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En interrogeant Lattery, Charles Moray se demandait si ce dernier était un gardien infidèle ou simplement un idiot mortellement effrayé par l’apparition soudaine de son maître qu’il croyait à dix mille lieues de là.

— Où étiez-vous ? questionna-t-il.

— Vu que c’était jeudi, m’sieur Charles. Oh pardon ! Je veux dire monsieur, et que vu que ce jour-là, je m’absente toujours pour aller toucher mes gages chez le notaire, je lui ai demandé, comme ça, si le jeudi ne pourrait pas être mon jour de sortie. Vous n’avez qu’à le lui demander.

— Donc le jeudi est votre jour de sortie.

— Oui, monsieur.

Lattery avait repris ses couleurs, mais il continuait à regarder son maître avec anxiété.

— Avez-vous l’habitude de laisser ouverte la porte du jardin ?

— Jamais, monsieur.

— Alors, pourquoi l’était-elle ce soir ?

— Ce n’est pas possible.

— Ne le savez-vous pas ? Par où êtes-vous donc entré ?…

— Par le grand portail, répondit Lattery stupéfait.

— Si vous êtes passé par là, comment se fait-il que le verrou soit mis ?

— Mais c’est moi, monsieur, qui viens de le fermer.

— Quand je suis arrivé ici, il y a une heure environ, la porte de l’allée était ouverte, ainsi que celle du jardin : je suis entré de ce côté-là. Une fois dans la maison, j’ai aperçu de la lumière dans la chambre de ma mère…

— Quelqu’un avait dû la laisser allumée.

— Ceux qui l’avaient laissée allumée étaient encore dans la pièce, répliqua Charles d’un ton sec, trois étranges visiteurs… qui viennent juste de partir. Ne me dites pas que vous ne les avez pas vus.

— Je vous jure que non.

— Ni entendus ?

Lattery hésita un instant :

— Il m’a bien semblé qu’une porte battait. Maintenant j’en suis sûr. Même que je me suis dit que ma femme était rentrée bien tôt.

— Où était Mrs. Lattery ?

— Tous les jeudis elle va chez sa mère qui vit au-delà d’Acton. Souvent elle n’est de retour qu’à dix heures et demie.

— Et vous, que faites-vous, après avoir touché vos gages ?

Lattery se gratta le menton d’un air anxieux.

— Je suis aussi régulier qu’une pendule, monsieur, quelque temps qu’il fasse, le jeudi je vais chez le notaire, puis soit au cinéma, soit au musée des Cires. Comme l’un et l’autre ferment à dix heures, je suis toujours à la maison un quart d’heure après.

Pendant qu’il parlait, Charles le regardait attentivement. Depuis plus de dix ans que Lattery était au service des Moray, il avait toujours été considéré comme tout à fait idiot, mais aussi comme le plus brave garçon du monde. Charles se demandait maintenant si ce jugement était exact. – Le gredin le plus astucieux n’aurait pu, en effet, trouver de meilleur alibi. – Les habitudes régulières du gardien, ses sorties hebdomadaires ayant l’approbation de Mr. Parker, les visites de Mrs. Lattery à sa mère ; tout cela était troublant. Charles ne savait plus que penser.

Il congédia le gardien et remonta dans la chambre où avait eu lieu la réunion. En y pénétrant, il comprit facilement que l’étrange scène à laquelle il venait d’assister n’était pas un jeu de son imagination. Les chaises étaient encore en désordre autour de la table, une feuille de papier toute froissée traînait sur le tapis. Charles la ramassa et la déplia avec soin, mais l’ayant examinée, il fut déçu. C’était un papier blanc très ordinaire, déchiré dans un coin ; les lettres I N G y étaient tracées d’une écriture tout à fait banale.

Charles mit le papier dans sa poche et regarda autour de lui. Rien, sauf les chaises déplacées, l’abat-jour de travers et ce morceau de papier, n’indiquait le passage des mystérieux visiteurs.

Il rentra à son hôtel, profondément troublé.