En quittant la pièce, Maud Silver s’entendit appelée par Gladys, qui sortait de la bibliothèque.
— Un appel de Londres pour vous, Miss.
— Merci, fit la vieille dame en pressant le pas. La communication n’excédera pas trois minutes. Pendant ce temps, auriez-vous l’obligeance de monter dans ma chambre et m’y attendre ? J’ai quelque chose à vous demander.
Elle entra ensuite dans la bibliothèque et prit le combiné posé sur le bureau. La conversation fut des plus mystérieuses.
— J’écoute… Ah, très intéressant… C’est exactement ce que j’attendais. Merci, cher ami. À bientôt.
Elle raccrocha et monta l’escalier d’un pas allègre. Gladys l’attendait sagement, debout près de la fenêtre. Une jolie jeune fille, au teint délicat, mais qui paraissait plutôt mal à l’aise. En entendant les pas de Miss Silver, elle se retourna et lissa nerveusement son tablier.
— C’est… c’est Ivy qui s’occupe de votre chambre, Miss.
— Je sais, mon enfant. Mais c’est à vous que je désirais parler. Miss Treherne m’a donné l’autorisation de vous poser quelques questions. Hier soir, quelqu’un lui a joué un mauvais tour et nous aimerions découvrir de qui il s’agit. Répondez-moi simplement. Personne ne vous reprochera d’être allée vous-même poster la lettre de Mr. Frith.
Les joues de Gladys virèrent au cramoisi.
— Oh, Miss !
— Arrêtez-moi si je me trompe. Mr. Frith vous a sonnée à cinq heures vingt-cinq et vous a remis une lettre à poster, car il était en train de travailler et n’avait pas le temps d’aller jusqu’au portail. Vous vous êtes dit que vous pourriez y aller vous-même…
— Je n’ai rien fait de mal !
— Votre fiancé vous attendait avec impatience sur la route…
La jeune fille pâlit et dit d’un ton buté :
— Je ne sais pas qui vous a raconté tous ces mensonges, mais je n’ai rien fait de mal.
— Personne ne vous accuse. Je pense que, puisque vous étiez dehors, vous auriez pu apercevoir quelqu’un. À quelle heure exactement êtes-vous sortie ?
— Vers cinq heures et demie. Je suis montée chercher mon manteau dans ma chambre et je me suis glissée dehors par la porte du garage. Ici les gens plaisantent en parlant de Tom et je n’aime pas ça.
— Tom ?
— Oui, mon fiancé.
— Combien de temps vous êtes-vous absentée ?
— L’horloge du garage sonnait six heures quand je suis rentrée.
— Et où êtes-vous allée, exactement ?
— Tout d’abord j’ai déposé la lettre à la boîte du portail. Tom était là – le soir en revenant de son travail, il passe devant Whincliff Edge – mais hier il était pressé. Nous avons bavardé quelques minutes et il est reparti sur sa moto.
— Peut-on revenir de la falaise jusqu’à la maison sans être vu ?
— Oui, en passant par le jardin et par la porte du garage. D’ailleurs tout le monde fait cela, c’est un raccourci.
— Je vois… À propos, vous ne m’avez toujours pas dit si vous aviez vu quelqu’un.
Gladys baissa les yeux et tripota nerveusement son tablier de dentelle.
— Il faisait si noir…
— Donc, vous avez rencontré quelqu’un ?
— Non, pas vraiment.
Miss Silver émit un léger soupir.
— Bon, admettons que vous n’ayez vu personne. Mais il y avait quelqu’un…
— Seulement Miss Caroline, avoua la jeune fille en baissant la tête. Elle revenait vers la maison.
— Lui avez-vous parlé ?
— Non.
— Dans ce cas, comment savez-vous qu’il s’agissait de Miss Ponsonby ?
Gladys se mit à tordre son tablier, de plus en plus embarrassée.
— Voyons, mon enfant, vous venez de me dire qu’il faisait nuit. Êtes-vous certaine de l’avoir vue ?
La jeune fille releva la tête. Ses yeux étaient pleins de larmes et elle paraissait furieuse contre elle-même.
— Sûre et certaine ! Je l’ai entendue parler.
— Parler ? Mais à qui ?
— À personne. Elle parlait toute seule. Elle paraissait complètement bouleversée et pleurait très fort. Je l’entendais aussi clairement que je vous entends. Mais je vous assure qu’elle n’avait pas l’air de quelqu’un qui vient de jouer un mauvais tour. Et puis tout le monde sait qu’elle aime beaucoup Miss Treherne.
— Oui, bien sûr. Pourriez-vous me répéter ce qu’elle disait ?
Gladys hésita un instant avant de répondre.
— Cela n’avait aucun sens ! Elle était tellement bouleversée…
— Répétez-moi seulement les mots, tels que vous les avez entendus.
— Elle disait : « Je ne peux pas, je ne peux pas le faire. Elle a toujours été si bonne avec nous. Non, je ne peux pas faire une chose pareille. »
Miss Silver la considéra avec une expression perplexe.
— Êtes-vous bien sûre d’être rentrée à six heures ? Réfléchissez, c’est important.
— L’horloge sonnait six heures, mais elle avance de dix minutes. Barlow dit qu’ainsi, il est sûr de ne jamais être en retard.
— Donc, vous vous êtes absentée une vingtaine de minutes.
— Oui, Miss. Ensuite, je suis remontée dans ma chambre et j’ai reprisé mes bas, jusqu’à ce que j’entende le bruit de la voiture.
— Merci Gladys. Vous m’avez fourni de précieux renseignements. Bien entendu, inutile de parler de notre conversation à quiconque.
— Je sais tenir ma langue, fit la jeune fille en reniflant.