8

Le lendemain matin, Mr. Hales vit arriver, avec un mécontentement non déguisé, Egbert Standing, portant une valise de cuir bourrée de lettres. D’un air négligent, Egbert ordonna au clerc de l’ouvrir :

— Elle n’est pas fermée ; je ne ferme jamais rien !

L’employé fit ce qu’on lui commandait, et une quantité de lettres en désordre sortirent de la valise ouverte.

— Voilà, dit Egbert, mon valet de chambre m’a assuré qu’elles y étaient toutes.

Mr. Hales regardait les papiers épars, au milieu desquels une large enveloppe bleue dégageait une forte odeur de patchouli…

— Allez, servez-vous, dit le jeune homme, de son ton languissant.

— Vous ne préférez pas les lire vous-même ? demanda le notaire. C’est votre correspondance privée, dit Mr. Hales en fixant l’enveloppe bleue.

Egbert bâilla :

— Non, cela m’ennuie ; et je ne supporte pas d’être ennuyé. Votre clerc peut très bien s’en charger.

Celui-ci commença donc à sortir méthodiquement le contenu de la valise : factures non payées, lettres bleues, roses, mauves, violemment parfumées, fleurs artificielles décolorées, porte-jarretelles, photographies de jeunes personnes en jupes écourtées et couvertes de perles, enfin un soulier de satin vert à talon d’argent.

— Mettez les lettres de côté, Cassels, fit sèchement Mr. Hales. Celle que nous cherchons est de la main de Mr. Standing, reconnaîtrez-vous son écriture ?

— Je le crois, monsieur. N’est-ce pas justement là son écriture ? dit le clerc en tendant une enveloppe au notaire.

Mr. Hales la prit, et, se tournant vers Egbert, lui demanda :

— Puis-je en prendre connaissance ? Il me semble qu’elle est de votre oncle.

— Lisez à haute voix si vous voulez, ça m’est égal.

Mr. Hales parcourut la lettre et se tourna vers le jeune homme, les sourcils froncés :

— Il n’est pas question de Miss Standing, et je préfère ne pas la lire.

— Pourquoi ? À quoi fait-elle allusion ?

— Au prêt que vous aviez sollicité de votre oncle et que celui-ci vous refusait.

— Ah ! je me rappelle. Il avait eu une vilaine façon de me le refuser, n’est-ce pas ?

Mr. Cassels tenait à la main une deuxième lettre toute chiffonnée ; il la défroissa et la posa sur la table.

— Dois-je lire, Mr. Standing ? demanda-t-il.

— Mais oui, fit Egbert impatienté, je vous l’ai déjà dit. Vous pouvez tout lire, cela ne m’ennuie pas.

En voyant l’en-tête et la date, Mr. Hales poussa une exclamation.

— Cette lettre a été écrite à Majorque par votre oncle, la veille de sa mort, dit-il sèchement en se tournant vers Egbert. Comment se fait-il que cela ne vous ait pas sauté aux yeux ?

— Je ne l’ai probablement pas lue attentivement, les grandes phrases et les conseils de mon oncle me laissent indifférent, vous savez que je ne m’intéresse qu’à l’art…

Mr. Hales frappa sur la table :

— Mr. Standing, veuillez m’écouter sérieusement, cela en vaut la peine.

Egbert s’étendit dans un fauteuil, les yeux à demi-fermés, pendant que le notaire lisait :

« Mon cher Egbert,

« Ne comptez pas sur moi pour vous donner ou même vous prêter de l’argent. Votre lettre m’arrive fort à propos pour me rappeler que je dois faire un testament, afin de ne pas exposer Margot à perdre un héritage auquel sa naissance irrégulière ne lui donne pas droit ; d’ailleurs, même si celle-ci était légitime, je ne voudrais pas exposer ma fille aux risques qu’entraîne une telle fortune. Je ferai donc mon testament, dès mon retour en Angleterre. Surtout ne vous attendez pas à toucher grand-chose de moi. Ce qu’il vous faut, c’est une occupation qui vous permette de vivre honorablement.

« E. STANDING. »

— Bien peu aimable ce petit mot, n’est-ce pas ? murmura Egbert à moitié endormi. Je me rappelle avoir été sur le point de le déchirer !

— Vous auriez perdu en même temps trois millions de livres, ajouta Mr. Hales, d’une voix incisive.