géopolitiques*, économiques et ethniques – ne manqueront pas. Aucune superpuissance, aucune alliance, aucune organisation régionale ou mondiale n'aura les moyens juridiques, financiers et militaires d'empêcher la propagation de tels incendies dès lors qu'ils seront allumés. La paix ne sera donc sans doute jamais qu'un état passager entre deux conflits.
La seule façon de la maintenir durablement serait de prendre chaque fois les devants pour organiser le dialogue, le compromis et la coopération entre voisins, atténuer l'acuité des antagonismes avant qu'il ne soit trop tard.
Une organisation de la paix universelle commencera à être envisagée avec les premières discussions en vue de l'instauration d'un gouvernement mondial.
PANIQUE
Moteur du marché* et de la démocratie*, à la source de la civilisation* occidentale, elle aura, avec la généralisation du nomadisme*, des effets de plus en plus dévastateurs.
La panique, mouvement moutonnier par lequel chacun imite l'autre par peur d'être marginalisé, laissé pour compte, n'est pas un dérèglement de la civilisation occidentale, mais sa substance même. Elle y jouera un rôle de plus en plus important.
C'est par panique, par peur d'être mis sur la touche, que le travailleur s'accroche à un emploi sous-payé ; par peur de ne pas « en être », sous l'empire de l'effet d'imitation ou de la dictature du consensus, que le consommateur se précipite sur l'objet à la mode ; par peur de manquer une « bonne » affaire que l'épargnant se rue sur les produits qu'on lui recommande. Ainsi la panique fixe-t-elle la valeur des choses et des gens en fonction du nombre de ceux qui les achètent ou les approuvent : le hit-parade est jauge de valeur.
La panique s'autoentretient : c'est un de ses traits les plus terrifiants. Elle puise sa force en elle-même. Comme elle rapporte à ceux qui y cèdent et punit ceux qui y résistent, elle se nourrit de ses résultats et ne trouve sa limite, comme un incendie, que dans la consumation de toutes les matières inflammables, la consommation de tous les profits.
La panique vient avec l'erreur. Elle atteint ceux qui se laissent tromper par des prévisions erronées, des conseils mal avisés, des modes excessives ; et pour qui, une fois les erreurs assumées, l'urgence reste de faire comme les autres, mais, cette fois, dans l'autre sens.
La panique s'accélérera avec la globalisation* et la libéralisation des échanges, des investissements et des mouvements financiers qui faciliteront le déclenchement et la transmission des mouvements de masse. Les nouvelles technologies, qui augmentent la connexité* des événements et la vitesse de transmission des informations, l'accéléreront elles aussi en uniformisant les évaluations par l'usage universel de banques de données informatiques et de moteurs de recherche sur Internet*. Enfin, la croissance sans frein des marchés financiers, dont la valeur dépassera cinq cents fois celle de l'économie réelle, fournira le carburant de l'euphorie et du désastre.
De nouvelles paniques surgiront, liées aux futures menaces de catastrophes* naturelles ou de marché*. Il faudra apprendre à vivre avec, en disciplinant les libéralisations irréfléchies des échanges ; en cloisonnant les marchés les plus volatils, en particulier ceux de devises ; en répartissant plus équitablement les risques*, en particulier en assurant aux organisations internationales des ressources propres permettant de faire financer les risques par ceux-là mêmes qui ont intérêt à leur réduction ; en lançant des contrepaniques, c'est-à-dire en amorçant des mouvements économiques à contresens, par des investissements publics internationaux marquant la confiance de la collectivité mondiale dans son avenir à long terme.
Tel est le sens profond de ce que Keynes proposait jadis pour un seul pays et qui sera bientôt nécessaire à l'échelle de la planète entière.
PAPIER
Matériau* toujours d'extrême avant-garde, offrant un confort de lecture qu'aucun écran* ne pourra proposer avant longtemps.
Son usage augmentera avec l'apparition de nouveaux objets* de communication : après le fax et l'imprimante, des microrelieurs automatiques permettront de fabriquer à domicile des livres choisis dans l'hyperespace*.
L'épuisement des forêts* conduira à développer de nouvelles plantations spécifiquement réservées aux fabricants de pâte à papier et à modifier génétiquement les arbres utilisés. On inventera même un papier effaçable et réutilisable pour les fax et les imprimantes.
Le papier dit traditionnel deviendra alors un support de luxe particulièrement recherché.
PARIS
Première ville* culturelle d'Europe, premier site touristique du monde. Souffrira un jour de la violence de ses banlieues qui pourraient y répandre l'insécurité par des incursions répétées dans ses beaux quartiers.
PARTENAIRE
Un des nouveaux statuts du travailleur, intermédiaire entre salarié et consultant. Entrepreneur indépendant travaillant pour une entreprise (ou plusieurs) dans une fonction que celle-ci a choisi de ne pas faire remplir par l'un de ses salariés.
PARTI
D'abord rassemblement de citoyens autour d'un projet*, devenu rassemblement de militants autour d'un programme, puis regroupement de partisans autour d'un candidat. Deviendra inutile à la démocratie* lorsqu'elle aura basculé de la hiérarchie au réseau*. Naîtront d'autres façons de canaliser les désirs individuels en ambitions collectives.
PASSEPORT
Titre de propriété associé à la citoyenneté* ; il deviendra marchandise*.
Le passeport est aujourd'hui un bien rare que seuls les États* ont le droit de distribuer à leurs ressortissants et aux étrangers* naturalisés selon des lois très rigoureuses et en fonction de critères variés : proximité culturelle, niveau scolaire, capacité d'intégration, etc. Or, la demande de certains passeports sera de plus en plus supérieure à la quantité offerte. S'il faut choisir entre des gens ayant les mêmes mérites, on peut s'attendre que les passeports de certains pays soient distribués par tirage au sort, ce que font déjà les Etats-Unis* pour accorder des droits d'entrée et de travail.
Il n'est nul cas dans l'Histoire* où un bien rare a pu très longtemps être alloué sans que l'argent vienne à jouer un rôle dans sa distribution. Déjà, dans certains pays, il joue un rôle légal dans l'octroi des titres de séjour et des passeports. Aux États-Unis*, la green card est accordée d'office à quiconque vient s'installer avec un million de dollars ; en échange de la promesse d'engager neuf Américains dans les cinq ans à venir, l'immigrant obtient même sa naturalisation. C'est aussi le cas au Canada, ou encore en Australie où les citoyens de Hongkong sont d'autant mieux reçus que leur compte en banque est bien fourni. Il existe d'autres pays où l'on peut acheter son passeport soit avec de l'argent, soit avec la réputation dont on fait bénéficier le pays hôte. La Suisse et la principauté de Monaco en donnent l'exemple en accueillant financiers, étoiles*, écrivains ou sportifs de renom.
On ira beaucoup plus loin. Pour éviter d'être accusés de corruption ou de sélection ethnique, les pays dont la nationalité est la plus demandée mettront leurs passeports aux enchères, assurant ainsi de précieux revenus à l'État*.
Puis le marché* s'installera. Le passeport deviendra un bien privé, cessible par son propriétaire sans intervention de l'État. On pourra acheter des passeports de toutes les nationalités à Wall Street et ailleurs. Leur cote rendra compte de la valeur du pays en termes de sécurité, de fiscalité, d'avenir pour les enfants, selon des critères voisins de ceux qui fixent aujourd'hui les cours des bons d'État ou des devises. Ils auront ainsi leurs cours à terme, leurs options, etc. Les plus riches accumuleront plusieurs passeports et deviendront collectionneurs de nationalités. Des spécialistes aideront les riches à choisir la citoyenneté la mieux adaptée à leurs besoins du moment, de même que l'on conseille pour des placements financiers. Enfin, des pauvres de pays riches seront suffisamment aux abois pour vendre leur nationalité comme on vend déjà son sang ou ses organes*. Ils se retrouveront alors apatrides, avec peut-être encore les moyens d'acheter un passeport moins prisé que celui qu'ils auront vendu.
Plus tard, on pourra même vendre d'autres éléments constitutifs de son identité*, tels son nom, ses empreintes digitales, son clonimage*, son clone*...
PATERNITÉ
Si la nature fait les mères, la société fait les pères. Et de plus en plus les défait.
Quand les familles* se rompent, c'est le père qui, le plus souvent, cesse d'exercer ses responsabilités. Pourtant, la présence d'un père est absolument nécessaire à la formation de l'enfant*. Sans elle, celui-ci ne peut développer un rapport cohérent au monde, à l'expérience*, au pouvoir, à l'autorité. Devenue de plus en plus fugace, cette relation deviendra un devoir* internationalement reconnu, et pas seulement dans les pays les plus riches. Nul n'aura plus le droit* d'avoir un enfant s'il ne s'engage à en assumer la responsabilité* pendant au moins quatorze ans. En particulier, transmettre un minimum de savoir humain sera un devoir juridiquement exigible. Les modes d'exercice d'un tel devoir devront être soigneusement mesurés pour ne pas accélérer la crise démographique.
On assistera alors à la rencontre entre un nouveau droit (à l'enfance*) et un nouveau devoir, la paternité. En échange, les pères devront obtenir certains droits : comme c'est déjà le cas pour celui de mère, le métier* de père sera rémunéré par la société.
PAUVRETÉ
Principal défi politique du XXIe siècle. Au moment même où la croissance mondiale est la plus élevée de l'histoire humaine, on peut s'attendre, d'ici 2030, au doublement du nombre de ceux qui devront vivre avec moins de 1 dollar par jour. La pauvreté affectera un tiers de la population du Sud*, surtout en Afrique subsaharienne* et en Asie*. Elle reviendra au Nord* par le jeu des migrations. Par ailleurs, les plus pauvres resteront les principales victimes des multiples aspects non directement financiers de la misère : le manque d'éducation*, de soins et d'hygiène, de logement*, de travail*, d'eau* potable les touchera toujours avant et plus que les autres ; ils resteront les premières victimes du sida*, de la pollution*, du travail forcé et de l'abus sexuel.
La pauvreté est un concept relatif. Aujourd'hui, 1,3 milliard d'humains vivent avec moins de 1 dollar par jour, dont la moitié dans le Sahel, l'Amérique andine et au pied de l'Himalaya ; 2,8 milliards de personnes disposent de moins de 2 dollars par jour. En Europe de l'Est et dans la CEI, 120 millions vivent au-dessous d'un seuil de pauvreté fixé à 4 dollars quotidiens. Dans les pays les plus industrialisés, 100 millions de personnes vivent avec moins que la moitié du revenu individuel moyen. Aux États-Unis, une personne sur quatre vit au-dessous du seuil de pauvreté. Au total, 840 millions d'adultes et 160 millions d'enfants sont mal nourris ; 1,2 milliard n'ont pas accès à l'eau potable ; 13 millions de personnes meurent de faim ou de malnutrition chaque année ; les deux tiers des êtres humains ne bénéficient d'aucune protection sociale.
La situation ne fait qu'empirer en valeur absolue, sinon relative, depuis qu'on la mesure : le nombre de personnes vivant avec moins de 1 dollar par jour a augmenté de 100 millions entre 1987 et 1993. Un seul continent, l'Asie de l'Est, a réussi à réduire la pauvreté pendant au moins un temps : le nombre de gens vivant avec moins de 1 dollar par jour y est passé de 700 millions à 350 millions en vingt ans, et il n'y a plus qu'un dixième de la population d'Asie de l'Est à vivre au-dessous du seuil de pauvreté, au lieu d'un tiers en 1970. Mais ce nombre risque de réaugmenter après la crise de 1998.
Le marché* ne réduira pas la pauvreté ; au contraire, il aiguisera les inégalités* et provoquera des exclusions radicales, sources de pauvreté irréversible. Il n'assurera seul ni justice ni équité.
Dans l'avenir, si la tendance actuelle se poursuit, le nombre de pauvres vivant dans le Sahel et au pied de l'Himalaya passera de 500 à 800 millions en 2020 ; 3 milliards d'hommes vivront avec moins de 1 dollar par jour en 2050. Le pauvre sera moins souvent un paysan* d'Asie, et davantage un chômeur urbain d'Afrique ou d'Amérique latine, disponible pour toutes les violences et les accès de désespoir. Tous seront les principales victimes de la dégradation des ressources naturelles.
L'éradication de la pauvreté signifierait de permettre à chaque homme de disposer de moyens de vie supérieurs à un seuil de dignité internationalement défini. On ne peut pas attendre de chaque État* du Sud qu'il y parvienne par la redistribution de ses richesses nationales. Les nations pauvres ne sauraient régler seules le problème de leurs exclus. D'autant moins que le marché poussera les minorités riches à refuser leur solidarité aux majorités pauvres.
Pour parvenir à une solution, il faudrait pouvoir organiser des mutations gigantesques, complexes et à l'échelle du monde, dans cinq directions :
 organiser une nouvelle révolution* verte pour permettre de développer la sylviculture et les troupeaux ;
 instaurer sur place une démocratie* responsable permettant aux pauvres de se prendre en charge ;
 mettre chaque personne en situation de créer des richesses en lui prêtant les moyens de microcrédit* nécessaires ;
 organiser un accès universel aux services sociaux de base (éducation* primaire pour tous, nourriture, santé*) afin de réduire la mortalité infantile et maternelle ;
 créer des instruments mondiaux de transfert de ressources comme il en existe à l'échelle des nations : la mondialisation du marché devrait s'accompagner de celle des instruments de correction des errements du marché. Cela voudrait dire, à terme et idéalement, créer un revenu* minimal mondial explicite, et non, comme il l'est aujourd'hui, résultat ou résidu implicite de l'action du marché. Un tel revenu serait la contrepartie d'un contrat aux termes duquel celui qui le recevrait s'engagerait à fournir des services dans la mesure de ses moyens. Pour verser au milliard le plus pauvre les moyens de doubler son revenu*, il faudrait disposer d'environ 400 milliards de dollars par an. C'est hors de portée, sauf à collecter une taxe sur les transactions spéculatives : une telle taxe au taux de un pour mille rapporterait exactement la somme nécessaire. Mais ce type de prélèvement serait aujourd'hui impossible à imposer.
De pareilles mesures n'émaneront pas des pauvres eux-mêmes, au moins pendant un temps. La misère engendre résignation collective et ambitions personnelles, scepticisme politique et cynisme individuel. Plus tard, néanmoins, elle fera surgir une menace révolutionnaire suffisamment crédible pour inquiéter les élites du Nord* et les amener à réviser leurs priorités.
PAYSAN
Producteur de produits agricoles et d'élevage, gardien de la nature, aménageur du territoire, garant des grands équilibres écologiques et de la protection des ressources. Il acceptera d'être autre chose qu'agriculteur, pour devenir jardinier de l'environnement. À ce titre, il sera rémunéré par les nations qui s'intéresseront à autre chose qu'au seul bien-être des générations présentes. Excellent exemple d'action démocratique* sans frontières* dans le temps* : la promesse est tenue dans les faits avant que d'être formulée à des destinataires pas encore nés.
PÉAGE
Bien des réseaux* cesseront d'être gratuits. D'abord les réseaux routiers urbains dont l'usage devra être rémunéré pour maîtriser et réduire l'encombrement*. Une puce dans chaque voiture permettra d'éviter les embouteillages aux caisses.
Un péage sera ainsi installé sur tous les réseaux menacés d'encombrement (comme Internet*) et partout où la gratuité aura disparu (eau*, transmission d'images, etc.).
PEINES
La hiérarchie des peines criminelles sera sans doute transformée, en tout cas dans les démocraties avancées, pour aggraver les sanctions frappant les crimes et délits financiers et les faits de corruption, et pour alléger celles visant certains délits commis par les plus pauvres. Si la peine de mort était planétairement proscrite à la fin du siècle, ce serait une preuve irréfutable du progrès de la civilisation.
PEINTURE
On inventera des moyens de peindre artistiquement sans support, sur un écran* virtuel, ou avec de la peinture virtuelle sur des toiles réelles. Puis on créera des tableaux virtuels dans des hyperespaces* à trois dimensions, assurant ainsi la convergence de la peinture, de la sculpture* et de l'architecture*, et même, plus tard, du cinéma*, du théâtre* et du roman* : lorsqu'il sera possible de peupler des univers virtuels avec des populations imaginaires à qui l'on fera vivre des aventures dans lesquelles le spectateur pourra intervenir directement ou par l'intermédiaire d'un double virtuel, un clonimage*.
PÉKIN
Capitale de la Chine populaire, puis de la Chine, puis de la Chine du Nord.
PERSONNE
La frontière* qui la sépare de l'artefact s'amincira. Il faudra la défendre.
La personne humaine a commencé à se produire comme artefact dès qu'elle est intervenue et a interféré dans le processus naturel de procréation. Bientôt, on choisira le sexe, on éliminera les défauts génétiques*, on adaptera même la personne humaine à l'environnement faute de pouvoir le restaurer. Sera-t-on alors encore face à un être humain ou à un artefact ?
Il faudra définir plus précisément le propre de l'homme, décider quand et il commence et finit.
Quand : sera-t-on autorisé à modifier les cellules germinales ou seulement l'embryon quelques jours plus tard, la division cellulaire ayant rendu impossible toute manipulation génétique irréversible ?
Où : il faudra aussi décider quels caractères sont modifiables. Un homme fabriqué explicitement comme moins instable, moins nerveux, est sans aucun doute encore un homme ; mais l'est-il encore s'il est rendu artificiellement moins créatif ou moins insolent ?
Un des devoirs* de l'humanité consistera à refuser de produire la personne comme un objet* ou une chimère*. Et à revendiquer le droit à l'imperfection, au caprice, au hasard.
PESSIMISME
Hygiène mentale de l'action, poison de l'imagination.
PÉTROLE
En 1950, les réserves n'étaient plus que de vingt ans de consommation. Aujourd'hui, elles sont d'un trillion de barils (officiellement de 2,2 trillions, mais les pays producteurs ont intérêt à surestimer leurs découvertes), soit cinquante ans de consommation au rythme actuel. Au surplus, les réserves repérées doublent tous les vingt ans, et alors qu'aujourd'hui on ne récupère que le tiers du pétrole d'un gisement, on pourrait parvenir à doubler ce rendement, à ainsi doubler encore les réserves actuelles et en avoir assez pour le siècle. Au-delà, les réserves pourront être dites en voie d'épuisement et le prix ne pourra que monter dès qu'une prise de conscience de cette limitation réelle se sera produite.
Au moins pour le prochain demi-siècle, le pétrole restera une forme d'énergie incontournable, même si elle est particulièrement polluante pour l'atmosphère. D'abord parce qu'il alimente les six cents millions de véhicules existants sur la planète ; ensuite parce qu'il y a peu de chances de trouver de nouvelles sources d'énergie adaptées aux exigences du transport individuel privé et du transport aérien. D'autant que les émissions du moteur à explosion ont été sensiblement réduites depuis dix ans.
Ultérieurement, le gaz liquide et les schistes bitumineux permettront peut-être d'attendre le moment où le nucléaire sera devenu « inoffensif ».
PHARMACOGÉNOMIQUE
Médicaments* adaptés aux spécificités génétiques de chaque individu. Dans un premier temps, ils permettront de mieux rentabiliser les essais cliniques déjà accomplis et qui ne se sont révélés efficaces que pour une certaine fraction de la population. On cherchera à quelle spécificité génétique correspond cette efficacité. Dans un second temps, on ira vers la production de médicaments sur mesure, sans essais cliniques à l'aveugle. Ce qui entraînera une mutation notable de l'industrie pharmaceutique qui, sans cesser d'être proche de l'industrie chimique, devra devenir aussi génomique* et dépendra des génomiciens pour ses recherches et ses brevets*.
PHILANTHROPIE
Elle prendra des proportions de plus en plus amples, voire planétaires, pour combler les vides de l'organisation internationale, tout comme elle précéda au xixe siècle la mise en place des institutions de retraite* et de protection sociale.
Une économie du mécénat*, de la charité, de la fraternité*, financera des musées, des universités*, des hôpitaux, des ONG* et même des institutions* internationales telles que l'ONU*, l'OMS et l'UNESCO.
PHILOSOPHIE
Une des formes de savoir les plus demandées et les plus nécessaires, elle opérera un retour en force dans les systèmes universitaires, mais aussi dans nombre de lieux publics et sur les réseaux* de convivialité.
Essentielle pour penser et conceptualiser l'éthique du marché*, pour organiser la démocratie* sans frontières* et penser l'au-delà de la précarité*, elle ne se construira pas à côté de la science, encore moins contre elle, mais pour tenter de répondre aux questions que celle-ci ne peut résoudre seule.
La génétique*, les sciences du cerveau* et de la virtualité*, renouvelleront les problématiques du politique*, de la liberté*, de la morale*, de la conscience de soi. Le philosophe aura à dessiner les frontières* entre l'humain et l'artefact, entre ce qui doit absolument être irréversible et ce qui ne doit absolument pas le devenir. Cartographe, médiateur, inventeur d'armistices, le philosophe sera fomenteur de paix.
PION
Particule fondamentale sous-tendant les forces nucléaires fortes, d'où sortira l'énergie de demain.
PIRATE
Criminel naviguant dans les réseaux* de l'hypermonde*. Il peut entrer dans un site en cassant un code, et s'en servir pour modifier la destination d'une demande de prêt, voler un logiciel, dévoiler l'état de négociations secrètes, récupérer un secret* industriel, le dessin d'une arme. Le Pentagone fait déjà l'objet d'environ deux cent cinquante mille intrusions par an, dont la moitié réussissent.
Apparaîtront des « corsaires », spécialistes privés rémunérés par les propriétaires de réseaux et par ceux qui veulent être protégés des pirates pour les arraisonner. Plus tard, une police des réseaux, ayant accès à tous les codes, pourrait reprendre pour le compte des États* le travail des « corsaires ».
Sur les mers* encombrées de réfugiés ou de migrants, des pirates bien réels continueront de sévir.
PLUTONIUM
Il sauvera peut-être l'humanité au XXIIe siècle grâce à la quantité d'énergie qu'il recèle et qui pourra prendre le relais de l'énergie fossile. Mais, au XXIe, il demeurera encore un instrument de mort.
Il en existe environ mille trois cents tonnes, dont la moitié mêlée aux combustibles irradiés, et le reste sous forme pure, militaire ou civile, qui peut permettre de fabriquer des armes nucléaires* rudimentaires.
Une partie du plutonium militaire sera bientôt rendue disponible par la réduction des arsenaux. Pour éviter tout risque de trafic, la gestion la moins dangereuse et la moins coûteuse consisterait à le laisser dans les armes. On pourrait aussi le satelliser en l'envoyant dans l'espace, ou le transformer en produit inerte dans un accélérateur de particules. Aucune de ces solutions, pour l'heure, n'étant à l'évidence satisfaisante, on s'emploiera plutôt à le transformer en plutonium dégradé, civil.
Pour éliminer le plutonium civil venu du militaire ou contenu dans les combustibles irradiés dans les centrales nucléaires, une solution consiste à le séparer des autres déchets* et à l'utiliser de nouveau comme combustible pour les mêmes centrales en le remélangeant à de l'uranium faiblement enrichi sous le nom de MOX. Une autre est de le stocker directement sous forme de combustibles irradiés. Une troisième, de le remélanger à des déchets après en avoir séparé l'uranium, et de le stocker ainsi.
La solution du MOX sera retenue par de plus en plus de pays, mais, comme il est ensuite irradié de nouveau dans les centrales avec le reste du combustible, cela revient en fait à retarder le choix de la forme définitive de stockage ou de l'élimination du plutonium. Trois pays non détenteurs d'armes nucléaires (Belgique, Allemagne*, Japon*) peuvent produire du plutonium pour en faire du MOX. Ils produiront ainsi plusieurs tonnes de plutonium civil qui pourront servir à fabriquer des armes nucléaires rudimentaires.
Un nouveau traité devrait interdire de produire du plutonium civil, donc du MOX, à l'extérieur des cinq puissances nucléaires militaires actuellement autorisées. Le plutonium militaire existant devra être dégradé en plutonium civil et stocké, avec les autres déchets* nucléaires*, dans des silos de très haute protection* en attendant qu'on lui trouve un autre usage.
POISSON
Il deviendra un produit rare et de luxe avant que la génétique* ne bouleverse l'aquaculture et l'équilibre de la mer*.
Il est aujourd'hui la principale ressource en protéines animales d'un milliard d'hommes, pour l'essentiel en Asie* où plus de la moitié des prises sont réalisées, satisfaisant plus de la moitié de la consommation mondiale.
Entre 1950 et la fin du XXe siècle, les prises ont été multipliées par cinq, pour atteindre 100 millions de tonnes. Pour maintenir la consommation à son niveau actuel – 17,9 kg par habitant et par an -, il faudrait pêcher 16 millions de tonnes de plus en 2010.
Ce sera impossible : pour 90 % des espèces consommées (morue de Terre-Neuve, hareng de la Baltique, saumon du Pacifique), les prises sont déjà quatre fois supérieures au niveau maximal permettant à la faune de se reproduire. De plus, 70 % des réserves mondiales sont épuisées ou près de l'être. Sur les dix-sept grandes zones de pêche du monde, neuf sont en déclin. Enfin, le rejet dans la mer de millions de tonnes de composés azotés et phosphorés favorise la croissance d'algues et absorbe l'oxygène nécessaire aux poissons.
L'offre va donc baisser. Les conflits pour le contrôle de zones de pêche se multiplieront entre le Japon*, la Chine* et la Russie*, l'Espagne, la Grèce et l'Italie*, l'Union européenne, le Maroc et le Sénégal. La pêche illégale se développera en Malaisie, au Viêt-nam, en Indonésie*.
Pour éviter que le désastre ne s'accélère, il faudrait une gestion beaucoup plus rationnelle des réserves, la suspension de la pêche de toutes les espèces menacées, l'imposition de contingentements aux pêcheurs et de licences d'accès aux pêcheries.
La production par habitant ne pourra donc que diminuer - de 17,9 kg aujourd'hui à 9,5 kg en 2020 – au moment même où la croissance* du niveau de vie fera augmenter la demande. On va vers un écart grandissant entre l'offre et la demande et donc vers une hausse durable des prix du poisson.
Cette situation ne pourra se modifier que si l'aquaculture parvient à représenter la moitié du total des poissons péchés en 2020. Cela, nul ne peut en jurer.
POLITESSE
Ses règles et conventions continueront de changer. Ses signes extérieurs se borneront à la manifestation de la non-violence à l'égard d'autrui, sans que soit plus imposé le moindre code formel. Tolérance* et distinction* en seront les composantes. La sincérité* y apposera sa frontière*.
POLITIQUE
Comme au temps des Égyptiens et des Grecs, elle aura trois fonctions : religieuse, militaire, économique. Elle ne sera légitime que si elle donne aux hommes le sentiment d'appartenir à un ensemble éternel, si elle protège un territoire, si elle organise les règles du jeu de l'accumulation matérielle.
Or, elle ne pourra plus le faire. Il ne lui appartiendra plus d'organiser le rapport à l'éternité (d'où les nostalgies fondamentalistes*) ; ni d'assurer la défense d'un territoire alors que les pays seront pris dans des systèmes d'alliances et que le marché* abolira les frontières*, imposera des technologies en réseau*, dissoudra le consensus collectif autour de l'impôt et organisera la production.
Pourtant, le politique conservera plusieurs rôles essentiels qu'il restera le seul à pouvoir remplir : organiser le vivre-ensemble, redistribuer les revenus*, fixer les règles du jeu économique et social, incarner la nation*, négocier les alliances de souveraineté, gérer les rapports de force, proposer un projet, donner sens à l'effort. Il ne manquera pas d'enjeux politiques de plus en plus complexes, mais peut-être d'hommes pour les conduire.
POLO
Sport de riches aujourd'hui et demain, spectacle populaire d'après-demain. Parce qu'il véhicule, moyennant des règles semblables à celles du sport le plus populaire, le football, les valeurs du luxe le plus recherché.
PORT
Encore et toujours les premières villes du monde. Elles déterminent le développement de l'intérieur. Leur avenir dépendra de leurs moyens de communication avec de grands marchés intérieurs, et de la rapidité du débarquement des containers. L'informatique jouera un rôle déterminant.
En Amérique*, Long Beach*. En Europe, Rotterdam*. En Asie, Hongkong, puis Singapour* domineront les autres. Singapour deviendra le premier port du monde. Ce classement pourrait être bouleversé par une hausse du niveau de la mer* provoquée par la modification du climat*.
PORTEFEUILLE
Dans l'hyperclasse*, on gérera sa vie comme les boursiers gèrent un portefeuille de titres : on aura plusieurs métiers*, plusieurs activités* de loisir*, plusieurs familles*, plusieurs partis*, associations*, religions*, plusieurs tribus*, plusieurs appartenances non contradictoires. On répartira entre eux son temps*, son énergie, ses émotions, ses amours, ses dévouements, ses moyens financiers, au gré des exigences de la sincérité*, du plaisir et du devoir*.
POSTMODERNISME
Mot valise utilisé pour désigner l'avenir sans prendre le risque d'un pronostic.
PRÉCARITÉ
Caractéristique générale des situations, des objets*, des logements*, des entreprises*, des emplois*, des relations sociales, des couples, des carrières, des célébrités, des livres*, des œuvres d'art*, des bases de données, des mémoires*, des cultures*, des nations*. Des définitions, aussi.
PRESSE
Tels qu'on les connaît aujourd'hui, les journaux seront complétés puis remplacés par d'autres édités sur le Net, imprimables à domicile, composés selon les préférences, goûts et intérêts de chaque lecteur, journaux Lego*, sur mesure, mimant pour qui le souhaite le papier* et la typographie des anciens magazines. Pour quelque temps encore, on ne trouvera plus en kiosque qu'une édition standard qui représentera une part très minoritaire des ventes.
On pourra imprimer son journal à n'importe quelle heure : il sera tenu à jour en permanence et recomposé sur mesure. L'essentiel de sa valeur ajoutée résidera plus que jamais dans sa qualité éditoriale, sa capacité à trier, à hiérarchiser l'infinité d'informations fournies par les agences. Mieux encore que les rédactions habituelles, les universités* pourront réunir les compétences nécessaires et valoriser ainsi leurs marques (Harvard, la Sorbonne...), garantes de qualité et de sérieux. Elles puiseront là de nouveaux débouchés pour leurs professeurs et leurs étudiants. Celles qui sauront développer ce type de service y trouveront une source importante de revenu.
PRÉVENTION
Le premier risque contre lequel on continuera à vouloir se prémunir est la maladie*. Mais l'idée qu'on s'en fait sera bouleversée quand on commencera à connaître les prédispositions génétiques* de chaque individu et donc à pouvoir identifier chez chacun les gènes de prédisposition à la violence, à l'homosexualité, à l'obésité*, etc. On pourra aussi prévenir les attaques cardiaques avec dix ans d'avance en détectant les dépôts de calcaire sur les artères.
Chacun, surtout parmi les riches, voudra connaître la carte génétique de son futur enfant dès le stade embryonnaire et pourra refuser la naissance d'un bébé qui ne serait pas génétiquement « parfait » ou « correct ».
Si une telle évolution se dessine, ne naîtront plus que des enfants plus rares et plus fragiles, parce que moins adaptables. D'autant plus que la susceptibilité à une maladie peut constituer une protection contre une autre.
La prévention envahira toute l'existence. On voudra se conformer à un profil de vie sans risques*. Le droit de courir des risques sera contesté, même si cette attitude ne nuit à nul autre qu'à soi-même.
La prévention suppose une connaissance relative des risques, c'est-à-dire une certaine lucidité. Parfois, elle sera même le seul moyen d'éviter un risque (cas du sida*).
Le luxe* désignera, sous les traits de l'authentique et du naturel, le risque assumé.
PRION
Une des énigmes pathologiques majeures des prochaines décennies : nouvel ennemi de l'espèce humaine, protéine ambivalente, ni virus ni microbe, sans programme génétique*, à la fois protecteur et adversaire du système nerveux selon la forme qu'il prend, qui détermine le signal qu'il envoie à son environnement.
Sa forme* sera son sens. On ne pourra donc pas s'en protéger comme des virus ou des microbes : il n'existe pas de vaccin contre une forme...
PRISON
Institution dépassée, barbare, coûteuse et inefficace, qui produit plus de délinquants qu'elle n'en reçoit. Dans un premier temps, on multipliera les prisons « ouvertes » avec la possibilité offerte systématiquement aux détenus d'y apprendre un métier*. Puis elle sera remplacée, pour les petits délits, par une surveillance électronique et par la privation d'un certain nombre de droits*. Pour les crimes majeurs relevant de la pathologie, des chimiothérapies réduiront le rôle de l'enfermement carcéral à des cas extrêmes.
PRIVAUTÉ
Chacun laissera une trace repérable sur tout réseau* où il sera entré pour se divertir, consommer, travailler, se soigner, etc. Le code, c'est l'empreinte. En particulier, la monnaie* électronique interdira à quiconque d'échapper à la surveillance générale.
Les partis* politiques, les gouvernements, les administrations fiscales, les entreprises*, les compagnies d'assurances* voudront tout savoir de leurs clients potentiels. On vendra de plus en plus cher des fichiers contenant des indiscrétions sur les citoyens*, les contribuables, les consommateurs, les malades...
Mais, à l'inverse, la protection de la vie privée sera plus que jamais nécessaire au fonctionnement même de la démocratie* et du marché*. La démocratie devra garantir le respect de la privauté du citoyen sous peine de le voir s'abstenir de voter pour ne pas être repéré. Le marché devra lui aussi garantir la privauté* des transactions dans l'hypermonde* sous peine de voir le consommateur s'abstenir d'acheter pour ne pas risquer de dévoiler des informations sur lui-même qu'il souhaite garder confidentielles.
Des conventions mondiales garantissant la privauté se mettront en place, autorisant l'usage du système de cryptage. S'ensuivra un développement forcené de l'économie criminelle sur le Net, jusqu'à ce que les policiers obtiennent le droit* de rompre ces cryptages. Restera à savoir quels policiers obéissant à quel État*, avec quelles garanties pour les citoyens.
PRIVILÈGE
Cessera d'être essentiellement d'ordre financier pour devenir plus que jamais culturel. « Avoir une enfance* » sera le premier de ces privilèges. Pour créer une vraie justice sociale, il faudra que ce privilège devienne un droit*.
PROFIT
Il viendra de la forme* et non plus de la matière. Il ne sera plus qu'une des mesures de la valeur d'une activité*, et non l'indice ultime de la survie d'une entreprise*. Il ne sera plus le moyen de pouvoir d'une classe propriétaire du capital, mais un instrument parmi d'autres utilisés pour juger de l'efficacité d'une organisation.
PROGRÈS
Le voyageur avancera quand il croira reculer ; il se perdra quand il croira toucher au but ; deux points qui lui paraîtront proches l'un de l'autre seront en fait très éloignés ; progresser ou régresser deviendront des concepts vides de sens : l'espérance de vie augmentera aussi vite que les moyens de tuer ; l'agriculture* se développera parallèlement à la famine ; la globalisation des marchés* accentuera la solidarité* planétaire dans le même temps que la quête d'identité multipliera le nombre d'États-nations* ; les moyens de communication, d'apprentissage et de distraction* seront aussi infinis que les occasions de solitude*. Il faudra apprendre à vivre avec la monstrueuse concomitance du Bien et du Mal.
PROJET
Aucune nation* ne pourra survivre sans projet, sans une idée claire de son rôle dans l'Histoire*. Le propre d'une civilisation* est de produire ce projet ; le rôle des élites d'un pays, à une époque donnée, est de l'exprimer et de conduire la nation dont elles sont issues dans la direction qui maximise ses chances de survivre. Quand les sacrifices servent des objectifs reconnus comme légitimes, quand les efforts prennent un sens, alors le citoyen* épargne, investit, apprend, travaille, bâtit, invente, s'amuse et sourit ; les étrangers* viennent lui apporter leurs devises et leurs savoir-faire ; la logique du développement* est en marche. Quand, au contraire, une nation n'a plus qu'une vague idée de ce qu'elle sera dans deux générations, quand elle confond les fins et les moyens, elle se laisse alors aller, n'entretient plus son patrimoine, ne lègue plus rien à ses enfants, décline, se divise, se dilue et s'oublie. Quand un peuple découvre que ses élites ne sont plus capables de l'aider à définir et à conduire un projet, il se résigne et se réfugie dans des dérivatifs dont le moindre n'est pas la contemplation morbide de son propre déclin, quand il ne se retourne pas contre ses élites pour les accuser d'être la cause unique de ce qu'elles n'ont su annoncer et dénoncer.
PROLIFÉRATION
On ne distinguera plus les pays selon qu'ils ont ou n'ont pas l'arme nucléaire*, mais on les rangera selon le nombre de mois ou d'années qui les séparent de la mise à disposition de l'arme.
Dans cinquante ans, sans avoir violé aucun traité, une quarantaine de pays auront besoin de moins de six mois pour disposer d'une arme nucléaire rudimentaire et seront prêts à franchir les dernières étapes si la situation géopolitique* environnante vient à l'exiger.
Pour y parvenir, ils augmenteront leurs compétences dans le nucléaire civil et accumuleront du plutonium* issu des combustibles irradiés et retraités.
Pour éviter une telle prolifération, il faudra interdire la production de plutonium civil et militaire, renforcer les contrôles internationaux sur la circulation du plutonium existant, mettre en place des règles beaucoup plus strictes sur l'usage de l'énergie nucléaire civile. En particulier, aucune centrale ne devrait plus être construite aussi longtemps qu'on ne pourra garantir que ses sous-produits ne seront pas militairement utilisables.
La prolifération pourra aussi concerner les armes biologiques et bactériologiques. Elle pourra être le fait d'entités criminelles non étatiques.
PROPRIÉTÉ
Plus encore qu'il ne l'est aujourd'hui, l'homme risque d'être possédé par ce dont il s'est assuré la propriété, sauf s'il parvient à faire de la fraternité* un moyen d'échapper à l'emprise de ses biens.
Les propriétés seront plus que jamais un moyen de conjurer la mort : on stocke des livres, des disques, des collections, on collectionne* des œuvres pour se prouver à soi-même qu'on ne peut mourir sans en avoir fait le tour, qu'on ne peut disparaître avant ces chefs-d'œuvre éternels dont on s'est entouré. Tel est, encore pour un temps, le moteur fondamental de la propriété : durer.
Avec la généralisation de la précarité*, la quête d'éternité* ne se jouera pas seulement dans l'accumulation de biens, mais, pour l'hyperclasse*, dans la trace laissée dans les réseaux* (clonimages* et clones*). La première propriété de l'homme deviendra l'homme lui-même à travers ses images et ses doubles.
PUBLICITÉ
Prétexte à humour et à démesure, elle trouvera de nouveaux supports et de nouveaux langages pour se faire entendre. Elle ne dira plus son nom, mais tendra à se confondre avec le divertissement* et l'éducation*. Elle envahira chaque instant, se fixera sur chaque support, se fera entendre sans se démasquer.
Son rôle restera de s'adresser à des gens pour les inciter à acheter un produit dont, a priori, ils n'ont pas besoin, et pour entretenir la notoriété de marques*, un des premiers actifs des entreprises*.
Le désir* de liberté conduira les spectateurs à l'éviter, à zapper. Dans les journaux comme dans les autres médias, il deviendra en effet possible d'assister à un programme sans plus subir la publicité. Elle devra donc trouver sans cesse de nouvelles façons d'intéresser, de surprendre, d'étonner et, pour cela, imaginer de nouvelles formes d'expression, de nouveaux supports ; ou bien se faire admettre comme une partie intégrante et légitime du spectacle* ; ou encore se glisser, masquée, voire clandestine, dans des lieux de la vie ordinaire.
Elle s'introduira dans toutes les dimensions du nomadisme*. Par exemple, le nomade* est à certains moments captif de son moyen de transport*. La publicité découvrira qu'un voyageur dans un train, un avion, une voiture, enfin en voyage virtuel dans l'hypermonde*, peut constituer une audience captive encore largement inexploitée. On ira un jour jusqu'à financer presque intégralement les voyages aériens grâce à leurs recettes publicitaires. En 2010, les investissements publicitaires sur le Net dépasseront ceux dont bénéficie la télévision.
L'éducation* ouvrira un nouveau gisement à la publicité. Dans les pays les plus libéraux, l'école, devenue privée, sera en partie financée par des mécénats d'anciens élèves devenus patrons d'entreprises* et par des publicités à l'intérieur des salles de classe, dans les livres et les programmes audiovisuels. L'enseignement lui-même sera sponsorisé par ces entreprises qui demanderont en retour qu'on utilise ou vante discrètement leurs produits à l'école.
L'actualité politique internationale, devenue un spectacle marchand comme les autres, deviendra à son tour support de publicité, comme l'est déjà le sport*. On verra peut-être un jour des « Médecins du Monde » porter les logos de marques, des « casques bleus » de l'ONU* équipés de dossards publicitaires plus ou moins discrets. On pourra même organiser ainsi le financement légal de campagnes électorales en les faisant ouvertement sponsoriser par une marque ou un groupe de fabricants.
La publicité sera au cœur des fêtes* qui rythmeront la vie des villes* et des entreprises*.
Elle s'incrustera dans les films dont le personnage principal sera un objet* de consommation – tel fut déjà le cas avec la « Coccinelle » célébrée par Disney – et on glissera des objets ou des personnages associés à une marque dans les jeux* vidéo, par exemple une nouvelle voiture que l'enfant conseillera ensuite à son père.
La publicité deviendra de plus en plus clandestine et sur mesure. Elle utilisera le bouche à oreille, envoyant des acteurs jouer, sans se révéler, le rôle de personnes ordinaires dans des lieux ordinaires (train, métro, café, salon de coiffure), afin d'y vanter des produits ou des services*.
Plus tard, des clonimages* publicitaires apparaîtront, sans qu'on les y ait souhaités, dans des jeux vidéo, un film, un programme éducatif. Ils interviendront dans l'action, parasites glissés là à la grande fureur des consommateurs, un peu comme ces représentants de commerce qui sonnent quand on ne les attend pas.
Enfin, avec le développement du commerce* électronique, le spectacle publicitaire ressemblera à celui du bonimenteur des foires anciennes, qui vendait en annonçant. La distinction entre publicité et vente disparaîtra. Là finira peut-être le règne de la publicité, dans l'accomplissement de son plus grand fantasme : ne plus servir qu'à faire la promotion d'elle-même.
PUCE
Exemple particulièrement spectaculaire d'un futur progrès* assuré : pendant au moins dix ans, le nombre de transistors installés sur un centimètre carré de microprocesseur continuera de doubler tous les dix-huit mois. En 1971, le 4004 Intel comptait 2 300 éléments ; en 1998, il en existe 5,5 millions sur le Pentium Pro ; en 2010, on atteindra les cent millions.
Pour aller encore plus loin, on multipliera les interconnexions entre transistors, on dessinera les circuits à l'aide de rayons X et non plus par ultraviolets pour obtenir des longueurs d'onde plus courtes. On remplacera le quartz par de la fluorine sous vide ou par des gaz inertes.
PUDONG
Cité jumelle de Shanghai, qui deviendra, après avoir dépassé Tokyo* et Hongkong, le premier centre financier d'Asie*.