6. Arthur, un pari réussi…

Un jour, j’arrive au bureau et je décide de partager mon enthousiasme à propos d’un jeune animateur que j’ai entendu à la radio. Je leur dis : « J’ai écouté un mec qui est génial, il se fait passer pour l’animateur le plus con de la bande FM ! » Il était alors sur Fun Radio. J’ai instantanément pensé : « Il me faut ce mec, on va lui faire faire de la télé. » Je l’appelle, parce que c’est toujours moi qui appelais les gens au départ, même si c’est mon équipe qui s’en occupait ensuite. Arthur vient me voir, mais je n’avais pas de concept précis à lui proposer, je ne savais pas sur quoi le mettre. Cependant j’étais sûre qu’il possédait en lui le petit truc en plus, et qu’il allait devenir une star si on lui trouvait la bonne émission.

Étienne Mougeotte ne partageait pas mon intuition, quand il l’a vu, il a dit : « S’il devient une star un jour et qu’il fait de la télé, moi, je me fais moine… » C’était sa phrase ! Il insistait : « Déjà il va falloir qu’il perde quarante-deux kilos ! » ; Arthur était bien enrobé, c’est indéniable, et il avait des lunettes très moches… Étienne Mougeotte me harcelait : « Mais qu’est-ce que tu lui trouves, à ce garçon ? » Je lui répondais que je ne lui trouvais rien, esthétiquement parlant, mais qu’il avait un truc qui ferait qu’un jour il serait spécial, et il fallait juste réfléchir à créer quelque chose qui le mette au centre de notre histoire. Mougeotte a fini par céder : « Faites-le travailler. » Le problème, c’est qu’il fallait, pour le garder, lui donner un salaire, et donc qu’il soit imputé sur un programme. À l’époque, le fils de Bernard Tapie, Stéphane, présentait l’émission Il n’y a pas de lézard, qui pouvait ressembler aux aspirations d’Arthur. Donc on l’impute sur cette émission, et il se retrouve dans le bureau d’Il n’y a pas de lézard, avec une productrice qui le haïssait, une femme terrible qui le faisait pleurer ! En tout cas, elle l’emmerdait à longueur de journée : elle ne lui donnait pas son courrier, elle inventait toutes sortes de petites vexations quotidiennes qui le minaient. Je me souviens avoir retrouvé un jour Arthur en larmes dans l’ascenseur, tout juste capable de marmonner : « Qu’est-ce que je fous là ? » J’ai pensé qu’on allait le perdre.

Je l’ai changé de bureau, mais on ne savait toujours pas comment l’utiliser. Et puis l’idée est née de faire L’Émission impossible, l’émission sans concept. Étienne Mougeotte, même quand il n’était pas convaincu, se disait : « Si Dominique y croit, elle, on va quand même tenter quelque chose. » Il avait une telle confiance dans mes instincts que c’est lui-même qui a enregistré la bande-annonce ! Oui, parfaitement, c’est MONSIEUR Mougeotte qui a fait la bande-annonce de cette émission. Je m’en souviens encore. Il disait : « Je ne plaisante pas, c’est moi-même, Étienne Mougeotte, qui vous parle, nous lançons un jeune animateur, on le lâche dans la nature et il fait ce qu’il veut… ».

Et là, on a ouvert les vannes et fait les plus grandes folies. On nous a donné une case la nuit, de manière à ce que nos délires puissent être possibles, mais aussi pour tester la capacité d’Arthur à aller jusqu’au bout de sa folie. L’émission qu’il animait à la radio était déjà une folie, il demandait aux gens d’aller ouvrir le réfrigérateur de leur voisin à sept heures du matin, il leur demandait de hurler et de réveiller leur immeuble, etc. C’est ce qui m’avait plu chez lui, sa capacité à oser. Je voulais réaliser la même chose à la télé, mais ce n’est pas si simple, donc on a programmé l’émission en late night. En France, je crois qu’il n’y avait pas encore de late night show, c’était la première fois, alors que, aux États-Unis, ce sont les plus grands qui animent les late night shows, les Jay Leno, les David Letterman, les Conan O’Brien, les Jon Stewart… C’est une institution là-bas. Donc on a créé le premier late night français avec Arthur, le vendredi soir, en reprenant les codes des late shows américains, qui sont toujours les mêmes : le bureau de l’animateur, le groupe qui joue en live, la série de vannes bien senties en ouverture… Quand j’y repense, il y avait quand même pas mal de choses inédites à la télé : la rubrique « 17 secondes de bonheur », une fille qui faisait bouger ses seins nus, en gros plan, par exemple ! Effectivement, je ne suis pas certaine que ce fût là le programme télévisuel de référence pour un Étienne Mougeotte, mais on a osé !

Arthur voulait un trône avec une couronne, il s’était proclamé le Roi Arthur… Le roi de la télévision. Au début, cela n’a pas marché du tout, mais cela a créé un vrai buzz, une curiosité, il a drainé sans aucun doute un nouveau public, plus jeune, qui parlait le même langage que lui, un langage nouveau à la télévision, et il est devenu, au fil du temps, le Arthur qu’on connaît, avec des émissions beaucoup plus consensuelles. Il m’a suivie quand je suis partie à France 2. On a créé La Fureur du samedi soir. Les Enfants de la télé. Et quand je suis retournée à TF1, il m’a suivie avec ces émissions. C’est donc là qu’il est devenu la star qu’on connaît, et l’ami des stars.

 

À Antenne 2, mon autre poulain était Antoine de Caunes, mais on ne peut pas dire que je l’ai découvert. Je trouvais qu’il avait un talent rare, j’aimais beaucoup ce qu’il faisait. Ça va paraître étrange de le faire remarquer ici, mais à l’époque cela ne marchait pas pour lui. C’était avant Canal Plus. Personne ne croyait à Antoine de Caunes sur Antenne 2, quand il animait les Enfants du rock. Mais je me suis battue pour lui, peu de temps avant de passer à TF1. J’ai connu TF1 première version, puis Antenne 2 première version, puis Canal Plus, le temps d’un stage aussi bref que rémunérateur, puis Antenne 2 de nouveau, et ensuite le TF1 privatisé. En fait, je suis tout le temps passée de chaîne en chaîne, parce qu’il suffisait que je sois sur une chaîne pour qu’on me réclame sur une autre, mais ma grande gloire et ma grande histoire, c’est sur TF1 privatisé, période Francis Bouygues, où j’ai lancé les Arthur, Nagui, Hulot, Bernard Montiel, tous les animateurs de jeux, et où j’ai programmé de grandes émissions humanitaires, le Sidaction et toutes ces soirées événementielles et caritatives.

Comme les gens qui animaient des jeux étaient les parents pauvres de la chaîne, j’ai créé une émission de prime time, Succès fous, que je faisais présenter par des animateurs de jeux qui, l’espace d’un soir chaque mois, se retrouvaient aux commandes d’une émission de variétés. C’était un hit-parade, mais avec des liaisons de petits sketches avec les animateurs déguisés, il y avait Patrick Roy, Bernard Montiel, Philippe Risoli et Christian Morin. Ça cartonnait. Ce n’était pas une émission magnifique d’invention, certes, mais c’était une manière de les mettre en lumière d’une façon différente. Comme je pensais (et je le pense toujours d’ailleurs) qu’une chaîne est une famille, c’était une bonne chose, je pense, que ces animateurs-là, qui n’étaient pas considérés comme des stars parce que les animateurs de jeux ne sont pas considérés comme des stars, puissent avoir accès à un prime time. De ce fait, ils devenaient plus connus du grand public et ils accédaient à leur tour au statut de star. CQFD.