VENUS ES VENUS
Une Vénus ! Tu es une vraie Vénus !
Curieux de savoir à quoi s’occupe Rectina, nous quittons Pompéi pour nous rendre dans sa villa, à quelques kilomètres seulement de la ville.
Loin de se douter de la tragédie imminente, elle s’est réveillée avant l’aube, comme tous les habitants qui vivent sur les versants du Vesuvius. Après un rapide petit déjeuner, la voici sur le point de s’habiller. Elle commence par la lingerie.
Mais oui, Romains et Romaines portent des caleçons et des petites culottes. Pour les hommes, il s’agit d’un simple pagne (subligaculum) sous la tunique, laquelle ressemble à un T-shirt extra-large descendant jusqu’aux genoux, et que l’on resserre à la taille avec une ceinture ou un lacet.
Les dessous féminins sont beaucoup plus raffinés. Rectina porte une culotte en cuir ultrasouple, comme toutes les Pompéiennes aisées. Ce slip taille basse extrêmement moderne s’orne de motifs élaborés. Les élastiques n’existant pas encore, on attache les culottes avec des lacets de chaque côté. (La lingerie fine était donc déjà sexy il y a deux mille ans !) En guise de soutien-gorge, un bandeau en tissu ou en peau de daim (strophium) comprime et remonte la poitrine pour donner une impression de rondeur et de fermeté — l’ancêtre des modèles push-up, en quelque sorte.
Aidée d’une esclave, Rectina enfile un vêtement à manches longues pour se protéger du froid, avant de se draper dans une stola, une élégante tunique qui lui arrive aux pieds. Le bas finement brodé laisse entrevoir des chaussures très élaborées mais sans talons hauts… parce qu’ils n’existent pas encore.
Rectina s’installe ensuite dans un fauteuil en osier au grand dossier arrondi et s’en remet à ses esclaves pour le maquillage. À côté, un brasero réchauffe l’atmosphère pendant le long moment consacré à cette tâche. Telles des abeilles autour d’une fleur, les servantes s’approchent pour farder et coiffer la maîtresse (domina).
Cette scène se répète chaque matin dans les belles demeures de Pompéi comme dans tout l’Empire romain. Alors voyons comment on se maquillait en ce temps-là. La première étape consistait à nettoyer le visage pour le préparer à recevoir une base qui accentuait la blancheur de la peau. La pâleur du teint, on l’a vu, était un signe distinctif de la haute société, et les femmes de ce milieu ne pouvaient s’y soustraire. Pour ce faire, les esclaves appliquaient une crème à base de miel mais aussi de céruse — c’est-à-dire du carbonate de plomb ! Elles fardaient les joues avec de la poudre d’hématite et passaient ensuite au maquillage des yeux. Pour les ombres à paupières, on utilisait un mélange de cendre et de pigments. Les yeux étaient soulignés avec l’ancêtre de l’eye-liner : une pâte noirâtre à base d’encre de seiche, de manganèse, de noyaux de dattes brûlés ou de fourmis grillées. On recourbait les cils avec des instruments spécifiques qui agrandissaient le regard. Enfin, on accentuait la ligne des sourcils avec un bâtonnet de charbon.
Sur un petit trépied à côté du fauteuil, nous remarquons plusieurs coffrets ornementés d’ivoire, identiques à celui qui est exposé aujourd’hui au Musée archéologique national de Naples. Ce sont les vanity cases des Pompéiennes. On y range des pots de crème, des coupelles en terre cuite pour la poudre d’hématite, des coquilles d’ambre pour le fard à paupières, des fioles pour les onguents, des flacons en verre d’une grande finesse contenant la pâte noire pour le contour des yeux, ainsi que le long bâtonnet pour leur application. Rectina suit avec attention chaque étape du maquillage de ses yeux grâce à un beau miroir en bronze que lui tient une esclave.
Les suivantes passent ensuite à la coiffure. À l’aide de peignes en ivoire aux dents très fines, elles lissent les longs cheveux noirs avant d’en faire des tresses entortillées derrière la tête comme des serpents enroulés sur eux-mêmes. Et afin de donner du volume à la coiffure, elles ajoutent des extensions — mais oui, déjà ! Après quoi, avec des fers à friser (calamistra) qu’elles ont mis à chauffer dans la cendre, elles forment quelques bouclettes de chaque côté des tempes. Cette longue cérémonie s’achève par la pose d’un arceau sur lequel sont fixées des boucles de vrais cheveux retombant sur le sommet du front.
Par leur forme et par leur taille, certaines de ces coiffures, véritables parures, ne sont pas sans rappeler la tiare pontificale ! Mais aujourd’hui Rectina a opté pour un style plus sobre, si l’on peut dire, qui sied au voyage.
La séance de maquillage n’est pas tout à fait terminée : il faut encore mettre les lèvres en valeur. À votre avis, quelle était la couleur préférée des Romaines ? Le rouge, évidemment ! Rien n’a changé. Cette couleur était en général à base d’ocre et d’hématite, mais les femmes riches pouvaient se permettre un rouge à lèvres plus brillant ; il était à base de cinabre (sulfure de mercure), que les Romains appelaient minium. (À ne pas confondre avec ce que nous nommons aujourd’hui « minium », l’oxyde de plomb, qui a donné le mot « miniature », les moines copistes du Moyen Âge l’utilisant pour leurs merveilleuses enluminures.) Quand on sait qu’il y avait du mercure dans le rouge à lèvres et du plomb dans la céruse du fond de teint, on peut affirmer que les cosmétiques des Romaines n’étaient pas sans danger, d’autant que ces deux produits toxiques ne s’accompagnaient pas de notices expliquant leurs conséquences sur la santé !
Un faux grain de beauté juste au-dessus de la commissure des lèvres confère une pointe d’espièglerie au sourire de la domina. Conformément au code de séduction de l’époque, l’endroit où on le place a une signification bien précise.
Une fois maquillée et coiffée, Rectina est soigneusement parfumée. Comme c’est souvent le cas de nos jours, le flacon utilisé présente une forme originale — celle d’une colombe au repos. Pour faire sortir le parfum, on doit briser la longue queue de l’oiseau, ainsi que nous le faisons pour les ampoules de médicament.
La maîtresse de maison apporte la touche finale en choisissant de beaux bijoux. Ils doivent être à la hauteur de son rang. Les boucles d’oreilles ont une drôle de forme. On dirait des masques d’escrimeurs sertis d’une myriade de perles et d’émeraudes. C’est la technique de la granulation. Le magnifique collier en or qui les complète se distingue par un assemblage sophistiqué de maillons, eux aussi incrustés de perles et d’émeraudes. Puis Rectina passe deux superbes bracelets en forme de serpent et quelques bagues. Rehaussée d’une jolie pierre, l’une des plus petites est destinée à l’avant-dernière phalange de l’index. Très probablement, beaucoup des bagues découvertes par les archéologues n’ont pas appartenu à des enfants, ainsi qu’on l’a d’abord cru, mais ornaient le bout des doigts des femmes riches.
Rectina est enfin prête. Après un dernier regard dans le miroir, elle s’enveloppe dans un épais châle de laine et rejoint la raeda qui l’attend à l’entrée de la villa. Cette élégante voiture à quatre roues nous rappelle une calèche. Il ne reste aucune trace du banquet de la veille dans la maison et les jardins. Les esclaves ont tout remis en ordre pendant la nuit, en silence, sous le regard d’Eutychus.
Celui-ci aide sa maîtresse à s’installer à côté de l’une des servantes qui vont l’accompagner, puis il s’assoit à la place du cocher. Un sifflement, un claquement de rênes, et l’on se met en route.
Très vite, le pas tranquille du cheval berce les pensées de Rectina. Où va-t-elle ? Son voyage ne sera pas long : elle doit simplement se rendre à Pompéi, où elle a rendez-vous chez un médecin.