Troisième déferlante :
la mort frôle Pompéi

Faubourgs de Pompéi
25 octobre 79 après J.-C., 6h30 du matin
17 heures et 30 minutes depuis le début de l’éruption

VENTUS

Du vent…

Au cours des dernières heures, le plus terrifiant pour les gens de Stabies a été la terre qui tremblait. On peut se demander si d’une certaine manière la couche de ponces n’a pas soutenu les murs et les bâtiments, empêchant des effondrements supplémentaires. Quoi qu’il en soit, il y a de nouvelles secousses et nombre d’habitants se précipitent hors des maisons. L’amiral fait de même après avoir dormi profondément, comme nous le raconte son neveu :

Dieu sait combien ont fait le même choix ! Quiconque regarde alors les pentes du Vesuvius depuis la côte ne peut que constater avec effroi à quel point l’éruption a bouleversé le paysage. Au-dessus d’Herculanum, les forêts ont disparu. Il n’y a plus là qu’une étendue lunaire complètement grise. Les rares arbres encore debout ont été dépouillés de leur écorce. Les autres gisent à terre, comme si l’on avait passé un gigantesque peigne sur les versants du volcan.

Le Vesuvius s’est vidé en partie mais n’en continue pas moins d’alimenter le gigantesque panache. Celui-ci va s’effondrer une fois de plus sous son propre poids, engendrant la première coulée pyroclastique meurtrière dirigée sur Pompéi.

Dans la lueur blafarde du petit jour, la surge 3 fonce sur la ville, aussi implacable qu’un tsunami. Le bruit des ponces qu’elle soulève sur son passage annonce son arrivée. Il semble que Pompéi doive subir le même sort qu’Herculanum, mais la déferlante ralentit sa course et s’arrête peu avant les remparts. Elle n’est pas assez puissante pour aller plus loin.

Au-delà de la porte d’Herculanum, la via Consolare se prolonge par une route bordée de tombeaux (il est interdit d’enterrer les morts en ville à l’époque romaine). Un homme a vainement cherché refuge dans la niche d’un monument funéraire. La découverte de son squelette fera couler beaucoup d’encre au XIXe siècle, la légende voulant que ce soit un légionnaire resté stoïquement à son poste pendant l’éruption. Mark Twain lui-même reprendra cette anecdote lorsqu’il visitera Pompéi en 1867.

Mais reprenons notre triste déambulation. Voici la villa des Mystères, célèbre entre toutes grâce à ses fresques représentant l’initiation d’une femme au culte de Dionysos. On y compte neuf cadavres, dont celui d’un esclave efflanqué chargé de surveiller l’entrée de la pars urbana, mort avec son maigre pécule : 5 pièces de bronze. On a aussi identifié une petite fille. Mais aucune trace des propriétaires qui appartiennent à la famille des Istacidii. La villa est en chantier, ce qui explique peut-être leur absence. Les ouvriers sont morts : quatre squelettes ont été exhumés dans le cryptoportique (un terme savant qui désigne tout simplement une galerie voûtée, souvent souterraine). Ils étaient en face d’une brèche ouverte dans l’une des arcades. À côté d’eux il y avait des récipients en terre cuite avec des restes d’aliments, et d’autres pour la boisson. Ces hommes attendaient le bon moment pour sortir, mais la déferlante les a surpris.

Un peu plus loin, devant la villa de Diomède, sont morts une femme, le bébé qu’elle serrait contre sa poitrine ainsi que deux petites filles. Dans la demeure elle-même, vingt corps ont été exhumés en 1772. Le maître des lieux gisait à quelques pas d’un esclave, sous la colonnade du jardin, avec 1 300 sesterces et une bague en argent qui servait aussi de clef. Les dix-huit autres personnes ont été retrouvées dans un passage couvert où de nombreuses amphores étaient alignées contre le mur. D’après les objets qui les entouraient, on pense qu’il s’agissait d’un groupe de quatorze esclaves qui accompagnaient deux enfants et deux femmes (probablement l’épouse et la fille du propriétaire). Ayant emporté tout ce qu’elle pouvait, l’une d’elles était couverte de bijoux : plusieurs colliers en or et en émeraude, deux bagues en or serties de pierres précieuses, deux armilles et une longue chaîne en or. Des lambeaux de vêtements couvraient encore les serviteurs. Dans un compte rendu de l’époque, on peut lire qu’ils portaient « des chaussettes en tissu taillées comme des pantalons » et que « certains n’avaient pas de chaussures ». Si c’est vrai, voilà qui tendrait à prouver que l’éruption a bien eu lieu en automne.

C’est à partir de cette découverte que le site de Pompéi devint une étape incontournable du Grand Tour puis un haut lieu du romantisme. À cet égard, l’empreinte laissée par l’une des femmes a particulièrement marqué les esprits. On est parvenu en effet à découper un singulier bloc de cendres : « L’œil exercé d’un artiste y eût aisément reconnu la coupe d’un sein admirable et d’un flanc aussi pur de style que celui d’une statue grecque », écrit Théophile Gautier, qui fit revivre le personnage sous le nom d’« Arria Marcella » dans sa nouvelle éponyme de 1852. Conservé d’abord au Real Gabinetto de Portici puis au Musée archéologique national de Naples, ce fragment attira aussitôt les curieux en tout genre et devint source d’inspiration pour nombre d’artistes qui contemplaient l’empreinte de ces seins et de ces bras, véritable emblème de la sensualité païenne.