Darcy ne savait pas quoi dire. Elle n’arrivait pas à trouver les mots justes après l’histoire que Brant venait de lui raconter. Et les mots ne lui venaient pas non plus, une heure après qu’ils aient pris une douche chacun dans sa salle de bains et qu’ils se soient habillés.
Brant avait sorti les photos qu’ils avaient prises la veille au soir, et elle les étudiait à l’ordinateur en essayant d’ignorer la façon qu’il avait de la regarder. Il s’était refermé sur lui-même et aucun des deux ne savait comment aborder l’étape suivante.
Dehors, une tempête faisait rage, faisant écho à celle qui agitait son cœur, et la pluie tapait contre les portes vitrées et des ombres dansaient sur le parquet.
« Ces glyphes sont différents, » dit-elle enfin, brisant le silence.
Elle se servit un verre de jus de fruit frais pour apaiser sa gorge sèche. Ils étaient restés dehors au soleil suffisamment longtemps pour avoir un joli bronzage. Si elle avait eu une peau de blonde, elle aurait pris un coup de soleil carabiné. Mais telle qu’elle était, il suffisait qu’elle mette un peu de crème hydratante.
Brant la rejoignit et s’assit sur le tabouret près d’elle, mais elle s’écarta légèrement pour que ni leurs bras ni leurs cuisses ne se touchent. Elle avait besoin d’un peu de distance entre eux pour réfléchir. Il eut un pincement des lèvres sous l’affront, mais se contenta de regarder fixement l’écran de son ordinateur.
« En quoi est-ce qu’ils sont différents ? »
« Les autres indices avaient tous des coordonnées incluses. Je suppose que c’est un système de secours, au cas où celui qui lirait les glyphes ne comprendrait pas les indices. Bien qu’ils aient été très explicites jusqu’à présent. Ces glyphes-ci n’ont pas de coordonnées. Seulement des indices. »
« Qu’est-ce qu’ils racontent ? »
« Ce bloc ici, » dit-elle, en pointant du doigt les symboles qui avaient été trouvés dans le placard du gardien au Palacio Concordia, « disent : La terre des temples et des rois est redevenue poussière, et les montagnes enflammées protègent leur mémoire.”
« Montagnes enflammées, » dit Brant. « Des volcans ? »
« C’est ce que je pense. »
« Et que dit l’autre bloc de glyphes ? »
« Le jaguar est assis sur un trône brisé, et les têtes de ceux qui sont tombés, montent. »
« Humm, pas aussi évident que celui de la montagne enflammée. »
Les lèvres de Darcy se tordirent en entendant son ton ironique. « Le problème avec les volcans c’est que le Mexique a à peu près trois mille volcans. Nous devons trouver un groupe de volcans qui ait des ruines dans la vallée sous-jacente. La terre des temples et des rois c’est un peu vague, mais ça me pousse à croire que c’était l’un des sites majeurs. »
« Et que penses-tu de cette dernière partie avec le trône brisé et les têtes qui montent ? Ce qui est d’ailleurs fichtrement sinistre. »
« Tu n’as pas idée de ce qui est vraiment sinistre chez les Mayas, » dit-elle, en finissant d’une traite son jus de fruits.
Brant se leva et lui reversa à boire, puis remit le verre devant elle. Pour lui, il prit une bière.
« Bon à savoir. Quoique je crois qu’ils ont raté leur coup avec la chose concernant la fin du monde. »
Mais qu’ils étaient polis et bien élevés, s’étonna Darcy, un peu amusée. C’était peut-être la première fois depuis quinze ans qu’ils évitaient soigneusement de se prendre à rebrousse-poil. Le combat lui manquait déjà.
« Le deuxième indice est un peu plus difficile à déchiffrer, » dit-elle. « Le roi jaguar est assez courant ; et le trône brisé pourrait être une référence littérale ou figurée, s’il parle d’un royaume déchu. Ce que tu as dit sur les têtes flottantes pourrait être un mot plus précis qu’une montée réelle des têtes. Le problème c’est que je ne vois pas un seul site au Mexique où il y aurait toutes ces choses. »
« Et en dehors du Mexique ? » demanda-t-il, en la regardant cette fois, au lieu de regarder l’écran d’ordinateur.
« C’est un peu plus facile. Les ruines de Kaminaljuyú se trouvent au Guatemala ; ce n’est pas loin de la capitale du pays, mais le site est entouré de vallées et de volcans. On le fait remonter à 1500 ans avant J.C., et en ce qui concerne les temples et les rois transformés en poussière, il pourrait correspondre. Aujourd’hui Kaminaljuyú est réduit à quelques monticules et à des vestiges de gravures. Mais une de ces gravures représente un roi jaguar en train de décapiter des prisonniers à la hache, tandis que des dieux jaguars flottent au-dessus de lui. La gravure est juste un fragment d’une plus vaste composition. »
« Guatemala, » dit Brant, en se frottant les yeux. « Merde. Tu en es sure ? »
« Aussi sure que possible. Rien d’autre au Mexique ne correspond. Est-il si impensable que Ramos contrôle le Guatemala aussi ? »
« Non, c’est tout à fait possible. Mais cela rend notre boulot sacrément plus compliqué. » Il prit son portable de sa poche et composa un numéro qui était trop long pour un simple appel normal, et Darcy l’écouta relayer les informations à celui qu’elle supposait être Declan.
Brant la regarda longuement et elle l’interrogea à son tour du regard, sachant que Declan avait probablement parlé d’elle.
« Bien, » dit Brant, et il raccrocha.
« Qu’est-ce qu’il va faire ? »
« Il soupçonnait que Ramos avait mit le pied au Guatemala, mais il n’y avait aucune preuve tangible de cela : ni morts, ni marchés. Il garde le territoire propre ; ce qui nous fait penser que cela pourrait être compatible avec l’emplacement d’un laboratoire. Declan est en train de voir si on peut obtenir une vue aérienne de la zone que tu as décrite. Il va nous rappeler bientôt. »
Darcy ferma son laptop et se leva, en se demandant ce qu’elle était censée faire confinée dans la pièce avec Brant. Il y avait des choses qu’elle devait lui dire, qu’elle devait absolument lui dire ; mais elle n’en avait pas le courage, ni d’ailleurs les mots justes pour les dire.
Elle se croisa les bras sur la poitrine et se retourna pour lui faire face. Il se trouvait exactement au même endroit où elle l’avait laissé et il la regardait attentivement, en essayant de se servir de son cerveau pour disséquer chacune de ses pensées.
« Allons dîner, » dit-il, à sa grande surprise. « Je meurs de faim, et il faudra au moins deux bonnes heures avant que Dec nous rappelle. »
Darcy hocha de la tête, heureuse d’avoir un peu de répit, puis elle courut dans la salle de bains pour se changer.
*
Darcy pensait trop fort à quelque chose, ce qui à son avis, était un signe annonciateur d’ennuis. En plus elle était plus resplendissante que jamais, et quelque chose dans la poitrine de Brant se bloqua quand elle le regarda fixement avec des yeux qui contenaient trop de secret, et des ombres de souffrance.
Il savait qu’il n’oublierait jamais son image à ce moment-là, elle resterait imprimée dans sa tête jusqu’à ce qu’il soit vieux et décrépi. Elle était habillée en bleu ; la robe n’avait qu’une épaulette et retombait toute droite sur ses cuisses. Sa peau luisait, et les talons hauts lui faisaient des jambes démesurées. Ses cheveux retombaient dans son dos en boucles vaporeuses (la coiffure qu’il préférait), et il imagina l’aspect qu’ils auraient, répandus sur l’oreiller, tandis qu’il s’enfouirait en elle.
Il ne devrait pas avoir encore envie d’elle ; pas après l’intensité du rapport qu’ils avaient eu cet après-midi. Mais le désir semblait ne devoir finir jamais.
Brant prit son bras puis un parapluie pour les abriter en allant de la villa au restaurant principal. On leur montra une table sur la terrasse couverte, qui leur permettait d’entendre le vent, la pluie et les vagues. Des bougies blanches jetaient leur lueur tremblotante entre eux, rendant les ombres dans leurs yeux encore plus difficiles à déchiffrer.
La nuit aurait pu être propice à une histoire d’amour, pour s’aimer langoureusement et paresseusement, tout en écoutant la pluie tomber autour d’eux ; pour parler entre eux facilement comme ils le faisaient autrefois, en partageant des sujets communs d’intérêt, ou des histoires drôles sur les membres de leurs familles. Mais ce n’était pas possible.
« Qu’est-ce qui ne va pas, Darcy ? » demanda-t-il après qu’ils aient commandé et tandis qu’ils dégustaient un vin frappé. Elle ne l’avait pas regardé depuis qu’ils s’étaient assis. Elle avait juste regardé en direction de l’océan, même s’il faisait trop sombre pour distinguer les vagues.
Elle prit son courage à deux mains tandis qu’il la regardait, et parla après avoir pris une longue inspiration : « Je ne veux pas continuer comme ça pendant six mois. J’ai changé d’avis. »
Ses paroles furent comme une gifle en pleine figure pour lui ; sa plus grande peur se matérialisait, elle voulait s’en aller. Et donc ses mots d’amour avaient dû être superficiels, tout au plus. Il resta impassible tout en serrant les poings sous la table.
« Je vois, » dit-il, faute de trouver mieux à répondre. Il s’éclaircit la gorge et se versa à boire, en essayant de réfléchir à la meilleure chose à dire sans porter préjudice à leur relation déjà tendue.
Elle tourna ses grands yeux tristes vers lui et ébaucha un sourire. « Je pense simplement qu’il est temps d’arrêter de jouer à un jeu où il n’y aura pas de gagnant. Il n’y a aucune raison de le prolonger. Tu as tout à gagner ici, et moi j’ai tout à perdre ; et franchement j’en ai assez d’être perdante dans mes rapports avec toi. Ce n’est pas juste, voilà… » Sa voix fut entrecoupée d’un sanglot, puis elle respira profondément et continua. « Et je suis fatiguée. Je mérite mieux que ce que tu es disposé à me donner. Je ne veux pas de tes demandes en mariage débiles, ni de tes discours du genre : « si je pouvais aimer quelqu’un ce serait toi ». Je t’aime, Brant, je t’ai toujours aimé ; et il est temps que tu te décides : soit tu te comportes en homme et tu m’aimes en retour, soit tu t’en vas pour de bon. Je ne suis partante pour rien d’autre. »
Il expira lentement quand elle prononça ces mots qu’il avait ardemment souhaité qu’elle prononce. Elle l’aimait toujours. Elle doutait simplement de lui. La panique s’empara de lui et fit couler une sueur froide le long de son épine dorsale ; c’était la première fois qu’elle lui disait ces mots en le regardant droit dans les yeux. Elle pensait vraiment ce qu’elle disait, il le voyait bien. Mais il ne pouvait pas lui retourner ces mots-là, même si l’idée de la perdre pour toujours lui donnait envie de tout casser.
Il pouvait prononcer les mots ; et il savait que s’il les disait il serait sincère ; mais il était terrorisé par ce qui venait après les mots. S’il s’ouvrait comme cela à elle, elle aurait le pouvoir de lui faire du mal, plus que ne lui en avait fait la femme qu’il avait épousée.
« Et tu penses que tu seras capable de t’en aller, comme ça. »
Il était surpris de constater la douceur de sa voix ; de voir combien il en était maître. Il ne savait pas comment la convaincre de lui faire confiance, pour qu’elle lui donne une autre possibilité ; qu’elle arrive à voir à travers la noirceur de son cœur et lui montre que seul leur amour compterait à la fin. Il savait seulement que ses chances étaient réduites.
« Oui, » dit-elle d’un ton décidé qui le glaça jusqu’aux os. « C’est fini, Brant. »
Il ignora les larmes qui coulaient de ses yeux, souhaitant en verser lui-même quelques-unes. « Est-ce que tu crois que je n’ai rien à perdre, en ayant des sentiments pour toi ? » demanda-t-il.
« Puisque tu ne m’as jamais dit quels étaient ces sentiments, alors non. Je pense que tu n’as rien à perdre. »
« Il ne t’est jamais venu à l’esprit que Vivian a passé des mois à t’observer et à apprendre des choses sur toi, sans que ni toi ni tes frères s’en aperçoivent ? Tes frères, Darcy, qui figurent parmi les meilleurs agents que je connaisse. Elle aurait pu te tuer et personne n’en aurait jamais rien su. Tout cela parce que j’étais obsédé par toi ; tu étais la seule chose que je ne pouvais pas me sortir de la tête. Tout le temps que tu pourrais passer avec moi mettrait ta vie en danger. J’aurais tout à perdre à t’aimer. »
« Même après tout cela, c’est ça l’excuse que tu donnes ? Tu n’arrives même pas à être honnête envers toi-même. »
La colère avait fait monter de la couleur à ses joues et ses yeux jetaient des éclairs de feu. « Si je pense à ce que mes frères font pour vivre, ces risques ils les courent chaque jour. Je ne vais pas vivre dans une bulle pour eux ni pour toi. J’ai mené ma vie comme je l’entendais, avec beaucoup d’objections soulevées par ces hommes de ma famille qui me couvent trop. Mais cette fois-ci je vivrai sans l’espoir de pouvoir la passer avec toi. »
Il était dévoré de frustration. Il avait été plus qu’honnête envers lui-même. Il n’avait plus d’œillères concernant ses sentiments pour Darcy. Il l’aimait ; il aimait tout d’elle. Mais comment pouvait-il le lui dire après toutes les souffrances qu’il lui avait infligées.
Leurs plats arrivèrent, portés par des serveurs qui les regardaient nerveusement. Il n’était pas difficile de sentir la tension entre eux. Mais ils semblaient ne plus avoir d’appétit, car ils ne firent que repousser la nourriture au bord des assiettes.
Le temps qu’ils rentrent à leur villa, la pluie avait cessé. Les sentiers étaient bien éclairés, et des gouttes d’eau tombaient des palmiers. Brant entendit des chuchotements furieux avant même d’entrevoir quelqu’un, et il mit la main sur le bras de Darcy pour la retenir, tandis qu’ils arrivaient à un tournant.
Darcy le regarda, et il avança lentement, à pas feutrés, pour ne pas alerter quiconque se trouvait là.
Ce n’était pas la discussion d’un des autres couples de clients de l’hôtel. C’était le type de querelle qui peut dégénérer d’un moment à l’autre.
Ce qu’il vit après le tournant ce fut Marco Luna et son fils s’affrontant face à face. Le Luna plus âgé tenait son fils par le col de la chemise, et quelle que soit la menace qu’il lui lançait, cela avait fait pâlir Enrique considérablement. Quand Marco eut terminé, il laissa aller son fils et s’en alla furieux dans la direction opposée. Enrique resta là un moment, les mains sur les hanches, la colère l’entourant comme un champ magnétique. Il donna un coup de pied dans les galets sur le chemin, et laissa échapper un chapelet d’injures en espagnol, assez fort pour faire hausser les sourcils à Darcy et à lui. Il était rare qu’un homme si jeune soit aussi inventif quant au langage.
Brant se remit à marcher tout en tenant Darcy près de lui, et Enrique se tourna soudain au son de leurs pas. Le regard que lui adressa Enrique fut suffisant pour qu’il soit heureux rétrospectivement d’avoir emporté son arme. Enrique ne prit même pas la peine de les saluer ni de montrer qu’il les avait vus. Il s’enfuit simplement dans la direction opposée à celle de son père.
« Bien, » dit Darcy. « C’était intéressant. Un jeune de cet âge ne devrait pas avoir ce genre de regard. »
« Peut-être qu’on aurait intérêt à s’intéresser de plus près aux Luna. »
*
Darcy avait dit la vérité à Brant ; ce qu’elle ressentait pour lui était trop fort, et faisait trop mal pour supporter qu’il ne ressente pas la même chose en retour. Il y avait un temps pour se battre pour les choses importantes de la vie, mais il y avait aussi un temps pour se protéger. Et six mois de plus de cette situation finiraient par l’achever. Il était temps de clore cette histoire une fois pour toutes et disparaître pour un temps, afin qu’elle puisse panser ses blessures dans son coin. La nature ensuite se chargerait d’atténuer sa peine avec le temps.
Brant était silencieux à ses côtés et elle ne savait que penser de son mutisme. Quels que furent ses sentiments, il ne semblait pas avoir été bouleversé par sa déclaration ; quoiqu’il lui aurait été difficile de comprendre si cela l’avait bouleversé vraiment. Il cachait bien son jeu, comme ses frères, pour ce qui était des sentiments. Peut-être valait-il mieux que chacun d’eux se taise pendant un moment.
Le téléphone de Brant sonna dans sa poche au moment où il ouvrait la porte de la villa, et il la fit entrer à l’intérieur et la mit à l’écart, tandis qu’il inspectait rapidement les lieux pour s’assurer qu’ils n’avaient pas de visiteurs. Il tenait son pistolet de la main droite et répondait au téléphone avec la gauche.
La conversation fut brève et précise avec son interlocuteur, quel qu’il fut.
« C’était ton frère, » dit Brant. « Il semblerait que tu aies eu raison concernant les ruines du Guatemala. Dec n’a pas pu avoir de vues aériennes parce que le survol de la zone est règlementé, et l’imagerie par satellite ne nous aide pas beaucoup à cause du feuillage dense de la jungle. Ce que le satellite a pu détecter, c’est trois kilomètres carrés entourés de barbelés militaires, et des rotations de gardes faites par des soldats. Dec dit que cela ressemble plus à une opération militaire qu’au territoire d’un seigneur de la drogue. »
« Alors, quel est le plan ? »
Il lui jeta un coup d’œil appuyé tout en rangeant son arme et il lança le portable sur le comptoir. « Dec dit qu’on y va, mais je n’ai pas encore décidé si je ne vais pas te ligoter et te bâillonner, et puis t’expédier en lieu sûr. Est-ce que tu connais vraiment bien la zone ? »
« Aussi bien que n’importe qui. J’ai fait ma thèse sur ce site. J’ai passé six mois à arpenter chaque colline et chaque vallée où les ruines se trouvaient. »
Brant, perplexe, se frottait le cou. « C’est ce qu’a dit ton frère. Tu viens avec nous cette fois-ci. On ne peut pas se permettre de laisser Jade derrière nous, pour te protéger. Elle est trop importante pour une mission comme celle-là. De plus, nous ne pouvons nous permettre aucune fausse information, d’après ce que Dec est arrivé à glaner ces deux dernières heures. Il va falloir que tu nous fasses pénétrer dans ce camp retranché. »
« Je peux faire ça, » dit-elle, sentant l’excitation la gagner. Ils avaient besoin d’elle ; et ils n’allaient pas la laisser à l’écart. « Comme je l’ai dit, je connais bien la zone. »
« Nom de Dieu, Darcy ! » dit-il en frappant de son poing sur le comptoir. « On part pas pour une promenade dans le parc. On te traîne dans la fosse aux lions, et j’ai l’impression que ça a l’air de t’amuser. »
« Qu’est-ce que ça peut bien te faire ! » lui répondit-elle en élevant la voix elle aussi, car elle en avait assez qu’il fasse semblant qu’elle soit importante. « Je suis juste un bon coup vite fait ; arrête de faire semblant que tu ne t’en fous pas. Tu sais ce que tu es ? Un sacré lâche. »
Elle voyait la veine palpiter sur sa tempe et la façon dont ses yeux fonçaient au point de paraitre noirs de rage. Elle avait dépassé les bornes, mais elle s’en fichait. Au moins elle l’avait bien mis en colère cette fois. Il ne pouvait pas se comporter tout le temps comme un robot. La colère et le chagrin se mélangeaient à présent, et elle ne semblait pas pouvoir arrêter les montagnes russes qu’elle avait déclenchées.
« Tu as dit que j’ai été ton obsession pendant des années ? Des années ! Puis tu as essayé de me sortir de ta vie en épousant la première remplaçante venue, quelqu’un qui me ressemblait et agissait comme moi. »
Elle vit le verre de vin sur le bar près d’elle et en attrapa un, puis le lui lança à la figure.
« Tu es devenue folle ? » dit-il, en esquivant le coup de sorte que le verre atterrit contre le mur derrière sa tête. Il fronça les sourcils en signe d’avertissement, mais elle n’y fit pas attention et s’empara d’un autre verre.
« Ne t’excuse pas en disant que j’étais trop jeune. Je t’appartenais, je t’ai toujours appartenu. » Un autre verre quitta sa main et alla s’écraser contre le mur à sa droite. « Et tu as foutu tout ça en l’air parce que tu es terrorisé de m’aimer et des sentiments que cela suscite en toi après que ta femme (que tu n’aimais pas et qui ne t’aimait pas d’ailleurs) t’ait poignardé dans le dos et trompé. » Il bougea de nouveau, et elle vit qu’il essayait de se concentrer sur elle. Elle lança deux verres de plus, l’un après l’autre, et il alla s’abriter derrière le canapé.
« C’est moi qui aurais dû être ta femme d’abord, » hurla-t-elle. « Alors, je confirme : tu es un lâche, Brant Scott. »
« Bon sang, Darcy, ressaisis-toi. »
« Me ressaisir ? » Elle commençait à manquer de verres, et des débris jonchaient le sol. « Après tout ce que tu m’as fait subir, tu veux que je me ressaisisse ? » Elle lança un autre verre, mais son but s’éloignait en même temps que sa rage. « Je t’ai attendu. Pendant des années, j’ai attendu. Et j’ai continué à t’aimer. Mais maintenant tu n’as même plus le courage de te battre pour moi, même si je sais combien tu me désires. Eh bien, tu peux aller directement au diable. »
Elle se dirigea vers la cuisine, car il était en train de faire le tour lentement de la pièce pour la piéger. Elle lança un autre verre et remarqua le mince filet de sang qui coulait sur le côté de son visage. Voilà, c’était bien fait pour lui. Une lueur dangereuse brillait dans ses yeux, mais elle n’en avait pas encore fini avec lui.
« En plus, je vais raconter à chacun de mes frères les choses que tu m’as faites, » dit-elle, en abattant sa carte maîtresse. « Il n’y aura pas un endroit sur terre où tu pourras aller te réfugier. J’espère qu’ils vont te couper les parties et te les faire avaler. »
Il fonça sur elle tandis qu’elle lui lançait le dernier verre qu’elle avait à la main, mais il l’évita et rebondit sur le tapis moelleux puis roula sous la table basse. Darcy se tourna pour traverser en courant la cuisine et sortir par la porte de devant, mais il sauta d’un bond sur le bar qui les séparait et elle comprit qu’elle n’y arriverait pas ; il n’y avait pas d’issue. Il essuya le sang sur son visage et elle essaya de ne pas flancher quand il l’accula dans un coin.
Son dos heurta le mur et elle ne pouvait courir nulle part, elle se contenta donc de relever le menton et de le regarder d’un air de défi. Elle n’avait rien à perdre. C’était la fin, et, par Dieu, elle préférait se battre plutôt que de lui rappeler les larmes qu’elle avait versées au diner.
« Et donc comme ça, tu m’as toujours appartenue ? » demanda-t-il, la voix basse et menaçante. « Et c’est toi que j’aurais dû épouser ? »
Il était debout devant elle maintenant, si près que chaque fois qu’elle respirait, leurs corps se touchaient. Elle releva encore plus le menton, le défiant ouvertement, quand elle répondit : « Oui. »
« Peut-être que tu as raison. Et si tu as toujours été à moi, alors je pense que j’ai le droit de prendre ce qui m’appartient. »
Soudain Brant l’embrassa d’un baiser fait plus de colère et de chagrin que de désir, et elle lutta contre lui, en essayant de lui faire mal, comme il lui en avait fait. Dents et langues entrèrent en collision, et elle sentit le goût de cuivre du sang dans sa bouche. Elle lui tira les cheveux et griffa son visage et son cou, mais il lui immobilisa les bras et plaqua son corps contre le mur.
Leurs souffles se firent courts, et Darcy sentit son entrejambe devenir humide. Il arrivait toujours à l’exciter ; ça n’avait jamais été le problème. Il souleva ses bras au-dessus de sa tête et les immobilisa d’une main. Puis il lui baissa le haut de la robe d’une secousse, et le déchira en dévoilant sa poitrine.
« Ce n’est pas une solution, » cria-t-elle, alors qu’il prenait son téton dans la bouche. Le feu se propagea à l’instant à sa chatte et elle se cambra contre le mur et vers lui, à la recherche désespérée de tout ce dont elle avait décidé de se séparer.
« Alors, vois ça comme un cadeau d’adieu. Parce que je jure devant Dieu que tu ne ressentiras jamais, avec un autre homme, ce que tu as avec moi. Souviens-toi que c’est toi qui as décidé de partir, pas moi. »
La colère et le chagrin dans la voix de Brant étaient comme des lanières qui fouettaient sa peau, mais il avait raison. Aucun autre homme ne lui provoquerait les mêmes sensations.
« Je ne me contenterai de rien de moins que ce que je mérite, de ta part. Alors, prends ce que tu veux et puis laisse-moi tranquille. »
Un grognement sortit de sa gorge, avec un son rauque, primitif et coléreux qui lui donna la chair de poule. Sa main effleura sa cuisse, soulevant la robe déchirée jusqu’à ses hanches, et elle eut le souffle coupé quand il lui arracha la culotte qu’elle portait et plongea ses doigts dans sa fente.
« Ah… » cria-t-elle, sa chatte se refermant sur lui et arrosant ses doigts avec un orgasme foudroyant qui la laissa molle et essoufflée.
Sa tête retomba et se posa sur la poitrine de Brant ; elle était tout juste consciente qu’il avait libéré ses bras. Il enfonça ses doigts dans les hanches de Darcy et la tourna brutalement vers lui ; elle sentait le relief dur de son membre qui tendait le tissu de son pantalon. Elle enlaça sa taille de ses jambes, Brant baissa sa fermeture éclair et laissa tomber son pantalon sur ses hanches. Puis quand il l’eut pénétrée, qu’il fut entré profondément en elle, elle oublia tout sauf le bonheur qu’elle ressentait toujours avec lui.
Ensuite ce fut une course rapide et frénétique vers le but. Pas de finesse ni de mots doux. Juste la claque d’une chair qui en rencontre une autre, et les grognements typiques d’une bonne partie de jambes en l’air. Ses ongles s’enfoncèrent dans ses épaules et sa tête s’inclina en arrière quand elle le sentit gonfler en elle. Il donna une dernière poussée et son monde à elle explosa.