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Josh Kittredge vérifia l’adresse sur la carte qu’il avait en main. C’était bien là, le studio situé au-dessus du pressing. Le bâtiment, comme le quartier, un des plus anciens de Miami, avait connu des jours meilleurs, mais il semblait plutôt sûr et, de toute façon, il n’était pas là pour chipoter. Il gravit l’escalier et frappa.

— Entrez, répondit une voix féminine derrière la porte.

Il pénétra dans une première pièce meublée d’un canapé manifestement neuf. A côté se trouvait une table sur laquelle étaient disposés divers outils de maçon, une échelle, des rideaux, un appareil photo impressionnant et divers dispositifs d’éclairage.

— Mettez-vous à l’aise, lança la femme depuis la pièce attenante, et dès que vous êtes prêt nous pourrons commencer. Nous n’avons pas beaucoup de temps, alors autant ne pas traîner.

— Bien sûr, répondit-il, intrigué par le vague accent du Sud très sexy de sa mystérieuse interlocutrice.

Il n’aurait pas été contre quelques présentations, histoire de savoir à qui il avait affaire, d’installer un début de complicité avant la séance de travail, mais il s’était déjà déshabillé devant bon nombre de gens, et cela ne lui posait pas de problème. Il posa son sac de gym et déboucla sa ceinture.

— Je ne savais pas trop ce que vous vouliez faire, alors j’ai apporté quelques outils, dit-il.

— C’est sympa, mais je pense être parée. J’ai emprunté quelques petites choses à des amis, répondit la femme, toujours invisible de la pièce principale.

Il se pencha pour délacer ses bottes en caoutchouc.

— Vous faites souvent ce genre de choses ? s’enquit-il.

— Non, c’est une première pour moi.

— Ça vous rend nerveuse ? dit-il en enlevant ses bottes et en faisant passer sa chemise par-dessus sa tête.

— J’ai photographié un premier mannequin ce matin, mais c’est amusant de voir à quel point on s’y fait vite.

Donc, il n’était pas son premier modèle de la journée, songea-t-il. Mais, à vrai dire, peu lui importait.

— Oui. Je crois que c’est comme pour tout.

Il se souvenait de la première fois où il avait fait un strip-tease afin de payer ses études. La terreur qui l’avait envahi, jusqu’à l’instant où il était entré en scène. La musique avait démarré, les femmes avaient commencé à hurler, et… il avait vite découvert que ce n’était pas un si mauvais moyen que ça pour gagner de l’argent.

Au moment où la femme débarqua dans la pièce, il était en caleçon.

— Oh ! vous vous êtes déjà déshabillé, s’exclama-t-elle en faisant un pas en arrière, l’air surpris.

— Vous ne vouliez pas perdre de temps…, répliqua-t-il en prenant tout le sien pour suspendre ses vêtements et surtout l’étudier à la dérobée.

Elle avait les cheveux bruns coupés court, un visage mince et juvénile, de belles jambes. Il accrocha sa chemise à une patère et se retourna, main tendue.

— Josh Kittredge, enchanté.

— Samantha Delaney. Ravie de faire votre connaissance, Josh, répondit-elle, souriante, en lui serrant la main.

Ce nom ne lui était pas inconnu, mais où donc l’avait-il entendu ? Il la dévisagea plus attentivement. Quelque chose dans la courbe de sa joue, dans ses yeux chocolat en amande, lui rappela quelque chose, mais quoi ?

— Si vous voulez bien vous mettre à côté de l’échelle une minute, je voudrais vérifier la lumière, dit-elle en se dirigeant vers son appareil photo.

Il ôta son caleçon et s’exécuta.

— Voulez-vous que je prenne la pose ? lui demanda-t-il.

Alors qu’elle se retournait vers lui, il vit ses yeux s’écarquiller et sa mâchoire se décrocher, comme sous l’effet d’un choc. Elle détourna aussitôt le regard.

— Eh bien, au moins, on peut dire que vous n’êtes pas timide, balbutia-t-elle.

— Je ne vois pas de raison de l’être.

Bien sûr, il avait une certaine expérience dans le fait de se dévêtir en public, et n’avait pas peur de la nudité, mais ce n’était pas une partie de sa vie dont il aimait parler.

Elle sortit un luxmètre de la poche de son short et le pointa dans sa direction.

— Non… Certes… En ce cas, détendez-vous.

Josh plissa les yeux. A qui s’adressait-elle ? A lui, ou à elle-même… ? Elle jeta deux, trois notes sur un bloc posé sur la table, et régla quelques projecteurs.

— Vous voulez que je fasse quelque chose de précis ? lui demanda-t-il.

— J’ai fait quelques essais avec les deux autres modèles ce matin, et j’aimerais tenter autre chose avec vous.

— D’accord, je ferai ce que vous voudrez.

C’était elle qui décidait, et comme à son habitude il était disposé à tout. Il la regarda se hausser sur la pointe des pieds pour bouger un projecteur et apprécia le galbe de ses jambes infinies et la rondeur parfaite de ses fesses.

Elle se retourna et le surprit alors qu’il continuait à la détailler. Leurs regards se croisèrent, et le sien étincela tout à coup. Pas de colère, non, mais de… méfiance ?

Un coup frappé à la porte détourna leur attention. Sans attendre d’y être invité, un vieil homme aux cheveux argentés passa la tête par la porte.

— Eh, Sam, je…

Il se tut, bouche bée, et fixa un regard éberlué sur Josh, qui décrocha sa chemise aussi vite qu’il put pour cacher son sexe.

— Sam, qu’est-ce qui se passe, ici ? s’enquit le vieil homme d’une voix à la fois grave et perplexe.

— Tout va bien, monsieur B., répondit Samantha en se précipitant vers lui pour lui tapoter l’épaule. Je prends des clichés pour ce calendrier dont je vous ai parlé.

Il lui lança un regard en coin, puis, subitement, se tapa le front.

— Ah oui, ça me revient ! fit-il sans cesser de regarder Josh d’un œil noir : Et lui, c’est qui ?

— Mister Juillet ! dit-elle d’une voix un peu voilée. J’ai photographié Mister Avril et Mister Août ce matin. Hum… Aviez-vous besoin de quelque chose ?

— Humpf. Je voulais juste vous dire que je vais chez le médecin et que j’attends une livraison. J’ai mis un mot sur la porte pour leur dire de vous avertir.

— Pas de problème, je signerai le reçu, assura-t-elle en lui tapotant encore l’épaule. Ça va, vous ?

— Oui, oui. Ce satané docteur m’oblige à aller le voir tous les mois pour vérifier mon taux de sucre dans le sang. Comme s’il ne croyait pas ce que je lui dis au téléphone.

— Je préfère qu’il se montre aussi vigilant avec vous, répondit Samantha d’un ton affectueux. Il vaut mieux ne pas plaisanter, avec le diabète.

— Oui, oui, bon, il faut que j’y aille, dit l’homme avant de tourner les yeux vers Josh. Et vous, vous avez intérêt à bien vous conduire. Pas question qu’il arrive de drôles de trucs chez moi. Sam est une chic fille, même si elle fait des photos d’hommes nus. Pas touche, hein !

— Parole de scout ! répliqua Josh en levant la main qui ne tenait pas la chemise.

Il n’avait jamais été scout, mais quoi ? il fallait bien dire quelque chose

Samantha referma la porte derrière le vieil homme et reprit sa place derrière son appareil en expliquant :

— Désolée, vraiment. M. B. est mon propriétaire, et il estime que cela lui donne le droit de faire irruption ici à tout moment.

— Vous devriez verrouiller la porte, répliqua-t-il en raccrochant sa chemise à la patère.

— Je sais, mais il est tellement adorable. Et c’est agréable de savoir qu’il veille sur moi, répondit-elle en se penchant sur la table chargée d’outils. Bon, maintenant, voyons voir ce que nous avons là. Le mémo que m’a envoyé Framework dit que vous êtes spécialisé en rénovation ?

— Oui, je modernise surtout des maisons historiques.

— Ce doit être passionnant, comme travail. Comment se fait-il que vous ayez accepté de poser pour ce calendrier ?

— Je fais du bénévolat pour le groupe Framework chaque fois que j’ai le temps. Je sais qu’ils ont toujours besoin d’argent, alors… quand ils me l’ont demandé, je me suis dit que ça pourrait être rigolo.

Elle hocha la tête et sélectionna une scie circulaire électrique jaune vif.

— Essayons cela. Mettez-vous devant le rideau et voyons ce que ça donne.

Il prit position devant le rideau fermé masquant la fenêtre, puis attendit pendant qu’elle reprenait des mesures de lumière en vérifiant le viseur de l’appareil photo.

— Et vous, comment avez-vous fini par devenir photographe… Surtout pour ce calendrier… ?

— Une de mes amies travaille chez Framework et savait qu’ils cherchaient un photographe, expliqua-t-elle en émergeant de derrière l’appareil. Ce que fait cette association compte beaucoup, je trouve. Tout le monde devrait avoir un foyer. Alors, si je peux les aider moi aussi…

Elle avait pris un air presque mélancolique en disant cela. La distance toute professionnelle qu’elle avait à son arrivée avait presque disparu. Sans doute se sentait-elle plus à l’aise avec lui qu’au début, maintenant, ce dont se réjouissait Josh.

Il regarda la jeune femme plus attentivement. Quelque chose dans ce qu’avait dit M. B. avait titillé un autre souvenir en lui, et Josh était à présent persuadé de connaître Samantha Delaney.

— M. B. vous a appelée Sam, est-ce ainsi que vous appellent vos amis ? lui demanda-t-il.

— Certains, oui. Je suis surtout Samantha aujourd’hui, mais on m’a appelée Sam toute mon enfance, dit-elle en s’approchant pour déplacer légèrement l’échelle.

Peut-être que c’était ça, alors. Ils avaient dû aller à l’école ensemble.

— Où avez-vous grandi ?

— Oh ! un peu partout, répondit-elle, en commençant à ôter les autres outils de la table. Je voudrais déplacer la table devant l’échelle et la recouvrir de tissu, ajouta-t-elle d’un air concentré.

Ensemble, ils repositionnèrent la table et elle se retourna pour attraper un drap blanc. Il sentit un frisson lui parcourir l’échine. Ce geste avait fait remonter en lui un autre souvenir, celui d’un jour d’été où il avait aidé une petite fille à napper une vieille table de bois pour un pique-nique. Et, soudain, il sut.

— Sam D. ! s’écria-t-il, en l’observant plus attentivement afin de comparer le beau visage qu’il avait devant lui et celui de la préadolescente qu’il avait connue. Mon Dieu, c’est toi.

Elle le regarda, stupéfaite.

— Mais de quoi parlez-vous ?

— C’est moi, J. D. ! Le frère de Julie. Tu venais tout le temps traîner chez nous quand on était gosses !

Il avait quinze ans à l’époque, et elle douze.

Les yeux écarquillés, elle porta une main à sa bouche.

— J. D. ? Oh ! Seigneur, c’est toi !

— Ça fait, quoi, quinze ans ? Tu as bien grandi, dis-moi.

— Et toi donc, répondit-elle en baissant les yeux vers le bas-ventre de Josh, avant de s’empourprer violemment.

— Terrible euphémisme, rétorqua-t-il en se mettant à rire, un peu troublé lui-même.

Elle joignit son rire au sien, et cela suffit à apaiser la tension entre eux. Il l’aida à recouvrir la table du drap.

— Alors, qu’es-tu devenue depuis tout ce temps, à part le métier de photographe ? lui demanda-t-il.

— Oh ! J’ai fait pas mal de choses. Ça me fait vraiment plaisir de te revoir. Ça fait effectivement très longtemps.

Leurs yeux se rencontrèrent, et il vit non pas la jeune fille qu’elle avait été, mais la femme qu’elle était à présent — une femme dont le regard de braise lui donna une envie irrépressible, celle de ne plus être, dans cette pièce, l’unique personne nue.

Elle brisa le charme en détournant la tête, lissa le drap et désigna la table.

— Hop, tu grimpes dessus et tu t’étends.

— Sur cette table ? Tu es sûre qu’elle est assez solide ? répondit-il, sceptique.

— Oh ! oui. Je voudrais que tu t’y étendes sur un coude, avec la scie devant toi, répondit-elle avant de rougir encore. Stratégiquement placée, la scie. On vise le sexy, mais de bon goût.

Il fit comme elle le lui avait indiqué, conscient de mettre ses fesses nues au niveau de ses yeux jusqu’à ce qu’il se retourne. En espérant qu’elle avait apprécié le spectacle.

Cela faisait des années qu’il n’avait plus repensé à ce fameux été, mais les souvenirs lui revenaient par dizaines maintenant, à commencer par l’arôme de noix de coco de l’huile solaire mélangé au parfum de l’herbe fraîchement tondue. Ses amis jouaient au base-ball, mais on l’avait obligé à rester à la maison pour veiller sur sa petite sœur et sa copine. Il avait commencé par protester, mais en fin de compte il s’était bien amusé — sans vouloir l’admettre. Il avait vite découvert que Sam était d’un commerce très agréable malgré son jeune âge. Et, cet été-là, il en avait bien plus appris sur la manière de penser des filles qu’au cours de toute son enfance.

Il regarda Sam régler une fois encore les projecteurs en retrouvant dans sa façon d’être et de faire des caractéristiques qui n’avaient pas changé ; la façon dont elle inclinait la tête, la fossette à la commissure de sa bouche quand elle souriait. Toutefois, cette Samantha n’était résolument pas l’enfant qu’avait été Sam D. Entre sa voix profonde et ses interminables jambes bronzées, elle était devenue une véritable bombe. Et il fut secrètement ravi de la position « stratégique » de la scie.

— Voilà, c’est bien, dit-elle en retournant derrière l’appareil. Souris et fais-moi jouer ces muscles… Génial !

Il continua à prendre diverses poses en tâchant de se concentrer de manière plus… professionnelle. Cela lui rappela l’époque où il avait dû travailler comme Chippendale — juste avant de monter son entreprise de rénovation.

Il se revit sur scène, se déshabillant sous les cris surexcités des femmes. Il faisait son effet sous la lumière des projecteurs, et ne put s’empêcher de se demander ce que Sam pensait de lui… et pas seulement professionnellement parlant. Nu et seul avec une femme sexy par un chaud après-midi d’été… certaines idées lui venaient en tête, forcément. Il n’aurait pas été contre un peu plus d’action. Mais, puisque ces idées-là étaient à éliminer d’office, il allait se contenter de l’aspect professionnel. Et puis, c’était pour une bonne cause, non ?

*  *  *

Sam dévorait des yeux l’homme nu et bronzé étendu devant elle, heureuse que son appareil photo dissimule son visage qu’elle imaginait cramoisi. J. D. Kittredge, son fantasme ultime, était là, en chair et en os, bien réel. Et le spectacle de son corps intégralement nu l’émoustillait plus qu’elle n’aurait su le dire.

A douze ans, elle avait conçu un sérieux béguin pour le frère aîné de Julie. Agé de quinze ans à l’époque, J. D. était le surfeur aux cheveux blondis par le soleil dont rêvaient toutes les filles. Et il avait eu la gentillesse de ne pas trop renâcler à les surveiller une bonne partie de l’été, Julie et elle, pendant que leurs parents respectifs travaillaient.

L’espace d’un été de rêve, elle avait passé presque tous les week-ends chez son amie et J. D., à se dorer au soleil, à regarder la télévision ou à casser les pieds au jeune surfeur pour qu’il les emmène quelque part ou fasse quelque chose avec elles. Une fois, il avait organisé une bataille de pistolets à eau, les deux filles contre lui. Souvent, il les avait accompagnées à la plage, où elles s’étendaient sur le sable pendant qu’il pagayait sur sa planche de surf au milieu des vagues. Ils avaient flirté, s’étaient effleurés l’un l’autre et, moment mémorable, avaient partagé un baiser très doux et très timide — le tout premier, pour elle.

A la rentrée des classes, elle avait rempli la moitié d’un carnet de J. D. & Sam pour la vie ! Des années plus tard, quand elle se permettait de rêver à l’homme idéal, J. D. lui était revenu en tête plus souvent qu’à son tour.

Mais aujourd’hui la réalité dépassait tous ses fantasmes. Le joli garçon qu’elle avait connu s’était mué en homme viril extrêmement sexy. Un homme qui avait sur elle infiniment plus d’effet que n’importe lequel des apollons qu’elle avait photographiés jusque-là. Et, cet effet, était-il dû au souvenir de son béguin d’antan pour lui, ou à un lien encore vivace entre eux ?

— Je me souviens que tes parents ont déménagé l’année de mes seize ans. Où sont-ils maintenant ? lui demanda-t-il.

— Ils se sont tués dans un accident de voiture, peu de temps après le déménagement, lui révéla-t-elle en tâchant de contenir son émotion.

Cela avait été si dur, si brutal. Une épreuve à laquelle elle s’efforçait de ne pas penser trop souvent.

— Oh mon Dieu ! C’est épouvantable, je suis vraiment navré…

— Merci.

Cela faisait longtemps à présent que le chagrin n’était plus qu’une douleur lancinante dans sa poitrine, qui refaisait surface à l’occasion — lors d’anniversaires, mais aussi à l’improviste, quand une voix, un regard ou un objet réveillait le souvenir douloureux du visage souriant de sa mère, ou du rire si communicatif de son père.

— Mais…, bredouilla-t-il, comment as-tu fait après leur disparition ? Tu étais fille unique, si je me souviens bien.

— Oui. Je suis allée en famille d’accueil.

Cinq familles d’accueil, pour être exacte. Elle avait quitté la dernière à dix-sept ans, fatiguée d’être trimbalée ici ou là comme un chiot dont personne ne veut. Et c’était une autre des raisons pour lesquelles elle faisait du bénévolat pour Framework. Les enfants ont droit à un foyer, et qui mieux qu’elle le savait ? Les maisons que bâtissait l’organisation aidaient les familles à rester ensemble. Alors, peut-être que, d’une manière indirecte, elle épargnait à un autre enfant l’adolescence difficile qu’elle-même avait connue. Ou plutôt endurée.

— Bon sang, ça n’a pas dû être facile, lui dit Josh avec compassion.

Sam poussa un long soupir puis chassa ses idées noires en recollant son œil au viseur.

— Allez, assez discuté. Mets-toi sur le dos, en appui sur les coudes.

Elle se concentra sur le travail en cours. Ne penser qu’au cliché. Rien d’autre n’avait d’importance pour le moment. La technique est une sorte de méditation professionnelle, et c’était ce qui l’avait tout d’abord attirée vers la photographie.

— Maintenant, regarde l’objectif, lui demanda-t-elle.

— Comme ça ?

Il lui décocha un sourire irrésistible de séducteur, lui faisant comprendre par le regard à quel point il désirait captiver son attention et, peut-être aussi, la captiver, elle.

La bouche soudain très sèche, Samantha fut incapable de formuler la moindre phrase cohérente. Elle sentit ses mamelons s’ériger et dut serrer les cuisses afin de lutter contre un afflux de désir. Si Josh pouvait provoquer cela d’un seul coup d’œil, elle préférait ne pas imaginer ce qu’il pourrait lui faire en usant de ses mains ou de sa bouche…

Les mains tremblantes, elle agrippa l’appareil et fit le point pour un plan plus serré. Le calendrier. Tout cela concernait le calendrier caritatif. La beauté de Josh serait offerte aux femmes qui achèteraient ce calendrier. Ces femmes qui le suspendraient au mur de leur bureau ou de leur chambre et qui fantasmeraient sur lui, en imaginant qu’il les regardait elles, et elles seules.

— Tu es drôlement silencieuse, reprit alors Josh. Quelque chose ne va pas ?

— Non, tout va bien, dit-elle en appuyant sur le déclencheur plusieurs fois avant de se redresser. Super, tu as fait un travail fabuleux. Tu peux te rhabiller, à présent.

— Pourrai-je voir les photos avant publication ? demanda-t-il en sautant à bas de la table.

— Si tu veux, oui.

Vu l’effet qu’il avait sur elle — sans parler des souvenirs qu’avait fait remonter sa présence —, elle ne fut pas certaine que ce serait une bonne idée de le revoir. L’amour qu’elle avait eu pour lui naguère était pur, innocent ; ses fantasmes, depuis lors, s’étaient mués en simples rêves destinés à ne jamais se réaliser. Qu’elle essaye de les rendre réels, et c’était la déception garantie. Elle en était certaine.

Elle aurait pu charger les clichés numériques tout de suite sur son ordinateur et les lui montrer, mais la pensée de l’avoir penché par-dessus son épaule, son souffle agitant ses cheveux, son bras effleurant le sien peut-être… Elle ferma les yeux et secoua la tête. Non. Elle avait besoin de recul avant de le revoir.

— Donne-moi ton numéro, je t’appellerai dès que les épreuves seront imprimées, lui proposa-t-elle.

— Parfait, répondit-il en sortant un portefeuille de son jean. Tiens, voici ma carte.

Elle la prit et y jeta un coup d’œil.

— Remarkable Renovations, lut-elle tout haut.

— C’est moi. Et là, tu as mon numéro de portable. Comme ça, tu pourras me joindre à n’importe quel moment !

Elle opina du chef et chercha un endroit où ranger la carte. Un endroit où elle ne risquerait pas de la perdre dans cette pièce encombrée. Elle n’était pas la reine du rangement, loin de là. Sur le coup d’une impulsion, elle glissa le rectangle de carton dans son soutien-gorge, entre ses seins.

Josh enfila son caleçon, son jean, et attrapa sa ceinture.

Elle s’efforça de ne pas le regarder, mais elle eut un mal fou à arracher ses yeux de son corps si viril. Très bronzé, il avait une musculature attestant un travail de force. Il avait également de superbes abdominaux. Elle se demanda s’il surfait toujours…

— On se voit bientôt, alors, dit-il en prenant son sac et en se dirigeant vers la porte.

— Oui. A bientôt.

Elle attendit qu’il ait descendu l’escalier avant de refermer la porte. Elle appuya le front contre le battant en tâchant de prendre de grandes inspirations afin de se calmer, mais cela ne fit que lui tourner un peu plus la tête. Si elle fermait les yeux, elle ne voyait plus que Josh, nu, étendu devant elle, avec cette expression si suggestive dans le regard… Elle sentit de nouveau un frisson lui parcourir l’échine. Elle avait dû faire appel à toute sa volonté pour ne pas écarter son appareil et se déshabiller elle-même tout à l’heure.

Quand était-ce, la dernière fois qu’elle avait eu une réaction aussi impérieuse face à un homme ? Impossible de se le rappeler. De quoi faire résonner toutes sortes d’alarmes dans sa tête. Les fantasmes qu’elle avait entretenus des années durant vis-à-vis de Josh constituaient son plaisir secret. Ils étaient inoffensifs.

Car, dans un fantasme, personne ne souffre, alors que dans la réalité… Une des premières choses qu’elle avait apprises en famille d’accueil était que ce qu’on veut le plus dans la vie est aussi ce qu’on vous enlève en premier.

On aurait pu qualifier cela de folie ou de superstition mais, pour elle, être avec Josh ressemblait trop à tenter le destin en courant après ses rêves — pour se les voir arracher au dernier moment.