Parmi tout ce qu’on raconte aujourd’hui sur Pompéi, la date de l’éruption fait particulièrement polémique. La majorité des guides touristiques, des romans, des films et des documentaires situent la tragédie le 24 août 79 après J.-C., autrement dit en été. Mais quelle certitude avons-nous ? Depuis quelque temps, en effet, certains chercheurs accumulent des indices faisant apparaître que le drame pourrait avoir eu lieu à une autre date de cette même année, non plus en été mais en automne, et plus précisément le 24 octobre.
Voyons ce qui alimente la controverse et procédons par ordre. Notre principale source antique consiste dans deux lettres de Pline le Jeune à son ami Tacite, désireux de connaître les circonstances de la mort de son oncle. On pense cependant que le véritable objet de ces missives était de faire taire les rumeurs sur la fin de Pline l’Ancien. Selon Suétone et d’autres auteurs, le grand amiral, voyant échouer sa tentative de sauvetage à Herculanum, aurait demandé à un esclave de le tuer en lui enfonçant une lame dans le corps. Après quoi son cadavre aurait évidemment été emporté par l’éruption.
C’est pourquoi Pline le Jeune se doit d’écarter cette thèse en décrivant la mort de son oncle et, par la même occasion, le reste des événements. Il va de soi qu’il donne la date de l’éruption, mais il l’indique à la romaine, soit « neuf jours avant les calendes de septembre » (non[um] kal[endas] septembres). Dans le calendrier romain, il faut comprendre par « calendes » le premier jour de chaque mois. Les calendes de septembre sont donc le 1er septembre. Neuf jours plus tôt, on se retrouve effectivement le 24 août (sachant qu’il faut inclure le 1er et le 24 août, comme l’auraient fait les gens de l’époque).
Fin de la discussion ? Pas vraiment. Le problème, c’est que nous ne possédons pas l’original de la lettre mais des copies de la main de moines du Moyen Âge, conservées aujourd’hui dans de prestigieuses bibliothèques comme celle du Vatican : au folio 87 du Codex Laurenziano Mediceo, on lit en effet la date du 24 août.
Dans la quiétude des monastères, pendant des générations, les moines ont patiemment recopié à la main d’innombrables rouleaux de l’Antiquité, nous livrant un patrimoine culturel extraordinaire. On ne peut pas leur reprocher les inévitables erreurs de transcription commises de temps à autre. Nous les avons évoquées avec la question du nom de l’époux de Rectina. Ne peut-on envisager en effet que « Bassus » se soit transformé en « Cascus », « Tascus » puis « Tascius » ?
Malheureusement, nous avons le même problème avec la date de l’éruption du Vesuvius. J’ai eu personnellement accès à la copie de la lettre de Pline conservée à la Bibliothèque des Girolamini de Naples. Parmi ses nombreux trésors, le Codex Oratorianus de 1501 est vraiment magnifique. On y lit le témoignage de Pline le Jeune et — oh ! surprise ! — la date n’est pas la même. Il ne s’agit plus des calendes de septembre mais de celles de novembre (kl. nove[m]bris).
Alors quelle est la bonne date, sachant que les erreurs de transcription ont été reportées dans les versions successives et qu’il y a trois grands « ensembles » de copies de la fameuse lettre ? Faisant preuve de prudence, de nombreux chercheurs se fondent généralement sur la version la plus ancienne, en théorie exempte d’erreurs, et dans cette version il est question de septembre, mais c’est la seule à donner cette indication. Or beaucoup d’experts pensent que c’est justement cette copie d’origine qui est inexacte. Ils s’appuient sur le fait que les autres copies de la lettre font souvent référence à novembre, donc à l’automne. Par exemple, kal. novembres (1er novembre), ou III kal. novembres (30 octobre), ou encore NON. KAL… (neuf jours avant les calendes d’un mois donné — novembre ?). Ces disparités sont d’ores et déjà suffisantes pour mettre en doute l’hypothèse d’une éruption en été.
Mais n’avons-nous pas de preuves directes sur le terrain ? Essayons de raisonner comme la police scientifique lorsqu’elle enquête sur un crime. Nous devons déterminer l’heure et le jour des événements, ce que nous allons faire en passant au crible les sites de Pompéi, d’Oplontis, d’Herculanum, de Boscoreale et Stabies, ainsi que les dépôts de la Surintendance archéologique de Pompéi.
Les braseros retrouvés dans de nombreuses demeures (la maison de Ménandre ou celle des Chastes Amants, par exemple) sont des indices très importants. À l’évidence, un brasero sert à se chauffer, ce qui laisse entendre que les températures avaient chuté, comme c’est souvent le cas en automne.
Selon les défenseurs de la thèse automnale, les habits que portaient les victimes confirment le froid ambiant. Certains moulages révèlent la présence de vêtements lourds et volumineux n’ayant rien de commun avec ceux de l’été. Un squelette d’Herculanum porte même les traces d’un couvre-chef de laine. C’est celui d’une des victimes qui s’étaient entassées dans les hangars à bateaux, peut-être aussi pour se protéger de la froidure en attendant les secours. En tout cas, ces gens n’étaient pas là pour éviter la pluie de ponces — on sait que la cité ne fut pas frappée par ce fléau —, sinon on n’aurait pas retrouvé de cadavres sur la plage. À Herculanum toujours, on a également découvert dans un berceau des fibres provenant d’une couverture en laine, autre indice qui ne concorde pas avec les températures du mois d’août. Mais il est vrai que les nuits sont fraîches et humides au bord de la mer, surtout pour un nourrisson…
Naturellement, il s’agit de trouvailles sporadiques. Nous ne savons pas comment étaient vêtus tous les Pompéiens qui sont morts. Il est possible aussi qu’ils aient endossé des vêtements épais à cause des ponces, du vent et surtout de la chute brutale des températures, le soleil ayant été caché par la colonne éruptive et les nuages de cendres. Lors de la première guerre du Golfe, par exemple, les soldats avaient beau être en plein désert, ils avaient froid sous les nuages produits par les puits de pétrole en flammes. C’est la même chose sous la chape d’une éruption volcanique, ce qui expliquerait également la présence de braseros.
Le panache éruptif lui-même pourrait nous apporter une information sur la saison. Pline le Jeune écrit qu’il s’étirait en forme de pin. De fait, les cendres retombaient en direction du sud-est. Selon certains chercheurs, le panache aurait atteint une hauteur qui le soumettait à des courants planétaires de haute altitude, lesquels ne sont pas liés à la géographie locale mais se déplacent dans une direction donnée selon la saison et ont tendance à souffler vers le sud en automne et en hiver.
Autre chose encore : on ne trouve pas forcément les mêmes plantes et les mêmes fruits en été et en automne. Cela peut-il nous aider dans notre enquête ? Dans ce registre, des spécialistes comme l’archéologue Grete Stefani (actuelle directrice des fouilles à Pompéi) et le botaniste Michele Borgongino ont publié des articles de fond sur la thèse automnale. Ce ne sont pas les seuls : en 1990, l’archéologue Umberto Pappalardo avait déjà formulé cette hypothèse, et avant lui Michele Ruggiero, directeur des fouilles à Pompéi de 1875 à 1893. On peut remonter encore plus loin. Au XVIIe siècle, en effet, l’évêque et philologue napolitain Carlo Maria Rosini, constatant que les fouilles avaient mis au jour des brasiers et des fruits d’automne, avança le premier l’éventualité d’une éruption durant un mois froid. Il alla jusqu’à proposer une date en s’appuyant sur un auteur de l’Antiquité romaine, et non des moindres : le célèbre historien Dion Cassius, qui disposait de beaucoup plus de documents et de sources écrites que nous. Celui-ci écrit en effet que l’éruption aurait eu lieu le 23 novembre 79 après J.-C. — ou, pour le dire à la romaine, neuf jours avant les calendes de décembre.
Les témoignages suivants, rassemblés autrefois dans les dépôts de l’Antiquarium de Boscoreale, sont aujourd’hui conservés au Musée archéologique national de Naples :
– Des baies de laurier, qui mûrissent normalement en automne.
– Un grand nombre de châtaignes, fruit automnal par excellence. Dans l’un des cas, il s’agit carrément des restes d’un repas, avec du pain et des baies de sorbier, qui arrivent habituellement à maturité entre septembre et octobre.
– Des noix en abondance, que l’on gaule là encore entre septembre et octobre.
– Beaucoup de figues sèches. La récolte de ce fruit s’étale en principe de l’été à l’hiver. Toutefois, les figues que l’on met à sécher sont surtout cueillies en septembre. Compte tenu de leur nombre, il y a peu de chances pour que celles découvertes à Pompéi soient de l’année précédente. Et elles étaient sèches au moment de l’éruption, sans quoi elles se seraient décomposées. Elles étaient donc prêtes pour l’hiver qui allait arriver.
– Des prunes séchées, qu’on consomme précisément à l’automne, alors que durant l’été on les savoure à peine cueillies.
– Des dattes, qui en général n’arrivaient pas d’Afrique avant octobre, sachant qu’elles mûrissent à cette période. On en a retrouvé assez peu, justement, parce qu’elles venaient de faire leur apparition à Pompéi, et uniquement dans les garde-manger de riches Romains.
– De grandes quantités de grenades. Dans une villa d’Oplontis, près d’une tonne de grenades étaient en train de sécher entre quatre couches de nattes. Nous savons que la récolte avait lieu entre fin septembre et octobre, avant les pluies, pour que le fruit puisse terminer sa maturation à l’abri.
Cette liste fait évidemment pencher la balance en faveur de la thèse automnale, mais il y a d’autres indices encore.
L’automne est une saison que tous les amateurs de vin attendent avec impatience, celle des vendanges. Nous avons déjà évoqué la villa Regina de Boscoreale, son trésor mais aussi ses grandes jarres en terre cuite enterrées jusqu’au col, où fermentait le vin. Or ces dolia découverts sous la couche de lapilli avaient déjà été scellés au moment de l’éruption — une opération qui se pratiquait une fois qu’on était sûr que le processus de vinification suivait normalement son cours. D’autres sites recelaient une grande quantité de marc de raisin, preuve, là encore, que les vendanges étaient passées.
Les défenseurs de la thèse automnale mettent en avant un dernier élément. À Pompéi, dans le secteur du marché, un petit sanctuaire (sacellum) était destiné au culte de l’empereur et de sa famille. On sait qu’il contenait les statues de Titus, de son frère Domitien, de leurs épouses, de leurs enfants, etc. Au XVIIIe siècle, à quelques pas de là, on a exhumé des squelettes de brebis dans les vestiges d’un enclos. On suppose que ces animaux étaient prêts pour un sacrifice, mais en quel honneur ? Un anniversaire considéré comme une fête publique dans tout l’Empire ? Il se trouve que le 24 octobre était justement le jour de naissance de Domitien…
La thèse estivale a bien sûr encore ses partisans. Selon eux, les braseros pourraient avoir eu un usage rituel. Alors à quoi servaient les petits autels domestiques dédiés aux lares ? Par ailleurs, les dolia scellés et les amphores prêtes pour la vente auraient contenu autre chose que du vin, à moins qu’il ne s’agisse de vin à usage thérapeutique ou de la production de l’année précédente, qu’on aurait laissé vieillir. Mais cela ne tient pas, compte tenu de l’énorme quantité de vin retrouvée. Autre argument, tout aussi fragile : dans cette région on pratiquait parfois des vendanges précoces en plein été.
Les tenants de la thèse estivale soulignent également la découverte d’olives sur de nombreux sites, or leur nombre n’est pas assez important pour qu’il puisse s’agir de la récolte de l’été. Selon eux, les figues sèches correspondraient aux réserves de l’année précédente. Difficile de croire que tous les fruits d’automne sont restés près d’un an dans les maisons sans être vendus ni consommés en totalité. Tout est possible, c’est vrai, mais les quantités sont loin d’être négligeables et parlent d’elles-mêmes.
On explique par ailleurs que les noix se consommaient fraîches et non sèches, et que les grenades avaient été cueillies encore vertes pour ralentir le mûrissement, ce qui leur permettait de sécher plus facilement pour servir à des fins thérapeutiques.
Autre preuve en faveur du mois d’août : les quelque deux cent espèces de plantes herbacées, d’arbustes et d’arbres dont les pollens ou une partie des tiges et des feuilles auraient été conservés. Mais ils pourraient n’être que les vestiges d’une végétation estivale toute récente — selon la même logique voulant que les figues aient appartenu à la récolte de l’année précédente !
Enfin, les fouilles effectuées sur des terres agricoles montreraient que l’on cherchait à optimiser l’irrigation avec des retenues d’eau, ce que l’on faisait en été, sachant qu’en hiver les paysans s’efforçaient d’évacuer les eaux de pluie. C’est effectivement une donnée intéressante. Malheureusement, dans la mesure où l’on ne dispose pas d’informations précises sur les champs cultivés autour de Pompéi ni sur les conditions climatiques de la période, on ne peut pousser plus loin ce raisonnement.
De la même façon, on ne peut appuyer la date du 24 août sur le fait qu’une certaine variété de poisson entrant dans la fabrication du garum produit à Pompéi — la bogue — a été découverte dans plusieurs maisons et boutiques. Ce poisson mord certes plus facilement à l’hameçon en juillet et au début du mois d’août, mais on en trouve toute l’année. Il est probable que la présence de bogues s’explique par un choix du fabricant plutôt que par le climat. Il reste d’ailleurs à démontrer qu’il y a deux mille ans on les pêchait plus facilement à cette période de l’année qu’aujourd’hui, surtout si l’on tient compte de l’évolution climatique depuis l’Antiquité.
On le voit, les arguments ne manquent pas dans chaque camp, et nous respectons les deux points de vue. Mais on constate qu’au lieu de résoudre la question tous ces indices ne font qu’alimenter le débat. Il faudrait une découverte qui indique clairement une date, comme une inscription ou quelque chose du même ordre…
Le témoignage le plus important en faveur de la thèse automnale a été retrouvé sur une Pompéienne tuée avec les siens par la surge 4 dans un couloir de la maison du Bracelet d’or. Cette femme dont nous avons parlé en lui attribuant un talent pour la peinture tenait à la main un petit coffre ou un sac contenant quelques bijoux, 40 pièces d’or et 180 pièces d’argent. L’une de ces pièces revêt une valeur toute particulière.
Ce petit trésor se trouve aujourd’hui au Musée archéologique national de Naples. La pièce (référence P 14312/176) est en argent. Elle a été frappée sous le règne de Titus, et les différents titres de l’empereur sont gravés autour de son profil :
IMPERATOR TITUS CAESAR VESPASIANUS AUGUSTUS
(Il fut proclamé empereur le 23 juin 79 après J.-C.)
P[ONTIFEX] M[AXIMUS]
(« Grand pontife », la plus haute charge religieuse.)
Au revers figure un animal mythologique et se lisent d’autres titres du souverain :
TR[IBUNICIA] P[OTESTATE] VIIII
(Il reçut la puissance tribunitienne pour la neuvième fois le 1er juillet 79.)
CO[N]SUL VII
(Il devint consul pour la septième fois le 1er janvier 79.)
P[ATER] P[ATRIAE]
(Père de la patrie.)
Outre ces titres, on note quelques signes d’une grande importance qui pourraient bien répondre à nos interrogations, si l’on en croit de nombreux chercheurs. On lit en effet : IMP XV. Cette abréviation signifie qu’après une victoire militaire Titus fut acclamé empereur pour la quinzième fois. Il reçut ce que l’on appelle la salutatio imperatoria, c’est-à-dire l’hommage des troupes envers leur général victorieux (imperator). Une lettre de Titus adressée aux décurions de Munigua, en Hispanie, et un « diplôme militaire » retrouvé dans la région du Fayoum nous apprennent qu’il reçut la salutatio imperatoria pour la quatorzième fois le 7 septembre 79 après J.-C., ce qui veut dire que la quinzième fois se situait forcément après cette date ! L’éruption ne peut donc pas avoir eu lieu en été.
Le débat est-il clos ? Non, malheureusement, car un autre problème se pose : l’oxydation et l’usure du temps ont altéré les inscriptions portées sur la pièce de monnaie, ce qui peut semer le doute.
En somme, chacun se fera son opinion. Nous disposons d’éléments plutôt persuasifs en faveur de la thèse automnale, d’autant plus qu’il ne s’agit pas là d’un corpus établi rigoureusement mais d’indices découverts par hasard au cours de fouilles et de recherches qui n’avaient rien à voir avec la datation de la tragédie. La preuve irréfutable que nous attendons est peut-être encore là, quelque part sous terre.
Non seulement nous avons dû trancher pour les besoins du récit, mais nous trouvons plus convaincante la date du 24 octobre 79 après J.-C. — un vendredi. L’honnêteté intellectuelle nous incite cependant à la plus grande prudence et nous sommes prêts à accueillir tout nouvel élément confirmant ou infirmant notre hypothèse.
Ce qui ne fait aucun doute, en revanche, c’est l’ampleur de la catastrophe. Été ou automne, en quelques heures deux villes entières, leurs faubourgs, les exploitations agricoles et les villas alentour furent rayés de la carte.
Et avec elles, disparurent des milliers et des milliers de personnes.