La bijouterie Enderby, extrêmement réputée dans tout le sud de l’Angleterre, était une boutique sombre, mal éclairée, aux poutres de chêne patinées par le temps, dont la construction remontait au XVIe siècle.
Son propriétaire ressemblait tout à fait à une souris, excepté que les yeux des souris brillent comme des grains de café, alors que les siens étaient d’un gris délavé. Après un long échange de politesses et quelques mots chuchotés à l’oreille de Gale, Thomas Enderby fit une courbette et disparut derrière une porte, au fond de son magasin. Il revint quelques instants plus tard porteur d’un grand carré de velours noir et d’un coffret de bois de cèdre.
Rachel attendait, charmée par l’atmosphère romantique de la boutique obscure, où tout respirait le passé, du parquet ciré usé par les pas des visiteurs à la lampe à pétrole suspendue au plafond. Le regard brillant de Gale Brandon, posé sur elle, la troublait plus qu’elle ne l’aurait voulu. Jusqu’à présent elle avait toujours ressenti un vif plaisir à se trouver en compagnie de cet homme, dont la gaieté et la simplicité apportaient un vent de fraîcheur à Whincliff Edge. Mais s’il ne lui avait pas avoué son amour pour cette inconnue, elle ne se serait peut-être jamais rendu compte du sentiment très tendre qu’il lui inspirait.
Thomas Enderby s’assit derrière son comptoir, étala le carré de velours, remonta ses lunettes sur son front dégarni et ouvrit avec des gestes d’artiste son précieux coffret. Il en sortit trois petits paquets enveloppés dans du papier de soie. Ses mains, aux longs doigts maigres et aux ongles décolorés, défroissèrent le papier de soie avec un léger tremblement. Ayant accompli ce cérémonial, il se recula et contempla les trois parures exposées sur le velours noir. Dans ses yeux délavés brillait une lueur de fierté.
Émerveillée, Rachel ne pouvait détacher son regard d’une aigrette composée de deux diamants taillés en forme de feuille de chêne et de trois en forme de gland. Dans chaque cupule scintillaient trois perles du plus bel orient, aux reflets nacrés.
— Comme elle est belle, murmura-t-elle.
Elle vit le joaillier acquiescer d’un air entendu.
— Cette aigrette a été dessinée par mon père, à la demande de la duchesse de Southshire, mais elle est morte sans l’avoir vue terminée. Mon père a mis plusieurs années avant de rassembler ces perles. En fait, il détestait vendre ses plus belles réussites, aussi a-t-il appris le décès de la duchesse avec soulagement. Regardez cette chaîne, poursuivit-il en désignant la deuxième parure. Elle est constituée de rangs alternés d’émeraudes et de saphirs montés sur or fin. Je l’ai trouvée en Italie. Et voilà ma plus belle pierre, dit-il en caressant amoureusement un magnifique rubis. Sa couleur est absolument unique.
En effet, le rubis étincelait comme une larme de sang. On eût dit que la pierre était vivante.
— Je ne puis hélas vous raconter l’histoire de cette pièce. Mon père l’avait taillée pour un membre de la famille royale. Je ne sais pas comment elle est revenue en notre possession. Laquelle désirez-vous, Mr. Brandon ?
Rachel se sentait mal à l’aise. Chaque bijou était une splendeur et devait valoir une véritable fortune. Elle admirait le geste romantique de Gale, qui désirait offrir l’une de ces merveilles en guise de déclaration d’amour, sans être certain d’être récompensé en retour. « Pourvu qu’il ne me demande pas mon avis », pria-t-elle intérieurement.
À ce moment, Gale se pencha vers elle.
— Laquelle préférez-vous, Miss Treherne ?
Elle répondit, très vite, d’un ton presque agressif :
— Je ne peux vraiment pas choisir à la place de quelqu’un que je ne connais pas. Les perles correspondent à un certain type de femme, les saphirs et les rubis également. Choisissez vous-même, Mr. Brandon.
Une lueur amusée dansa dans les yeux de l’Américain. Il paraissait si jeune, dans cette boutique chargée de souvenirs…
— Je ne vous demande pas de choisir à ma place. Je veux seulement avoir votre avis. Admettons que j’aie déjà fait mon choix. Et maintenant, supposons que vous choisissiez la même parure que moi. Ce serait une merveilleuse coïncidence, non ?
— Mais je ne sais rien d’elle, même pas la couleur de ses cheveux !
— Tous les êtres humains sont destinés à avoir des cheveux gris, un jour ou l’autre. J’espère qu’elle portera cette parure même lorsqu’elle aura des cheveux gris.
— Si elle est blonde, la chaîne d’émeraudes et de saphirs lui ira certainement.
— Qui vous dit qu’elle est blonde, Miss Treherne ? Allons, j’insiste pour avoir votre avis personnel. Vous êtes une femme de goût, n’est-ce pas ?
Rachel émit un petit rire, vaguement méprisant.
— Vous pensez donc que toutes les femmes ont le même goût ?
— Pas du tout ! s’exclama Gale, nullement vexé. Mais je veux votre point de vue, pour vérifier s’il correspond au mien. Ensuite nous demanderons à Mr. Enderby son avis éclairé. Par exemple, j’aimerais savoir quelle pièce il sauverait si sa boutique était en flammes !
Une subite bouffée de gaieté gagna la jeune femme. Sans hésiter, elle désigna l’aigrette de perles et de diamants.
— Eh bien, franchement cette aigrette m’a conquise. Mais je ne sais pas si Mr. Enderby accepterait de vous la vendre…
Gale se tourna vers le joaillier.
— Alors, Mr. Enderby, me vendriez-vous cette parure pour la plus merveilleuse femme que j’aie jamais connue ?
Le joaillier sourit.
— Pour cette dame, Mr. Brandon, je crois que même mon père aurait consenti à faire une exception.